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Abderrahmane Krimat L'homme à la caméra
Publié dans El Watan le 19 - 01 - 2018

Certains Algérois connaissent sa grande silhouette dégingandée dont l'œil en éveil vit derrière une caméra. Mais avant d'œuvrer parmi les Algérois (Rêves et cauchemars, 2017, La présence de l'absent, 2014), de leur poser la question sous-jacente à tous ses films – le rapport entre tradition et modernité -, Abderrahmane Krimat a d'abord été connu des Touareg nomades (Une simple visite, 2009), des Kabyles, (Tadjmaât, 2011 repris en 2013). Ce sont donc différents visages d'une Algérie en transition que le documentariste laisse venir et auxquels il donne une forme empreinte d'empathie et toujours plus complexe avec le temps.
Les matériaux de base : tradition et/ou modernité ?
Appartenant à la génération qui avait vingt ans dans les années 90', A. Krimat s'en souvient comme d'un cauchemar ; il y a en cela l'amertume d'un moment de vie irrémédiablement volé, une jeunesse qui a survécu aux traumas mais en intériorisant la défaite de l'humanité et la question sur laquelle elle bute inlassablement : comment cela a-t-il été possible ? D'où, comme un leitmotiv lancinant, cette question posée : qu'a-t-on perdu ? qu'a-t-on gagné dans la modernité.
Ce questionnement insistant depuis 2009 n'a rien perdu de sa pertinence dans la phase actuelle. Dans les années 90', le premier texte porte sur le mérite et l'ingratitude La motivation d'une simple visite est du même ordre : les Touareg nomades ne sont pas suffisamment considérés étant donné leurs apports à la civilisation conçue comme modèle de culture universalisable : le film à travers les séquences consacrées à l'eau ou aux pâturages donne à voir cet aspect essentiel du nomadisme qu'est l'économie des moyens .
Mais c'est aussi un autre aspect que porte le documentaire : la sédentarisation, l'achat d'un appartement marque la fin d'un mode de vie séculaire. Comment elle est justifiée par les Touareg nomades eux-mêmes ? Comment pensent-ils ce passage à la modernité ? A. Krimat leur laisse la parole : pas de voix off.
Avec Tadjmaât, c'est un espace social en voie de disparition qui est analysé : Tajmaât, c'est cette forme d'assemblée parfaitement démocratique en ce qu'elle met tous les vieux d'un village sur le même pied d'égalité pour administrer la commune, rendre la justice, mais qui, dans le même temps, exclut les femmes ou les jeunes.
Le renoncement à ce passé, à un pouvoir patriarcal masculin, semble inéluctable mais A. Krimat pose néanmoins la question de ce qui peut en être sauvé, notamment l'idée d'une démocratie locale entre pairs (sans exclure ni les femmes ni les jeunes). L'association est-elle un moyen de dépasser l'individualisme contemporain ? Un des personnages dit : «Autrefois, la vie avait un sens, il y avait le respect et la fraternité».
Dans La présence de l'absent, A. Krimat s'intéresse à la génération née dans les années 70' ; il pose la question de savoir comment le passé nourrit le présent ; le présent est défini comme le fait de «garder ce qui est vital et vivant et de s'éloigner du mort et du mortel» : ainsi, une jeune designer qui a fait fortune depuis explique comment elle garde certains motifs, éléments de tradition pour les réintroduire dans une économie aux standards internationaux, tandis que le compositeur et chanteur Louhi Ouahcen explique, de son côté, l'adaptation à la musique enregistrée.
Les individus choisis dans ce film représentent différents socio-styles, ne partagent pas la même vision du passé ni de l'avenir : conservateurs, partagés ou ouverts, ils incarnent différents points de vue par rapport à la modernité et la tradition.
Dans le quatrième film Rêves et cauchemars, ce sont tous les traumatismes de l'Algérie et du monde qui hantent le documentariste comme ils hantent la conscience collective : intériorisés par différentes générations, les traumas posent la question non seulement de leur reconnaissance, condition sine qua non d'un dépassement (au cœur du film, un colloque porte sur cette question), mais aussi celle d'une identité, du choix d'un avenir dans le présent surdéterminé d'une situation post-coloniale.
Définitivement, progrès technologique et progrès dans l'humanité ne vont pas de pair. Mille et une raisons battent en brèche l'union rêvée ; le chacun pour soi, l'égoïsme prennent trop de place dans la modernité sans qu'aucune alternative solide surgisse.
L'affirmation d'un style : la prégnance du sonore
Pour autant, il ne suffit pas de poser des questions ; même si le documentaire a comme vocation d'informer et de témoigner, sa force est aussi d'émouvoir par le montage. L'esthétique des films de Abderrahmane Krimat se reconnaît au soin qu'il y apporte tant du point de vue des plans que de la place du sonore : tout compte, aussi bien le cadrage, les couleurs que le son.
Le cadre délimite la réalité : dans les premiers films, la présence du documentariste est seulement sensible dans les choix qu'il fait : pénétrer sous la tente, assister à une assemblée, laisser un personnage s'exprimer dans les lieux qu'il habite, tout est donné au spectateur sans jugement.
Pour A. Krimat, «il n'y a pas de vérité dans l'art». Le compte-rendu qu'il fait de l'Algérie actuelle est ce qui compte. Mais ce compte-rendu dans son objectivation de la réalité n'est pas exempt d'effets propres au dépouillement. Formé à la photographie, A. Krimat affectionne les plans fixes : sa caméra s'attarde sur les paysages naturels ou urbains, comme ce point de vue insolite sur Alger.
Mais ce sont aussi les images de la Kabylie, chaînes de montagne et villages accrochés aux arêtes ou des longues steppes, plans resserrés sur les tentes et les tissages des couvertures qui, en même temps qu'ils contextualisent le propos, informent la sensibilité du spectateur. A. Krimat insère aussi dans le film les photographies de Maude Grübel dans la Présence de l'absent. D'un film à l'autre, le documentariste se sert de chutes pour illustrer le propos qu'il tient tant la question du rapport entre tradition et modernité le hante.
L'homme à la caméra se montre ainsi dans Rêves et cauchemars en train de travailler sur sa table de montage car c'est là que s'élabore son point de vue dont on peut suivre l'évolution, peut-être même à son insu : si l'on considère les quatre films produits, on peut percevoir l'adieu progressif à la nostalgie d'un passé où la vie aurait été plus solidaire et la confrontation à un présent dans toute sa diversité : de cela, La présence de l'absent est le plus emblématique puisque trois points de vue s'y alternent : conservateur, en passe d'intégrer la modernité (le musicien Louhi Ouahcen) non sans regretter le rôle que joue l'argent dans les studios d'enregistrement, la modernité assumée de la jeune designer.
Les images qui accompagnent cette interrogation sur ce que l'Algérie prend de la modernité, ce sont celles de la mer, les filets sur le port de pêche, les petites barques traditionnelles et les cargos patientant pour entrer dans le port, avec les conteneurs provenant de tous les pays du monde.
La mondialisation est donnée comme un constat, la mer est à la fois lieu de rêves et d'imaginaires que la beauté des images ancre dans les mémoires. A côté de l'image visuelle, l'image sonore s'impose de plus en plus dans le montage: dans Rêves et cauchemars, le choix des musiques montre un goût éclectique : Chopin, Beethoven mais aussi quelques extraits de touchia de chaâbi.
Pour autant, là n'est pas le plus caractéristique du montage sonore : on retient plus volontiers les chansons graves de Louhi Ouahcen, mais aussi et sans doute surtout les poèmes de Abderrahmane lui-même : la voix particulière du réalisateur porte des textes dont les rythmes sont ceux des slameurs : forme d'expression particulièrement actuelle mais qui n'est peut-être pas sans rapport avec le goût pour la poésie telle qu'elle était pratiquée en Kabylie, poésie populaire traduisant les sentiments au quotidien
Poésie et fond sonore
A. Krimat a commencé à écrire avant de passer à l'image : son premier texte en 1992 exprime le désarroi de sa génération, celui de 2017 exprime aussi le sentiment d'un temps volé ; c'est le compositeur L. Ouhacen qui lui avait demandé de lui écrire un morceau en français pour une chanson en kabyle. Le slam comme récitation rythmée donne un tonalité particulière à certaines séquences, qu'elles soient d'ouverture, Alger une nuit d'orage, de transition, sur une route enneigée de Kabylie ; il crée et scande les moments forts qui alternent la beauté de la récitation dans le vide et ceux où le slam se moule sur le rythme des images.
Sombre, pressé de vivre, le timbre de la voix d'A. Krimat porte les questionnements de l'Algérie contemporaine : «Dis ! Dis à ceux avides de nouvelles, insatiables d'explications. Dis que tu conjugues le singulier au multiple ; que l'apparente similitude débusque toujours un univers contrasté.
Tel que je le suis, tels que le sont mes semblables/Dis leur que je pèse toujours sur ce siège, les kilomètres avalés alourdissent un cœur blessé, une plume qui ne parvient plus à se faire l'interprète d'un monde, d'un environnement devenu étranger aux mots mêmes. Les images défilent et se confondent, entre le superficiel et le profond, certaines arrivent subitement ou doucement en même temps, d'autres se dissipent brusquement ou lentement.
Les visages et les voix racontent au mieux cette réalité qui se refuse aux mots. Ils sont dans ce film un fragment de ce que je suis, ce que je vois et vis. Un morceau de ma vie, façonnée dans un plan, tissée en calligraphie, à la poésie la fin correspond/Dis-leur que je vis un réel formé par deux fictions.» Dans cette jonction se mêlent modernité et tradition, douleur et jouissance construction et destruction.


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