La dernière sortie de Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH), invitant les familles des disparus à « tourner la page » et déclenchant du coup leur indignation, renseigne sur la rupture entre les officiels et les représentants des familles de victimes. Cette rupture intervient après quelques timides tentatives des pouvoirs publics de regarder en face le drame des 8024 disparus, selon les chiffres officiels (ils seraient 20 000 selon plusieurs ONG). La thèse de Ksentini est toute faite : sur le plan civil, l'Etat est responsable mais pas coupable des disparitions, et « sur le plan intellectuel, la demande de vérité sur les disparitions est parfaitement concevable et logique, mais, dans la pratique, elle est irréalisable », puisque, selon lui, « comment identifier, plus de dix ans après, des agents de l'Etat qui se sont rendus coupables de ces disparitions ? » « C'est parce que justement aucun travail de justice n'a été fait sur des milliers de cas documentés et précis », indique-t-on chez les proches de disparus dont les ONG disposent de plusieurs milliers de témoignages précisant les circonstances, les noms des responsables de l'arrestation, des noms de témoins, les lieux de détention, etc. La déception est d'autant plus grande chez les ONG algériennes puisque l'Etat a émis des signes d'amorcement de dialogue dont le plus significatif s'est manifesté à Genève en Suisse en mars 2009. La présence alors à une rencontre sur les droits de l'homme en Algérie, d'un représentant de la très officielle CNCPPDH accompagné de Salah Djenouhet de l'UGTA (le syndicat officiel) comme « représentants de la société civile » aux côtés de SOS Disparus, du Comité des familles des disparus en Algérie (CFDA), de Somoud et de Djazaïrouna, un fait sans précédant, laissait présager qu'Alger était disposé à ouvrir un canal de dialogue avec des ONG tant décriées par les officiels et souvent interdites d'expression. A Genève, les participants à la conférence « La vérité en Algérie : bilan et perspectives un an après les recommandations onusiennes » avaient salué, dans leur déclaration finale, cette présence officielle qualifiée de « première ». Certain avaient même espéré qu'il s'agissait d'un signe avant-coureur d'une marche arrière dans l'application de la charte pour la paix et la réconciliation, qualifiée par Madjid Benchikh, professeur de droit émérite, d'un texte qui « établit un système de sanctions, de réparation, d'absence de poursuites sur la base d'une vérité que seul l'Etat a décidée ». Mais les récentes dénégations de Me Ksentini remettent les pendules à l'heure de l'orthodoxie officielle : les disparitions forcées sont le résultat de bavures individuelles, impossibles à dépister. Car là est le vrai enjeu des déclarations de Me Ksentini : démentir le moindre caractère systématique des disparitions forcées dont les auteurs sont des agents de l'Etat. Le droit international, spécifiquement la déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l'AG de l'ONU en décembre 1992, qui précise que « la pratique systématique » de la disparition forcée « est de l'ordre du crime contre l'humanité ».