Ce que les Algériens envient le plus aux téléspectateurs français, ce sont les débats d'idées qui passent sur leurs écrans, à l'occasion généralement des grands événements qui rythment la vie politique, sociale ou économique. On se dit instinctivement, chez nous pourquoi nous prive-t-on de ces instants forts de vérité médiatique, qui restent pourtant un droit constitutionnel, durant lesquels des voix contradictoires s'affrontent en toute liberté dans le seul but d'aider l'opinion publique à mieux comprendre le monde qui l'entoure. Les télévisions des pays où la démocratie n'est pas une simple vue de l'esprit nous donnent, ainsi, à chaque fois la leçon de la transparence en matière d'expression et de communication qui place les hommes du pouvoir devant leurs responsabilités. Face à des débatteurs qui ne partagent pas les mêmes opinions et qui, par conséquent, sont là pour confronter les leurs, les gens qui gouvernent ont peu de chances de dire n'importe quoi sans prendre le risque d'être désavoués et finalement discrédités publiquement, ce qui en politique constitue l'erreur fatale qu'il ne faut pas commettre. Tout tourne autour de l'argumentation qui doit être solide, convaincante, offensive mais surtout la plus proche de la vérité. Un homme politique qui profère des mensonges est vite repéré et rares sont les citoyens qui continueront à lui faire confiance. Aux Etats-Unis d'Amérique, par exemple, le plus grand délit que peut commettre un dirigeant politique est le mensonge. On peut tout lui pardonner, sauf le fait de travestir la vérité. Les débats politiques, organisés sur les plateaux des grandes chaînes françaises, qui entrent dans nos foyers grâce à la parabole, et que nombreux parmi nous suivent avec beaucoup d'attention, nous montrent que dans l'Hexagone ces grands moments de confrontation d'idées, opposant les différentes chapelles politiques ne sont jamais inutiles, bien au contraire. Destinées à une large audience, ces émissions sont devenues nécessaires, voire indispensables pour libérer la critique dans des sociétés qui ont de plus en plus tendance à se refermer sur elles-mêmes. Ne reproche-t-on pas à Sarkozy de vouloir réinventer à sa manière le système de la pensée unique en faisant main basse sur la plupart des médias influents, tout comme Berlusconi en Italie ? C'est donc grâce à la persistance de cette transparence médiatique à travers la télévision, maintenue en dépit d'une forte velléité de bâillonnement que les discours monopolistes reculent. Alors que les Français, qui ont largement boycotté le premier tour des élections régionales, s'apprêtent ce dimanche à retourner aux urnes pour élire les conseils des régions et consacrer dans une large mesure la victoire de la gauche et de ses alliés, on perçoit dans le camp des représentants de la majorité toute la complexité des arguments développés pour ne pas montrer l'étendue du désarroi dans lequel ils se trouvent et qu'il faut assumer devant l'opinion publique. Pour ne pas reconnaître l'échec de son camp lors de cette consultation, le Premier ministre est tourné en dérision par la presse et son passage à la télé pour s'expliquer a été un calvaire dont il se serait bien passé. Cela pour dire que les hommes politiques, mis sous surveillance par les médias, et soumis au jeu du contre-pouvoir, ont pour obligation de se conformer au droit à l'information et celui de la vérité exigé par le citoyen. En Algérie, on est loin de cette règle politico-médiatique qui veut que la vérité soit exprimée partout où elle est réclamée. De surcroît, notre télévision nationale au lieu de contribuer à élargir le champ de pensée, fait tout pour le rétrécir sous l'influence des hommes du pouvoir. Si les débats d'idées contradictoires, qu'il ne faut absolument pas considérer sous l'angle de la négation, sont quasi absents du petit écran, la grande erreur qui empêche l'expression de se développer est de n'autoriser que ces mêmes hommes du pouvoir à venir asséner leurs vérités. L'exemple, cette semaine, du monopole de la parole à la télé par Ahmed Ouyahia est assez révélateur sur le système de communication qui est mis en fonction par nos gouvernants. Le Premier ministre, toujours sûr de lui, passe à une heure de grande écoute pour dire comme toujours que tout va bien dans cette Algérie qui va pourtant mal, que l'action gouvernementale est positive et que ce sont toujours les autres qui ne pensent pas comme lui qui ont tort. Dans un pays où la vie politique est réduite à néant, où l'opposition est devenue l'ombre d'elle-même, Ouyahia se permet, sans risque d'être contredit, d'être sarcastique, écorchant au passage les médecins en grève alors que les représentants syndicaux de ces derniers n'ont jamais été invités par l'Unique à venir éclairer les Algériens sur le sens de leurs revendications. Idem pour les enseignants à qui on refuse la parole d'antenne, alors que sur la cascade des scandales qui ont fait les unes de la presse écrite c'est le black-out. Comment penser dès lors aux débats télévisuels contradictoires types de ceux qui nous viennent d'ailleurs alors que la censure est omniprésente chez nous ? On vous le dit, c'est un luxe qu'on n'est pas encore près de consommer.