Algérie : l'amour de Cherif Kheddam pour la patrie est exprimé de différentes manières. Par la formation des chanteurs dans son émission de la radio Chaîne 2 «Ighanayen ouzzeka» (chanteurs de demain) et son engagement dans le Mouvement national. Ses œuvres sont également traversées par son amour des gens du pays. A titre d'exemple, Tsghenigh thamourth iw (je chante mon pays) et Ldzayer atsahloudd (Algérie, tu t'en sortiras), deux titres composés dans des périodes différentes, mais qui forment un hymne au pays. Des chansons mélodieuses qui ont souvent subjugué ses fans, notamment avec sa distribution musicale envoûtante. Il s'agit des textes intemporels qui immortalisent aussi ce maître pétri de valeurs nationalistes. Boumessaoud, dans la commune d'Imsouhal, daïra d'Iferhounen, wilaya de Tizi Ouzou, est le village natal de Cherif Kheddam, qui a vu le jour dans cette bourgade de la Kabylie profonde le 1er janvier 1927. C'est là aussi qu'il repose en paix depuis son décès, le 23 janvier 2012. Ce petit bourg perché et qui fait face aux majestueux monts du Djurdjura est exemplaire de part son organisation et la dynamique de ses habitants, qui ont réussi à décrocher le prix du village le plus propre de la wilaya de Tizi Ouzou, en 2016, lors d'un concours sur la protection de l'environnement Rabah Aïssat, organisé par l'Assemblée populaire de la wilaya de Tizi Ouzou. Le village a été embelli mais garde toujours l'architecture des anciennes maisons, comme celle de Cherif Kheddam qui est devenue un patrimoine historique. L'association culturelle du village compte, selon ses membres, préserver l'œuvre du défunt qui restera un patrimoine immense, notamment pour la chanson kabyle. Compositeur et auteur de chansons dont plusieurs sont devenues, au fil du temps, des succès majeurs. Cherif Kheddam composait pour d'autres grands artistes, à l'instar de Nouara, et ce, parallèlement à ses productions. Il a marqué toute une génération par son talent et son audace artistiques. «Il avait consacré près de 60 ans de sa vie à composer des œuvres aussi immortelles les unes que les autres. Plus qu'un genre, ce maître a fondé une école qui hisse la musique algérienne et celle kabyle en particulier aux plus hautes cimes de l'art. Ses créations concilient authenticité et modernité avec une ouverture à l'universel faite autant d'affirmation que d'échanges. En audacieux précurseur, Cherif Kheddam avait, tout au long de sa carrière, abordé de nombreux thèmes sensibles au regard des archaïsmes sociaux. Il avait su rallier le consensus en couplant harmonieusement quête de progrès et juste respect des valeurs. Novateur persévérant, il a indéniablement contribué à l'évolution en profondeur de sa société», témoigne, dans une contribution à la presse, Abdelmadjid Bali, ancien producteur radiophonique. Djaout : le journaliste écrivain et poète Tahar Djaout, assassiné par les forces du mal le 2 juin 1993, a traduit merveilleusement la célèbre chanson de Cherif Kheddam A Lemri (O Miroir), en français. Ce travail est d'une qualité inestimable tant l'auteur des Chercheurs d'Os a fidèlement gardé l'empreinte originelle du texte. Enfance : Cherif Kheddam a passé son enfance, dans des conditions difficiles, au village Boumessaoud, où il étudiait à l'école coranique, et ce, avant de partir continuer ses études à la zaouïa de Boudjellil, chez Cheikh Oubelkacem, du côté de Tazmalt, à Bejaïa. Il était courageux et plein de volonté. Il faisait le trajet du village jusqu'à Boudjellil, sur une distance de dizaines de kilomètres, pour étudier à la zaouïa. Enfant, il était déjà doué pour l'art. Il est issu d'une modeste famille, dont il est l'aîné d'une fratrie de trois filles et un frère. France : en 1947, Cherif Kheddam a quitté l'Algérie pour partir en France où il a exercé, notamment, dans une entreprise de peinture jusqu'à 1961. Outre son travail, il suivait également des cours de solfège. C'est en France qu'il rencontre les grands noms de la chanson orientale comme Mohamed Abdelwahab. Et c'est dans le contexte de l'émigration que Cherif a commencé à pratiquer la musique et le chant . Sa première chanson Yellis n tmurt iw (Fille de mon pays), il l'a enregistrée en juillet sur un disque 78 tours, grâce au concours d'un ami français, libraire de profession. La diffusion du disque par la RTF (Radio-Télévision française) lui assura un certain succès. Malgré ce premier succès, Cherif kheddam chante dans des conditions toujours difficiles. Il mène deux activités diamétralement opposées : le travail dur de l'ouvrier et la création artistique qu'il tentera de maîtriser pleinement. Jeunesse : l'artiste a évoqué les souvenirs de jeunesse dans plusieurs de ses chansons. Lukan Stughl temzi (si jeunesse pouvait revenir) est l'un des textes consacrés à ce thème. Il a également réservé une grande partie de son répertoire aux conditions sociales de la classe juvénile de sa génération, cernée par la misère. Hommage : a l'occasion de la commémoration du 6e anniversaire du décès du maître Cherif Kheddam, l'association culturelle du village Boumessaoud, portant le nom de l'artiste défunt, prépare, en collaboration avec la direction de la culture de la wilaya de Tizi Ouzou, un riche programme pour rendre un vibrant hommage à cet homme qui a sorti cette bourgade de l'anonymat. Des activités commémoratives seront au menu pour revisiter le parcours et l'œuvre de l'artiste disparu. Icône : il était le père spirituel de grands artistes, à l'image de Lounis Aït Menguellet, Idir, Nouara et Ahcène Abbassi. Cherif Kheddam était aussi une icône incontestable de la chanson kabyle. Il reste toujours un repère et un modèle à suivre pour la génération montante. Géant : il était l'un des géants de la chanson kabyle de sa génération, comme El Hasnaoui et Slimane Azem. Cette figure emblématique à la voix mélodieuse et auteur de textes intemporels restera toujours dans la mémoire de ses fans. Cherif Kheddam servira indubitablement de modèle à la génération d'aujourd'hui qui puisera dans son parcours artistique des exemples à suivre pour aller de l'avant. Sa notoriété dépasse les frontières car il a révolutionné la musique kabyle. Il a chanté et fait chanter de beaux textes. Kabylie : l'artiste puise toujours ses sources d'inspiration dans les montagnes de Kabylie qu'il cite dans ses textes. Il admire la beauté des villages et villes. Il l'a chantée, d'ailleurs, dans Vgayet thelha (Béjaïa est belle) où il décrit, avec des mots subtils, la splendeur de cette région. Avant sa mort, il passait des moments de retrouvailles avec les citoyens de son village. Même avec sa petite santé, il ne ratait pas l'occasion d'y revenir. Le village lui servait de lieu pour se ressourcer. Luth : ce chanteur de légende demeurera le maître incontesté de cet instrument de musique à cordes pincées. Il a acheté son premier luth en 1957. «J'ai acheté en 1957 un vieux luth qui date de 1915. Je joue également de tous les instruments à cordes, à part le violon, et un peu le piano», avait-il déclaré. «Je me suis mis à apprendre le solfège, à fréquenter des musiciens, à connaître les modes, à écouter l´oriental, l´occidental», avait-il ajouté lors de son dernier concert magistral donné à Alger. Moderne : il a modernisé la chanson kabyle et est le premier qui lui a introduit des partitions. Ce poète et musicien de talent demeurera un monument de la chanson kabyle car son œuvre est un véritable trésor pour la culture amazighe. Son nom restera gravé à jamais dans le cœur de ses fans qui gardent de lui l'image de cet homme d'un esprit éclairé, doté de talents versatiles et d'une imagination fertile. Nouara : le nom de la diva de chanson kabyle, Nouara, est toujours associé à celui de son maître Cherif Kheddam. Cette artiste, à la voix magique, pure et cristalline, a accompagné Dda Cherif dans plusieurs chansons interprétées avec beaucoup d'harmonie, de symbiose esthétique et d'affinités. D'ailleurs, on ne peut pas parler de Cherif Kheddam sans citer Nouara qui a enregistré, en 1964, sa première chanson, Ayen ur tezrid (Ce que tu ignorais), avec le défunt artiste. «Sans lui, je ne serais pas Nouara», nous a souvent confié cette dame charismatique de la chanson kabyle lors de ses galas, notamment à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Orchestre : cherif Kheddam dans sa posture de chef d'orchestre coordonne merveilleusement le jeu des instruments. Il assure toujours, avec beaucoup d'harmonie, la cohérence des intonations par sa magique gestuelle, en imposant, notamment, une pulsation commune. Il oriente, comme un maestro, l'interprétation des œuvres comme le virtuose des notes et l'orfèvre des mots. Dda Cherif «avait toujours la partition dans la tête et non pas la tête dans la partition». Son orchestre est composé d'un très grand nombre de musiciens et d'une chorale constituée de grandes célébrités de la chanson kabyle, comme Ali Ideflalen et Malika Yami. Publications : plusieurs livres ont été consacrés à la vie et l'œuvre de cet artiste. On peut citer, entre autres, celui de Saïd Sadi intitulé Cherif Kheddam. Abrid iggunin. Le chemin du devoir ; celui de Tassadit Yacine sous le titre Cherif Kheddam ou L'amour de l'art. Le cousin de l'artiste, Tayeb Kheddam, a écrit également un ouvrage sur la vie et l'itinéraire de Dda Cherif dans le domaine artistique. Qualités : dans son livre intitulé Cherif Kheddam. Abrid iggunin. Le chemin du devoir, Saïd Sadi a qualifié Dda Cherif d'homme «humble, courageux, bosseur besogneux, mélomane averti, réservé, militant et attachant». Grâce à ses qualités humaines associées à un talent incontestable, l'artiste «fut le quatrième pilier qui a porté la plateforme politique et doctrinale sur laquelle prendra appui la jeunesse estudiantine qui a lancé le Mouvement culturel berbère (MCB), en ouvrant, pour les nouveaux chanteurs, l'école musicale qui a marié l'esthétique et le combat». Radio : en 1963, il rentre de France et il anime une émission pour les jeunes talents «Ighennayen Uzekka» (Les artistes de demain) à la RTA (Radio et télévision algériennes). Il s'agit d'une émission qui était très appréciée par les auditeurs, car son animateur a réussi à dénicher plusieurs artistes auxquels il donnait des conseils et des orientations pour se lancer dans une carrière artistique florissante. D'ailleurs, des chanteurs très connus sont passés par cette émission. Puis, il a assuré plusieurs autres fonctions à la RTA jusqu'à sa retraite en 1988. Sa relation avec la radio ne se limite pas seulement à la RTA puisqu'il a également composé pour Radio Paris, puis pour l'ORTF, plusieurs morceaux exécutés par le grand orchestre de la radio sous la direction de Pierre Duvivier. Scène : la dernière apparition sur scène du maestro en Algérie remonte à 2005, lors d'une soirée grandiose organisée à la Coupole du complexe olympique Mohamed Boudiaf, à Alger. Cherif Kheddam avait subjugué les milliers de personnes venues apprécier et savourer les beaux morceaux de musique de ce maître qui a désenclavé la musique kabyle par son empreinte indélébile. Tahar Boudjeli est le producteur et manager de Cherif Kheddam qu'il l'a toujours qualifié de «ténor de plusieurs générations et représenté une idole et un élément de l'inconscient collectif. Un vrai mythe». «Il avait toujours comme souci majeur d'encourager et d'encadrer les nouvelles générations, pour assurer la relève. Avec ta disparition Dda Cherif, c'est un grand monument qui s'en va, mais tu resteras immortel, à jamais gravé dans nos mémoires», avait déclaré lors de l'enterrement de Dda Cherif qui était l'un des rares artistes kabyles qui ont des managers. Universel : la notoriété du fils de Boumessaoud est ancrée dans sa tradition, celle du chant kabyle, qui sait le sublimer pour en faire un langage universel. Ce chanteur a rencontré des musiciens aussi variés et talentueux que Jean Ferrat, Charles Aznavour et des sommités du Moyen-Orient, à l'image de Mohamed Abdelwahab, Farid El Atrache, Fayrouz et tant d´autres dont il admirait les voix et les mélodies. Il a adopté un style tout novateur qui a enrichi davantage la chanson kabyle. Vedette : Cherif Kheddam est un artiste vedette qui n'a jamais joué à la vedette. Sa simplicité et son humilité ont fait de lui un homme d'une modestie inouïe. World Music : comme le chanteur Idir, qui est nommé dans l'hexagone comme la star de la World music, Cherif Kheddam est également un autre Algérien qui s'est distingué par les formes musicales modernes adaptées à son œuvre et qui dénotent de la richesse de son répertoire. Dda Cherif a fait connaître la chanson kabyle à l'extérieur du pays. Yellis n tmurt iw (Fille de mon pays) : est la première chanson enregistrée sur un disque 78 tours qui a rencontré un franc succès. Et ce, avant de se lancer dans la production artistique avec d'autres textes dont la teneur musicale est envoûtante. Il a, d'ailleurs, chanté, entre autres, A tilawin (Les femmes), Bgayet telha (Béjaïa est belle), Sligh i yemma (J'ai entendu le cri de ma mère), Anda lulegh (Ma région natale), Leghourva (l'émigration), Nadia, Leḥbab (Mes amis), Ledjerh mazalith (la blessure est toujours béante), Tirga ufennan (Le rêve de l'artiste). C'est en 1956 qu' il a commencé à faire parler de lui avec la sortie d'un disque où l'on trouve des textes qui donnent au public des frissons comme A Yeliss Netmouthiou, Lemri. Dda Cherif a chanté avec une musique où se distingue cette touche de raffinement dont manquait le patrimoine local. Il a abordé plusieurs thèmes, comme l'amour, l'exil et la misère sociale. Zenith : lors d'un concert qu'il a donné en 2005, l'assistance présente dans la salle du Zenith de Paris s'est régalée avec une prestation magistrale de l'artiste qui avait remis au goût du jour ses belles mélodies. En 1996, à Paris aussi, Cherif Kheddam avait tenu la palme, celle d'agrémenter le public d'un spectacle mémorable au Palais des Congrès. La présence de Matoub Lounès avait agréablement surpris l'assistance. C'était la rencontre de deux géants de la chanson kabyle.