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La gouvernance économique mise à nu
Publié dans El Watan le 02 - 10 - 2017

Sur la base des détails rendus publics la semaine dernière sur la destination de ces financements, l'on déduit que ce nouveau mode vient finalement combler des trous et rattraper des retards, deux déficiences qui sont le résultat d'une gestion aléatoire des entreprises publiques et des programmes d'investissements gouvernementaux.
Le Plan de financement non conventionnel (PNC) qui sera prochainement effectif après l'adoption du projet de loi amendant l'ordonnance sur la monnaie et le crédit du 26 août 2003 ne sera pas seulement une issue de secours pour payer les salaires des fonctionnaires et régler les indemnités des députés. A travers l'injection de liquidités dans les banques, le gouvernement vise également à poursuivre sa politique d'appui aux entreprises en difficulté, couvrir les besoins de financement du Trésor et du Fonds national d'investissement (FNI).
Il s'agit par ailleurs de rembourser les dettes vis-à-vis de Sonatrach pour un montant de 900 milliards de dinars, mais aussi des banques publiques engagées dans l'assainissement des comptes de Sonelgaz. Une manière, selon le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui l'expliquait la semaine dernière devant les sénateurs de permettre à ces banques publiques de retrouver des liquidités à réinjecter dans le financement de l'investissement économique.
Priorité à la santé et l'éducation
Il s'agit aussi de lever le gel sur certains projets, particulièrement dans le secteur de la santé et de l'éducation où le déficit reste important face à la pression démographique. La levée du gel concerne, selon Ahmed Ouyahia, tous les cycles de l'éducation : lycées, primaires, collèges et cantines, alors que dans la santé la mesure touchera uniquement les centres hospitaliers de proximité (les policliniques et hôpitaux spécialisés). Parallèlement, le PNC permettra à l'Etat de régler ses dettes vis-à-vis des entrepreneurs et des grandes sociétés réalisatrices des projets en Algérie.
Et ce, pour un montant de 400 milliards de dinars qui seront consacrés au remboursement de ces dettes.
Ces projets ont été, pour rappel, gelés en juillet 2015 suite à une instruction du directeur général du budget au ministère des Finances qui avait ordonné à l'ensemble des directeurs de programmation et de suivi budgétaires et les contrôleurs financiers de geler tous les projets d'équipements publics non encore lancés. Hôpitaux, structures de soins et établissements scolaires figuraient dans la liste des chantiers ajournés faute de moyens. Et voilà qu'aujourd'hui on opte pour la planche à billets pour les faire redémarrer.
Au niveau local, les walis ont d'ailleurs été instruits pour indiquer tout ce qui doit être financé à court terme, ce qui permettrait, selon le même responsable, de pouvoir définir le montant réel des besoins. Ce sont là les principaux éléments retenus des exposés dressés devant la commission des finances et du budget de l'Assemblée populaire nationale (APN) par le ministre des Finances, Abderahmane Raouya, qui présentait le projet de loi amendant l'ordonnance sur la monnaie et le crédit.
De leur côté, le PDG de Sonelagz, Mohamed Arkab, le directeur exécutif des finances du groupe Sonatrach, M'hamed Kerroubi, et le directeur général du Trésor, Fayçal Tadini, ont eu à dresser des arguments sur le rôle que peut jouer le financement non conventionnel en cette période de crise. Ils ont eu aussi à quantifier leurs besoins en financement soit pour lancer les projets en attente, régler leurs dettes ou faire face à leur déficit. A ce sujet, il y a lieu de souligner que le dg du Trésor a évalué les besoins à près de 570 milliards de dinars pour couvrir son déficit jusqu'à fin 2017. Un montant qu'on aurait pu récupérer dans d'autres niches, de l'avis des membres de la commission finances.
«Le ministre des Finances a tenté d'être rassurant sur l'impact de la planche à billets, mais entre la peste et le choléra, c'est pareil. Les deux mènent à la mort», nous dira Hicham Chelghoum, membre de la commission des Finances de l'APN. Allusion faite au choix entre l'endettement extérieur et la planche à billets.
Difficultés dévoilées
«Pourquoi choisir cette période pour évoquer les difficultés financières de Sonelgaz ?» s'interroge encore ce député du Parti des
travailleurs (PT) qui rappellera que ces problèmes ne datent pas d'aujourd'hui. Pour ce dernier, il aurait fallu travailler sur ce dossier bien avant puisque les besoins sont connus. Or, Sonelgaz qui a toujours compté sur les banques pour financer ses projets ne peut plus le faire aujourd'hui avec leur incapacité à mobiliser les fonds nécessaires sous forme de crédits.
Des crédits dont le remboursement pour ceux déjà accordés commencera à compter de 2024 à raison de 160 milliards de dinars par an jusqu'en 2031, alors qu'annuellement le groupe a besoin entre 200 à 300 milliards de dinars par an pour financer ses projets d'investissement et satisfaire la demande croissante en énergie.
«Le PDG de Sonelgaz, l'a reconnu. L'entreprise ne peut pas poursuivre les chantiers de l'électrification rurale et de l'alimentation de ces zones en gaz de ville sans le financement non conventionnel», nous a rapporté M. Chelghoum.
Dans le cas de Sonatrach, le manque de liquidités pour financer les investissements du groupe est également l'argument évoqué pour recourir à la planche à billets. Ce n'est pas pour financer les énergies non conventionnelles, mais pour investir dans l'exploration et l'extraction du pétrole dans l'objectif de renouveler ses réserves, d'un côté, et réaliser deux raffineries à Tiaret et Hassi Messaoud de l'autre (3 à 4 milliards de dollars par projet en moyenne). Autant d'actions prévues dans le cadre du FNC. Une «alternative et non une option», comme précisé par Ahmed Ouyahia et choisie quatre mois seulement après avoir soulevé la possibilité d'un financement extérieur pour Sonatrach et Sonelgaz à l'ère de Abdelmalek Sellal.
2015-2017 : changement de cap
En effet, en mai dernier, le représentant de la Banque africaine de développement (BAD) à Alger, Boubacar Sidiki Traore, avait annoncé des discussions avec Sonelgaz pour le financement de certains projets sous forme d'endettement prudent et stratégique. «Nous avons été approchés par les autorités algériennes pour prendre contact avec Sonelgaz et jeter un coup d'œil sur son programme d'investissements. Nous comptons financer des projets dans le secteur de l'énergie en Algérie avant la fin de l'année en cours, des financements qui devraient se poursuivre l'année prochaine et durant les années suivantes», a-t-il avancé dans une conférence de presse précisant que la BAD, également sollicitée pour accompagner le plan d'investissement de Sonatrach, était «dans une position d'écoute» et qu'elle comptait consulter ses équipes pour étudier ce dossier, en précisant toutefois que le dernier mot reviendra au gouvernement algérien. Cette solution avait déjà été envisagée en 2016.
Au mois d'avril de la même année, Abderahmane Benkhalfa, qui était alors ministre des Finances, avait parlé de mobilisation de financements préférentiels sur le marché international alors que deux mois avant, en mars 2016, Salah Khebri (qui était alors ministre de l'Energie) avait avancé l'hypothèse des financements externes pour mener les grands projets de Sonatrach et Sonelgaz. Entre-temps, les comptes se sont rapidement effrités .
L'arrivée d'Ouyahia à la tête de l'Exécutif signe le début de l'ère de la planche à billets pour une période de cinq ans. Un plan qui permettra aussi au gouvernement de verser de l'argent aux détenteurs de titres de l'emprunt national pour la croissance levée en 2016 et qui s'est soldé par la collecte de 568 milliards de dinars et de financer par ailleurs «le Fonds national d'investissement (FNI) au titre des prises de participation de l'Etat dans des investissements ou de financements à long terme de programmes publics d'investissements». «En évoquant l'insertion du FNI dans ce mode de financement, ce fonds doit contribuer à générer sa contrepartie en fiscalité ordinaire», estime à ce sujet l'expert financier Souhil Meddah, citant ainsi l'une des exigences à assurer pour mener ce plan sans dégâts.
Quid des conditions ?
Maintenant que les besoins sont affichés, quid des conditions à assurer pour la réussite du FNC ? Les avis sont nombreux à ce sujet parmi ceux qui ne sont pas contre cette solution. Mais, ils convergent globalement sur la nécessité d'assurer un encadrement strict. Cette possibilité était à l'étude depuis quelques mois, elle était même envisageable à l'ère de Sellal puisque les experts conseillers du gouvernement l'avaient proposée. «Mais dans un cadre bien défini», précise-t-on de ce côté.
«Un plan à inscrire dans un ensemble de mesures diverses et variées et avec un encadrement quantitatif strict, l'Algérie passant d'un régime d'excès de liquidités à un régime de rareté de ces liquidités n'avait pas d'autre choix que de recourir à une politique monétaire très accommodante», explique-t-on encore, rappelant que Mohamed Loukal, gouverneur de la Banque d'Algérie (BA) a commencé à faire le travail timidement et avec méfiance. Initialement, «cette nouvelle politique monétaire accommodante devait s'articuler sur une baisse drastique du Taux de réserves obligatoires (TRO), entre autres, et par une politique de quantitative easing (QE) limitée et bien orientée par la Banque d'Algérie.
De fait, le TRO est passé après de 8 à 4%, ce qui est une très bonne chose. Le plus important étant d'éviter une spirale inflationniste, l'effritement trop rapide des réserves de change et l'effondrement de l'investissement», nous explique encore une source au fait du dossier pour qui la planche à billets est «indispensable» mais qui devrait se faire de manière «limitée et subtile». Autrement dit, ne pas injecter de l'argent dans des entreprises moribondes.
Ce que pense aussi l'expert financier Mohamed Gharnaout qui s'interrogera : «Pourquoi l'Etat continue-t-il à maintenir sous perfusion des entreprises publiques non stratégiques moribondes alors que le bon sens indique qu'elles doivent être privatisées ?» Notre expert préconise en effet pour les court et moyen termes la restructuration de l'économie par la privatisation pour dégager des recettes appréciables pour l'Etat et permettre aux banques publiques de se faire rembourser leurs crédits.
«Passage temporairement obligé»
En attendant, pour bon nombre d'experts, le FNC reste pour le moment l'ultime recours. «Le financement non conventionnel proposé par le gouvernement est la seule solution qui s'offre pour faire face à la crise financière. Il n'y a pas d'autre choix. L'expérience dans les pays où elle a été menée montre qu'elle n'a pas forcément entraîné une hausse du taux d'inflation», observe Samir. D, expert boursier pour qui cette politique peut réussir à condition qu'elle soit accompagnée de réformes structurelles courageuses. Souhil Meddah, expert financiern juge également nécessaire ce choix. «C'est le seul passage qui est temporairement obligé, car le besoin étant de soutenir un niveau intérieur de croissance stable et positif».
Et ce d'autant, poursuit-il, que depuis mi-2015, toutes les mesures prises n'ont pas eu l'effet escompté. «La série de mesures n'a pas eu tous les effets espérés initialement, car déjà confrontée à un épuisement de l'épargne institutionnelle publique et aussi par un degré insuffisant de mobilisation du fait que la nature de l'exercice économique dépend, d'une part, d'une autre ressource sur les hydrocarbures limitée et, d'autre part, d'un modèle de croissance indexé sur l'engagement public.
Et enfin, la faible adhésion de la politique d'inclusion financière qui résulte tout simplement par le fait qu'actuellement c'est le marché des biens qui exige le cash», expliquera-t-il. Pour l'économiste Mohamed Badis, réussir ce mécanisme de financement passe aussi par la mise en œuvre de certaines mesures. Il citera, entre autres, l'optimisation des dépenses publiques en annulant par exemple certains avantages octroyés actuellement dans des entreprises, même celles en difficulté. «Il faut aussi que les agents économiques n'échangent que ce qui est produit localement pour éviter l'éviction de la valeur à l'étranger.
Assurer aussi une intégration importante dans le processus de production jusqu'à 80% et le secteur le plus en vogue est l'agriculture», ajoutera-t-il. Un avis que partage Souhil Meddah pour qui la monétisation des infrastructures créées ou en voie de création peut aussi être un levier de compensation important. Pour ce dernier, «l'usage de ces biens par les agents économiques doit être valorisé aussi bien sur le plan commercial que sur plan privé. Mais il faudrait d'abord mettre en place un tissu industriel national très important», précisera-t-il.
Risques
Interrogé sur les risques d'une telle solution, il dira qu'ils seront de la responsabilité de tous les agents économiques sans exception (entreprises, ménages, individus, etc.) et de leur comportement par rapport à l'effet panique suite à l'annonce. «Le marché informel de la devise commence à donner des signes négatifs, car sur la base de quelques petites interprétations, certains agents économiques ont opté pour une solution de placement dans des valeurs refuges d'épargne, provoquant au passage un effet spéculatif important sur le marché informel de la devise similaire à celui de 2015.
Cette tendance incontrôlée influera beaucoup plus négativement sur l'inflation que sur le mode de financement lui-même», poursuivra-t-il, relevant que «la probabilité inflationniste importante ne sera pas aussi conséquente qu'on le pense si ce mécanisme est dans l'ensemble bien maîtrisé et bien contrôlé. Le véritable coût s'inscrira sans doute sur l'état du dinar, surtout avec le risque que cette masse scripturale basculer vers des masses importantes en valeurs fiduciaires», avertira-t-il.
Là interviendra le rôle de la commission qui sera installée à cet effet et qui rendra compte de ses bilans tous les trois mois. Mohamed Badis, lui, proposera au passage un impôt solidaire sur les gros salaires pour réduire les tensions inflationnistes qui commencent déjà à faire débat en attendant de voir plus clair sur les mécanismes de mise en œuvre de ce plan exceptionnel pour lequel beaucoup reste à faire en matière de communication. Les experts ne manquent pas de le souligner : «Les pouvoirs publics communiquent mal et ils doivent utiliser des moyens de sensibilisation et d'information les plus simplifiés afin de rassurer tous les agents économiques concernés», recommande-t-on de ce côté.


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