Ils s'appellent Maz, Melouah, Dilem, Aider, Slim, Hic, Zinou, Islem ou encore Ayoub. Ils sont impertinents, insolents, critiques et téméraires. Car affranchis, ils se sont défaussés et jurés avec la chape de plomb, les réflexes « orwéliens » du « big brother is watching you » (le grand frère te regarde) et autres pratiques jurassiques de l'Etat, du pouvoir... Ce sont d'anciens et jeunes caricaturistes. Des signatures d'un art pas du tout mineur, apposées sur les journaux algériens tels qu'El Watan, Liberté ou encore El Khabar. Depuis l'avènement du pluralisme de la presse écrite, il y a 20 ans, ils brillent. Leurs dessins suscitent un engouement chez les lecteurs. A telle enseigne, que certains ont pris l'habitude de compulser leur quotidien à partir de la dernière page. C'est dire la place de choix qu'occupe la caricature dans les journaux. Il faut dire que la caricature, proprement dite, jouit d'un grand crédit et pas d'un statut futile et léger, mais plutôt utile et régalien dans la presse algérienne. Ces « snipers » du crayon sont, en fait, des éditorialistes au même titre que ceux du script et du cursif. Car aussi éloquents et percutants. Un regard sans concession ni compromis ou compromission où l'on ne ménage guère le choux (gras) et la chèvre. Une planche… de salut du citoyen, des sans-voix…Un contre-pouvoir civique qui interpelle, alerte, informe et décrie, et ce, pour amender, construire et œuvrer pour les vertus cardinales universelles de justice sociale, de paix, de tolérance… Aussi, le caricaturiste brocarde, raille, persifle et bouscule l'establishment. Politiquement incorrect ! Portraitiste, il brosse, pas sans le sens du poil…à gratter, l'âpre quotidien des Algériens, malmène la nouvelle « engeance » des nantis et l'affairisme et se gausse même du primus inter pares, le président de la République. Quoique Dilem ait eu des problèmes judiciaires pour lèse-majesté « cartoonesque ». Il y a même eu le chroniqueur d'El Watan, Chawki Amari, alors caricaturiste au journal La Tribune, en 1996, qui avait été incarcéré pour un dessin jugé anti-patriotique. L'œil design et compas, il force le trait et… le respect. Un trait vraiment de caractère et au cordeau. Un acquis à l'estampille « hamrouchienne ». Un espoir, une promesse, une fraîcheur ! Entre coup de canif, coup de gueule et coup de cœur, entre fiel et miel, ces caricaturistes croquent l'actualité au grand bonheur des lecteurs et… au grand dam des pince-sans-rire (jaune) des hautes sphères politiques et autres décideurs. La caricature algérienne a eu son heure de gloire au début des années 1990. Une fabuleuse aventure à marquer d'une pierre blanche. Avec le périodique satirique El Manchar (la scie), le « Canard enchaîné » algérien et sa dream team : Melouah (qui animait au sein de ce journal une page intitulée Bourourou, le hibou qui va jusqu'au bout, et dans laquelle il commentait l'actualité en textes et en dessins), Maz, Haroun, Slim, Aider, Kac, Hiahem zizou, Arab, Hankour, Daho, Alilo Dorbane, Gébé. Et sa relève : Dilem, Sour, Fathy, Hic, Benyezzar, Bouss, Aknouche, Ayoub, Abi, Gyps,Dahmani, Beneddine, Nedjmedine… El Manchar tirait, à l'époque, à… 200 000 exemplaires. Un succès phénoménal ! Au lendemain de la folie meurtrière islamiste avec les assassinats ciblés de journalistes et d'intellectuels, El Manchar ne pouvait immanquablement que cesser de paraître, en 1992. Et puis, la profession a eu ses martyrs. Le dessinateur Alilo Dorbane est tué dans l'attentat à la voiture piégée visant la Maison de la presse Tahar Djaout, en février 1996, Brahim Guerroui (dit Gébé), assassiné, le 4 septembre 1995…