Qui dirige l'Algérie : le Président, l'armée, le pétrole ou l'Occident ? C'est le pétrole qui préside aux destinées du pays depuis sa découverte par les Français en 1956 jusqu'à son épuisement par les Algériens dans un avenir jugé très proche, soit 2030 selon les prévisions officielles. L'Algérie n'existe et ne vit que par le pétrole. Il est l'eau bénite des économies occidentales florissantes et le purgatoire des sociétés arabes décadentes. C'est le dieu des temps modernes. Avec le pétrole, tout problème posé a une solution budgétaire (en hausse ou en baisse). «Les hommes ne sont que des cerises sur le gâteau». Un historien géographe avait décrit l'Algérie comme un «gros ventre et une petite tête», Le gros ventre est l'immense «poche» saharienne. La petite tête est la bande côtière qui donne sur la méditerranée (1200 km). Une mer dans laquelle les poissons se nourrissent de la chair humaine pour être servis dans des plats argentés dans les restaurants huppés sur les hauteurs d'Alger. Avec le ventre plein, la tête chante, les mains applaudissent, les pieds dansent, la terre tremble… la fête continue… Avec son ciel bleu immense et ses espaces désertiques infinis, l'Algérie était méconnue jusqu'à ce que surgissent de ce sable stérile le pétrole et le gaz. Il va être ce «pot de miel» de l'Etat algérien indépendant qui sera disputé à l'intérieur du pays par les clans rivaux pour qui «le dernier de nos ânes vaut mieux que le premier de vos chevaux». Il sera convoité à l'extérieur par les puissances étrangères dominantes pour qui «l'Algérie n'est qu'un drapeau planté sur un puits de pétrole». Le pétrole permet d'affirmer sa légitimité sur la scène internationale et d'imposer son diktat à la population sur le plan interne. Il bénéfice d'une garde rapprochée et de la sympathie des grandes puissances. Il permet une longévité plus grande à la tête de l'Exécutif. Les revenus pétroliers et gaziers sont dans l'Etat, dans la tête de ceux qui pensent être l'Etat. Qui s'approprie l'Etat s'accapare des richesses de la nation et décide de leur affectation en fonction de ses intérêts stratégiques. Le pétrole est présent dans le prolongement de la lutte de Libération nationale, dans la préparation et le lancement par la France du Plan de Constantine, dans les négociations menées avec la puissance coloniale, dans l'édification de l'Etat algérien naissant. Il est le fondateur du régime politique et le réalisateur du chaos économique de l'Algérie contemporaine. Il est à la base de l'orientation socialiste (gratuité des soins, école obligatoire, usines clés ou produits en main) dans les années 70'. Il sera le promoteur du «programme anti-pénurie» (équipements électroménagers destinés aux ménages, allocations touristiques pour tous les Algériens) au cours des années 80'. Il sera le détonateur de la guerre fratricide dans les années 90' (émeutes en 1988, décennie paix retrouvée après dix ans de guerre civile), il sera l'artisan de la paix civile dans les années 2000 (une pluie diluvienne de dollars s'est abattue sur l'Algérie ensanglantée nettoyant toute trace de sang sur son passage). Il sera enfin un acteur de démocratisation et d'amplification de la corruption dans la société (multiplication et étouffement de nombreux scandales et de détournements de fonds publics). Il est l'architecte de la construction d'une économie illusoire et le bâtisseur des institutions factices. C'est grâce à lui que le pays fonctionne et que l'Etat est fragile, le pouvoir invincible. La rente pétrolière et gazière empêche quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge. C'est un stabilisateur du régime politique, un inhibiteur de la jeunesse, un serviteur capricieux de la paix sociale. Il est responsable de la décadence morale de la société et masque l'indigence de l'économie. Il va donner naissance à une économie rentière par la centralisation des ressources nationales adossée à un régime politique autocratique par la concentration du pouvoir de décision. Il va empêcher le développement d'un secteur productif performant et la formation d'une société civile autonome. Il va conduire à un autoritarisme stérile du pouvoir et à une dérive fataliste de la société vers le religieux et la corruption. Le pétrole mène vers l'égarement. Le boom pétrolier qu'a connu l'Algérie illustre parfaitement la cohabitation entre la permanence d'une misère morale endémique et l'existence de ressources financières abondantes. Don de Dieu, ou excrément du diable ? «Urine du pouvoir», ou «sang des martyrs» ? Ceux qui ont planté l'arbre de l'indépendance avec leur sang ne savaient pas avec quelle eau il allait être arrosé : l'eau de pluie ou le pétrole saharien ? L'eau, c'est la vie sur Terre ; le pétrole, c'est l'enfer dans l'âme. «On juge un arbre à ses fruits et non à ses racines». A la fin des années 50', après la découverte du pétrole au Sahara et la perspective imminente de la fin de la guerre, les nationalistes de la dernière heure tenaient le discours suivant à l'endroit de la population autochtone : «Aidez-nous à avoir l'indépendance et vous toucherez votre salaire chez vous, c'est-à-dire sans travailler». L'Algérie actuelle ne vit que grâce aux recettes des exportations pétrolières et gazières. Une évidence qui crève les yeux, mais pas l'abcès qui ne fait qu'enfler. «Le ver est dans le fruit». C'est une ressource financière abondante et versatile avec laquelle l'Etat tient en otage la population (sa survie étant dépendante des importations décidées par l'Etat) et affiche sa légitimité et sa solvabilité auprès des partenaires étrangers. Une rente pétrolière et gazière que l'Etat ne peut maîtriser ni dans sa durée ni dans son amplitude. Elle est fonction des quantités mises sur le marché international et du cours du baril pratiqué dans les transactions avec les partenaires. Celui-ci oscille entre un prix plancher convenu entre les multinationales devant couvrir les coûts d'exploitation des vieux puits américains en activité et un prix plafond devant amortir les frais de recherche, de prospection des nouveaux gisements engagés par les firmes. Entre les deux, c'est la loi de l'offre et de la demande. Le marché s'est substitué au ciel et le dollar américain à l'eau de pluie. Il est admis que le prix du brut est un baromètre de la santé de l'économie mondiale et un facteur de stabilisation des régimes politiques menacés. L'objectif de l'Occident, c'est la sécurité des approvisionnements en énergie. Il y va de la survie de la civilisation du monde moderne. Le prix est une arme redoutable de domestication des peuples et d'asservissement des élites au pouvoir. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l'infini le système mis en place. C'est dans la pérennité des régimes autocratiques que l'Occident trouve sa prospérité et sa sécurité. C'est pourquoi la liberté des peuples est inversement proportionnelle au prix du baril. Plus le prix est bas, moins il y a d'importations, plus les pénuries s'installent, des émeutes éclatent, la répression s'abat sur la population, les marchés se referment, la récession s'annonce, le FMI pointe son nez, la spirale de l'endettement s'engage, les peuples se plient, l'Occident vient à la rescousse. Les crédits se débloquent, les fonds affluent, le régime menacé retrouve sa santé. Le prix du brut connaît une hausse, les pays producteurs de pétrole relancent les exportations des biens manufacturés des pays industriels, la croissance de l'économie mondiale reprend. Ainsi, l'Occident donne d'une main ce qu'il reprend de l'autre. «El manchar, habet yakoul, talaa yakoul». En cas de surplus, il est placé dans les banques étrangères au nom de l'Etat et/ou des particuliers. Les Algériens n'ont pas suivi le conseil koweitien : «Le pétrole dans le sol vaut mieux qu'un dollar en banque». Les gouvernants ont préféré le placer en bons de Trésor américain un peu moins liquide que le dollar, mais plus rentable sur le plan des relations. L'intérêt de l'Occident ne se trouve pas chez les peuples, mais dans les Etats. Des Etats créés par la colonisation pour les besoins des pays grands consommateurs d'énergie non renouvelables. Les Etats arabes et africains n'existent que parce qu'il y a du pétrole, du gaz ou autres matières convoitées sur leur territoire. Les peuples qui y habitent sont considérés comme des troupeaux de bétail dont on confie la garde à un berger, généralement l'idiot du village ou le serviteur docile que l'on arme d'un bâton, à qui l'on demande, lorsque le prix du baril chute, de les amener à l'abattoir et quand il flambe de les ramener aux pâturages. Pour l'Occident, le pétrole est une des choses sacrées sur Terre, personne n'y touche, il y va de la pérennité de la civilisation occidentale et de la décadence spirituelle des Arabes égarés. Le pétrole est la base sur laquelle la civilisation moderne s'est construite. Il est le carburant de la prospérité des nations, le moteur de la mobilité sociale, un accélérateur de l'histoire, un frein aux religions monothéistes et un levier de commande de la liberté des peuples. L'histoire et la géographie se rejoignent en Algérie. «Il y a trop d'eau, trop de froid, et pas assez de pétrole dans les pays froids et pas assez d'eau, trop de chaleur et plein de pétrole dans les pays chauds. A part ça, Dieu n'est pas alcoolique» (de Claude. Frisoni). La Terre est une, dieu est un, l'humanité est multiple. En Algérie, la nationalisation des hydrocarbures a permis la mise en place d'un système de gouvernance clanique militaro-rentier qui se passe royalement d'un Etat de droit et d'une économie productive du moment qu'il dispose d'une manne financière qui dispense les Algériens infantilisés de travailler et les dirigeants de la responsabilité de la gestion. Une économie de bazar et une population infantilisée font amplement l'affaire, une affaire juteuse. Un Etat financé par la rente et non par l'impôt. Il repose sur l'armée et non sur la société civile. Le pétrole cimente la société à l'Etat. Un Etat providence dévié de sa trajectoire pour duper la population et un Etat écran servant de vitrine pour la passation des contrats publics à bénéfice privé avec les partenaires étrangers. Le pétrole et le gaz aiguisent les appétits des nationaux et des étrangers. Mirabeau disait : «La corruption est dans l'homme comme l'eau est dans la mer». La corruption fait partie de l'économie moderne. Nul n'est épargné. Elle est visible dans les dictatures et les monarchies arabes et africaines et invisible en Europe et aux Etats-Unis. Les deux évidemment se tiennent la main mais en dessous de table. Sur la table, il y a la démocratie et les droits de l'homme ou plutôt de la femme. Une femme que l'on veut l'égale de l'homme et non son complément. Il n'y a pas de mâle sans femelle, comme il n'y a pas de corrupteurs sans corrompus. L'islamisme a été dilué dans un baril de plus de 100 dollars et le terrorisme noyé dans une mer sans eau. L'argent a eu raison sur les ambitions des islamistes d'accéder au pouvoir par l'instrumentalisation de la religion. D'ailleurs, «les arabes ne veulent plus aller au paradis le ventre vide» (même s'ils devaient pactiser avec le diable pour le remplir !). D'ailleurs, ils ont cessé de regarder le ciel, ils ont les yeux rivés sur l'écran. Un écran en couleur et non en noir et blanc comme l'enfer ou le paradis Il est joyeux et non lugubre, attractif et non répulsif, il est nu et non en hidjab, il est en liberté et non emprisonné. Il est virtuel et non réel. Il nous fait rêver éveillés. Il est disponible H24. On le transporte partout avec nous-mêmes dans les endroits les plus intimes. D'ailleurs, il n'y a plus de jardin secret, tout se partage, y compris le lit. C'est une arme redoutable, elle atteint l'âme. L'argent n'a ni sentiments, ni patrie, ni religion. Là où il va, il est chez lui. Et partout on déroule à ses pieds le tapis vert. La couleur du «paradis». Les financiers n'ont aucun patriotisme, leur seul but est le gain. Tous tendent la main aux pétrodollars en fermant les yeux. «La main qui donne est au-dessus de celle qui prend». Qui osera mordre la main qui le nourrit même si elle est pourrie ? L'économie rentière est la base sur laquelle reposent les régimes arabes et la prospérité occidentale. «On ne crache pas dans la soupe ». Le pétrole a transformé le pays en une vaste caserne à ciel ouvert où chacun attend son virement du mois en fonction de son grade et de sa disponibilité à servir loyalement ses supérieurs. Le pétrole dans sa gouvernance est informé par le renseignement et protégé par l'armée dans le fonctionnement et la pérennisation du régime en place. Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s'interroge : que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ? Animés par des hommes qui n'ont pour tout programme : «J'y suis, j'y reste», ou «ôte-toi de là que je m'y mette». L'un a l'argent et le fusil, l'autre a le verbe et la rue. Ni la rue ni le fusil ne peuvent se passer de l'argent du pétrole et du gaz. La cerise ne fait que trôner sur le gâteau. C'est une garniture interchangeable au gré des appétits et des fantaisies des uns et des autres. Dans toute cerise se cache un noyau dur. Chez chaque homme sommeille un diable. Le diable est devenu plus percutant ; il ne tente plus par la pauvreté mais par la richesse. Une richesse illusoire (paradis des yeux et enfer de l'âme). Il est rusé et charmeur. Il ensorcelle. Quand la ruse plane au sommet, l'intelligence rase les murs. «On dit que l'argent n'a pas d'odeur, le pétrole est là pour le démentir». C'est un argent qui distrait, qui abrutit, qui avilit, qui tue, qui achète, qui corrompt, qui pourrit, qui détruit y compris les consciences. L'argent facile envoûte, captive. Il n'épargne personne. Tous lui tendent la main. L'administration, l'armée, la justice, les médias, la population sont tous à sa dévotion. Tous lui obéissent au doigt et à l'œil : le juge, le médecin, le professeur, le douanier, le policier. Sans lui, nous sommes nus. L'argent du pétrole nourrit, habille, loge, soigne, enrichit, il arme, il finance, il renseigne, il protège, il condamne, il voyage. Il est partout et personne ne peut se passer de ses dollars : le socialisme, l'autoritarisme, l'islamisme, le terrorisme, le libéralisme. Le règne sans partage du pétrole sur la société et sur l'économie nous interpelle : est-ce la rançon d'un pouvoir et/ou l'indigence d'une population ? Cent trente ans d'occupation coloniale ont produit un «peuple vaillant pieux», affrontant, les mains nues, les forces de l'OTAN. Un peuple fier et digne qui ne quémandait pas sa nourriture au colon qui l'exploitait à outrance. Il mangeait son propre pain à la sueur de son front. Un pain fait maison à partir des ingrédients du terroir que lui-même a produits. Il buvait du lait de chèvre et se soignait avec des herbes. Il ne connaissait ni diabète, ni tension artérielle, ni maladies cardiaques. Cinquante d'indépendance l'ont réduit en un «peuple nourrisson» qui court derrière le sachet de lait importé De quelle dignité peut se prévaloir un peuple infantilisé ? Le prix d'un sachet de lait ? D'une baguette de pain ? Les revenus pétroliers et gaziers donnent l'illusion aux Algériens d'une mère nourricière éternelle les condamnant ainsi à la dépendance et à l'infantilisme. Le sein maternel nourrit le bébé de la naissance à l'âge de six mois. Le pétrole le prend en charge du berceau jusqu'à la tombe, du biberon jusqu'au linceul. Le geste d'allaiter renforce le lien entre la maman et le bébé. La distribution des revenus pétroliers par l'Etat sous forme de subventions, de salaires, de pensions ou de licences d'importation crée un lien de dépendance pathologique. La mère porte l'enfant, le père le protège. Le sein maternel répond aux besoins nutritifs, le père de ses besoins relationnels. C'est le père qui permet à l'enfant de sortir de la fusion avec la mère et une fois adolescent de pouvoir s'opposer à lui pour devenir adulte. En Algérie, le père a failli. Il ne veut pas le reconnaître. C'est un narcissique. Les dirigeants algériens ont su faire croire au peuple algérien meurtri dont les blessures n'ont pas été cicatrisées que la providence se trouve au sommet de l'Etat et non dans le sous-sol saharien. Ils ont «décidé», de bonne ou de mauvaise foi, d'assurer le bien-être de la population en s'attribuant d'autorité le rôle de distributeurs des richesses et des revenus pétroliers et gaziers par la promotion d'un Etat providence : «me lehitou bakhalhou» Là où il y a la carotte, le bâton n'est pas très loin. Un Etat doté d'un double monopole, celui de l'argent et celui de la violence légale. De quelle légitimité peut se prévaloir un Etat qui enrichit les uns et condamne les autres. Quel est le mérite des Algériens milliardaires en pétrodollars, et quelle est la faute des handicapés qui touchent 3000 DA par mois ? Pourtant, c'est la même «djefna». Pourquoi les uns ont droit à la viande et la majorité à la semoule ? D'où ce cri de révolte et ce sentiment de frustration. C'est grâce à la rente pétrolière et gazière que l'Algérie fonctionne et qu'elle est reconnue sur le plan international. A présent, l'Algérien sait que c'est le sous-sol saharien qui garantit son salaire et non l'Etat qui s'en sert comme faire-valoir. Il s'est prêté au jeu. Il s'est dit : «Avoir un salaire est un droit et que travailler c'est rendre service». Alors, il «fait semblant de travailler et l'Etat fait semblant de le payer». Une grande comédie dans un théâtre à ciel ouvert où les rôles sont distribués d'avance en fonction de la proximité au pouvoir. Les compétences étant mises aux vestiaires. Cinquante ans d'indépendance ont rendu nos enfants analphabètes dans les trois langues (arabe, français et tamazigh). On découvre que les diplômes de l'Etat ne débouchent pas sur des emplois productifs, que le travail de la terre a été enterré, que les usines sont transformées en entrepôts, que le pays n'est pas gouverné, que nous vivons exclusivement de l'argent du pétrole et du gaz. «Qui va renverser la marmite dans laquelle la population s'est largement alimentée les uns plus que les autres du fait de leur proximité ? Qui va oser prononcer une fatwa déclarant l'argent du pétrole et du gaz haram ? Le pétrole a irrigué l'Algérie pour la rendre désertique et pousser ses habitants à la quitter à bord d'embarcations de fortune. Les Algériens sauront-ils se retrousser les manches et investir utilement ? Le sociologue et homme politique Mustapha Lacheraf avait prédit dans les années 70' qu'il arrivera un jour où l'Algérien ne saura pas tenir un balai ; nous y sommes déjà. L'Algérien est resté bloqué à l'âge infantile. Il a la tête d'un enfant dans un corps d'adulte. Il est le produit d'une mère nourricière généreuse (le pétrole) et d'un père violent narcissique (l'armée). Tiraillé entre un réel frustrant et un virtuel enchanteur, il hésite entre rester, c'est la folie, ou partir c'est le suicide. Traumatisé par la violence du père, l'Algérien s'est attaché viscéralement à la mère. Il fonctionne plus à l'émotion qu'à la raison. Il est peu porté à la logique (physique, mathématiques, chimie) et très sensible à la bonne parole (religion, radio, télévision). Une parole qui amuse, distrait, endort et invite aux rêves et à l'évasion. Aujourd'hui que le sein se tarit et que le bras se relâche, la mère s'affole, le père absent, qui osera le sevrer ? Il sera aussitôt mordu. On ne joue pas avec le feu, on risque de se brûler. Le feu prend de toute part et l'eau se raréfie. «Qui réunit l'eau et le feu, perd l'un des deux». L'argent ou le pouvoir ? De quelle légitimité peuvent se prévaloir les fortunes privées en dehors de l'argent du pétrole ? Que vaut la probité d'une élite qui a bâti son pouvoir sur la corruption généralisée de la société ? Un pouvoir que l'élite s'acquiert sur un peuple au moyen de sa dégradation morale. C'est bien la décadence des mœurs qui fait le lit des régimes autoritaires en terre d'islam sous les quolibets des «gardiens du temple». Au nom du développement économique et de la paix sociale, les gouvernements successifs ont dilapidé en toute légalité et en toute impunité les ressources pétrolières et gazières dans le but de se perpétuer au pouvoir. Mais à quel prix ? Au prix de l'assèchement des puits et de la décadence des mœurs. Tant pis pour les générations futures, elles n'ont pas participé à la guerre de Libération nationale. L'Etat, ce n'est pas un météorite tombé du ciel pour faire le bonheur des hommes sur Terre. C'est une invention des hommes, des hommes éclairés, faisant de l'Etat de droit un substitut à l'autorité de l'Eglise. L'argent du pétrole a remplacé la providence divine au regard de l'homme crédule. Il a obtenu la soumission de la population et le soutien des puissances étrangères. Il est devenu incontournable. Il a dilué l'islamisme dans un baril de 150 dollars. Il a calmé les jeunes contaminés par le Printemps arabe. Il est à l'origine de toutes les fortunes acquises en dinars et en devises. Il empêche les gens de pratiquer leurs métiers, d'investir de façon rationnelle ou de produire des biens et services en dehors des sphères que contrôle l'Etat. Bref, il fait de la politique, de l'économie et de la diplomatie. «Jamais il n'a été aussi facile de gouverner qu'aujourd'hui. Autrefois, il fallait chercher avec finesse par quelle monnaie on devait marchander les gens ; aujourd'hui, tout le monde veut de l'argent» ; Alphonse Karr. Ce sont les pétrodollars qui dirigent le pays et lui donnent sa substance et sa stabilité. Les gouvernants arabes ne sont là que pour rendre le gâteau appétissant. La cerise est une douceur de la vie qui fait oublier à l'homme le goût amer du noyau annonçant la mort. Au crépuscule de leur vie, les dirigeants arabes et africains s'accrochent au pouvoir comme si le pouvoir s'identifiait à la vie. Et toute vie est liée au sexe. Le pouvoir est un sexe en érection. C'est l'acte de domination de l'homme sur la femme. C'est le pouvoir du chef sur la tribu. Coincés entre le refus de la mort et la perte du pouvoir, désemparés et pris à la gorge, ils se réfugient dans les bras de satan qui leur murmure à l'oreille : «Quand tu as le pouvoir, tu as l'argent et quand tu as l'argent, tu gardes le pouvoir». L'argent du pétrole et du gaz donne l'illusion aux hommes que le pouvoir est «éternel» et qu'il peut se transmettre de père en fils. Les régimes arabes déclinants sont rongés par le désir sanglant et irrépressible d'une transmission héréditaire du pouvoir (Syrie, Egypte, Libye) à l'instar des monarchies arabes du Golfe (Arabie Saoudite, les Emirats, le Koweït). L'Arabie Saoudite a conclu en 1945 un accord avec les Etats-Unis consistant à livrer du pétrole en quantités illimitées en échange d'une protection militaire et politique durable du régime monarchique saoudien. Pris dans le tourbillon du pouvoir et fascinés par l'argent facile, les dirigeants arabes délirent et se lancent dans des projets pharaoniques afin de s'immortaliser. Dans la tombe, ils chercheraient, disent les mauvaises langues, à «régner en enfer que servir au paradis». Ils s'imaginent que le monde se plie à leur volonté et que les recettes pétrolières vont leur assurer l'éternité. Ils prennent leurs désirs pour des réalités. Ils ignorent qu'ils ne sont là que pour le décor comme cette cerise sur le gâteau. Elle est la dernière à être posée par le maître pâtissier que sont les Etats-Unis. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler cette fameuse déclaration d'Henri Kissinger : «Le pétrole est une chose trop sérieuse pour qui on la laisse aux Arabes». Pour le gouvernement, après le pétrole, c'est toujours du pétrole. Il est le carburant du régime, le ciment de l'Etat, l'opium du peuple. L'Algérie vit de la rente, au rythme du marché pétrolier et gazier. Dès que le cours du brut grimpe, c'est la fête, la grande zerda : le régime festive, l'armée s'équipe, la société s'endort, le monde accourt, les frontières s'ouvrent. Lorsque le prix décline dangereusement, c'est la guerre, la grande «fitna» : le régime déprime, l'Etat se fissure, le peuple se réveille, les étrangers s'en vont, le pays s'isole. C'est la panique, le sauve-qui-peut, la fin approche, les gens préparent leurs valises. Il y a une relation inversement proportionnelle entre le niveau de prix du brut et le niveau de liberté des peuples. Au début de la décennie 1970, la nationalisation du secteur des hydrocarbures et le relèvement des termes de l'échange ont permis l'enracinement d'un régime politique clanique «militaro-rentier maniaco-dépressif» devant survivre aux «événements et aux hommes». Cinquante ans après, ce régime est toujours vivant et en bonne santé. Son credo : «J'incarne le peuple et le peuple est souverain». Sa rhétorique : «L'histoire nous a légitimés, la géographie nous a gratifiés, le marché nous a enrichis, gloire à nos martyrs». Qui peut dire autant dans un pays qui est le nôtre ? «L'opinion ne croit pas ce qu'elle voit, mais voit ce qu'elle croit, elle veut croire». Le pouvoir a commis deux erreurs stratégiques impardonnables : la première est de croire que l'armée est détentrice exclusivement de la légitimité historique de l'accession à l'indépendance du pays, la seconde est de croire que le pétrole et le gaz sont les seules ressources nationales qui permettent de rester aux commandes du pays pour une durée indéterminée sans en rendre compte de leur gestion à personne, même pas à soi-même. «Croire à une chose parce qu'on ne peut pas croire à son contraire, c'est au-dessus de nos forces» semble être la conviction des gens du pouvoir. L'Algérie profonde est segmentée en clans dominés par des personnes physiques influentes, privant l'Etat en tant que personne morale de jouer son rôle régulateur et planificateur. Les systèmes claniques ou tribaux du Maghreb règnent sur leurs sociétés respectives en puisant sur l'expérience des monarchies arabes du moyen-Orient. Pour asseoir sa dynastie, le monarque n'a pas besoin d'un Etat, mais d'une cour, d'une clientèle et non d'institutions. Pour ce faire, il s'entoure de courtisans qui l'amusent et non de collaborateurs qui réfléchissent, de corrompus pour les tenir en laisse et non de vertueux qui lui échappent, de médiocres qui attendent les ordres pour s'exécuter et non des compétents qui débattent des idées avant de décider. Pourtant, «le roi a plus besoin des conseils d'un sage qu'un sage des bienfaits d'un roi». Le conflit dans les pays arabes est entre les poussées modernistes sociétales et les freins conservateurs des gouvernants. Des dirigeants ayant les pieds en ville et la tête dans le douar, le turban discret pour amadouer le peuple en s'adressant à lui avec ses mots (maux) et la cravate éclatante pour signifier aux Occidentaux : nous sommes des vôtres (le complexe du colonisé). Le pétrole est une arme de corruption massive des sociétés et une assurance tous risques des gouvernants arabes. Dans les pays arabes pétroliers, les monarchies et le clanisme diffèrent sur la forme et convergent sur le fond. L'avènement des revenus pétroliers a permis la concentration des ressources financières et la centralisation du pouvoir de décision entre les mains d'une seule personne. Les monarchies comme le clanisme ont survécu au nationalisme arabe et aux poussées islamistes grâce au marché pétrolier dominé par les Américains. Les régimes claniques et monarchiques sont confrontés à deux problèmes majeurs : l'impossibilité de comprimer les dépenses publiques sans perdre leur légitimité, et l'incapacité de répondre positivement aux cris de révolte de leurs jeunesses les mettant devant leurs responsabilités : «Gardez votre pétrole et donnez-nous du travail !» C'est la nature des ressources qui détermine le régime politique d'un pays. Dans un pays chômé et payé, les institutions sont des coquilles vides. Le clanisme se nourrit de la rente pétrolière. Les deux réunis assurent la stabilité des régimes arabes. La longévité politique exceptionnelle des régimes arabes est une réalité incontestable. Clanisme et monarchie concourent au même résultat : stabilité politique et stagnation économique. La société algérienne organisée depuis des siècles selon une forme patriarcale reposant sur la tribu et le clan dominant. Prenant appui sur la parenté réelle ou supposée, le clanisme fonde toute l'organisation de la société dans sa dimension politique où l'individu ne reconnaît aucune autorité légitime autre que celle de sa famille ou de son clan ou de sa tribu à qui il accorde une confiance absolue et dont il attend une protection et des privilèges. Des individus qui recherchent leurs intérêts communs sans se préoccuper de l'intérêt général. Dans les sociétés modernes, cette notion d'intérêt général est intériorisée dans des écoles spécialisées comme l'Ecole nationale d'administration, les Ponts et chaussées créés à cet effet. L'Etat s'est substitué à l'Eglise et a remplacé les préceptes religieux par des lois de la République. A titre d'exemple, le général de Gaulle, en sa qualité de président de la République française, payait de sa propre poche les timbres concernant sa correspondance privée ; il ne puisait pas dans les deniers publics. Il a libéré la France de l'occupation nazie, il a fait de son pays une puissance nucléaire respectée, il a garanti l'approvisionnement en énergie à bas prix sur plusieurs générations, il a soulagé la nation du fardeau de l'Algérie française et la liste est longue. C'était un homme politique, élu au suffrage universel, pour un horizon temporel limité, agissant dans un cadre constitutionnel de séparation des pouvoirs et des biens. Un homme d'Etat et non un homme de pouvoir. L'image de l'Etat dans la conception moderne est un «costume trois pièces» (législatif, judiciaire et exécutif) et non en djellaba (une seule pièce ample) dans laquelle il est libre de se mouvoir sans passer par un tailleur. Dans les sociétés traditionnelles, les fonctions du chef du clan se confondent avec celles du chef de l'Etat. L'Etat n'étant pas une personne morale mais une personne physique, il se comporte en véritable monarque. Comme l'écrivait Pierre Corneille : «Un véritable roi n'est ni mari, ni père ; il regarde son trône et rien de plus». Il ne gouverne pas, ne gère pas, ne rend pas des comptes. Il a tous les pouvoirs, mais aucune responsabilité. Le contrôle unilatéral de la rente préserve leurs intérêts matériels et moraux dans le cadre d'une solidarité clanique sans faille. Hors de tout contrôle, la rente pétrolière et gazière est devenue une propriété clanique. C'est ainsi que le pétrole va assurer l'osmose entre le régime et l'Etat. Il va favoriser des pratiques maffieuses au profit des clans. En temps de paix comme en période de guerre, dans l'opulence comme dans la disette, les clans ont toujours su trouver un consensus dans la prise de décision et le plus souvent au détriment des populations. «Un compromis, c'est l'art de couper le gâteau de telle manière que chacun pense avoir la plus grosse part». Et dans ce domaine, le dirigeant algérien excelle, c'est un des critères qui préside à sa désignation. Un héritage d'un passé lointain, une réalité du présent, et une projection pour le futur immédiat …