l Chantres autoproclamés des droits de l'homme et des libertés, les grandes puissances n'ont pas intérêt à voir le Soudan déstabilisé. La police soudanaise a encore réprimé hier dans la ville d'Omdurman, voisine de la capitale Khartoum, des manifestants qui protestaient contre la vie chère et dénonçaient la mort d'un des leurs tué la semaine dernière. Lundi, un comité de médecins, membres de l'Association des professionnels soudanais, un groupe en première ligne de la contestation, a annoncé que le protestataire, blessé lors d'affrontements jeudi avec les forces de sécurité à Khartoum, a succombé à ses blessures. Déclenché le 19 décembre par la hausse du prix du pain, le mouvement de contestation populaire demande la chute du régime. Il a fait 26 morts, dont deux membres des forces de sécurité, selon un bilan officiel. Des organisations comme Human Rights Watch et Amnesty International évoquent au moins 40 morts, dont des enfants et du personnel médical. Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays est confronté à une inflation de près de 70% par an. Cela dit, la répression du mouvement contestataire n'a pas suscité l'indignation des pays autoproclamés chantres des droits de l'homme et des libertés. Eux qui ont accusé maintes fois le régime soudanais de tyrannie et décrété en conséquence des sanctions à son égard. Le 30 juin 1989, le général Omar El Béchir, soutenu par les islamistes, prend le pouvoir par un coup d'Etat contre le Premier ministre démocratiquement élu, Sadek Al Mahdi. Il encourage les activités du Front national islamique de Hassan Tourabi. Indifférence et intérêts nationaux Son règne est marqué par des conflits avec le Sud jusqu'à la paix en 2005, et dans d'autres régions, notamment dans celle du Darfour (ouest) à partir de 2003. Ainsi, les relations du Soudan avec l'Occident et l'Egypte, notamment, se détériorent. Le Caire met en cause Khartoum dans l'attentat manqué contre le président Hosni Moubarak le 26 juin 1995 à Addis-Abeba. La Cour pénale internationale (CPI) recherche le président El Béchir pour «génocide dans la province du Darfour (ouest)». Le 26 avril 1996, le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) prend une série de sanctions contre le Soudan. En 1997, les Etats-Unis décrètent un embargo pour le soutien présumé de Khartoum à des groupes islamistes. Le régime a accueilli Oussama Ben Laden. Washington a fini par lever cette sanction en 2017 et relancer, sur de nouvelles bases, ses relations avec Khartoum. Aussi, le Soudan a rejoint la coalition régionale menée par l'Arabie Saoudite contre les rebelles au Yémen, soutenus par Téhéran. La Chine et la Russie entretiennent de bonnes relations économiques avec Khartoum. En parallèle, l'Occident travaille pour la stabilité du pays, car son instabilité risque de déstabiliser la Corne de l'Afrique livrée aux attaques des mouvements islamistes à l'exemple des shebab somaliens. En outre cela compliquerait la crise migratoire à laquelle est confrontée l'Europe. Après la dégradation de leurs relations en 2017, lorsqu'El Béchir a accusé l'Egypte de soutenir des opposants soudanais, Le Caire et Khartoum ont dénoué leurs différends. Dans cet esprit, le Soudan a levé en octobre l'interdiction d'importer des produits d'Egypte, imposée pendant 17 mois. Par ailleurs, quelques jours après le début des manifestations, l'émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, a appelé le président soudanais pour lui offrir son aide. En août dernier, le parti au pouvoir, le Congrès national, a désigné Omar El Béchir candidat à la présidentielle de 2020. Or, la Constitution soudanaise de 2005 limite à seulement deux les mandats présidentiels pour un même prétendant. Mais cela n'empêche pas El Béchir à confisquer la loi et être réélu en 2011 et 2015 avec 94,5% des voix.