Il y a des faits de dimension modeste qui viennent contredire la culture du désespoir, hélas soutenue par tant de phénomènes négatifs en Algérie. Eh bien oui, la volonté d'agir peut parfois renverser la vapeur dominante et enfanter d'une lueur bien concrète et rassurante. C'est ce qui s'est produit samedi dernier au centre de Blida avec la réouverture de la librairie Mauguin, véritable événement si l'on considère l'histoire de ce lieu. Au départ : la plus ancienne imprimerie du Maghreb, créée par la famille Mauguin en 1857, soit voilà 162 ans. Ce sanctuaire des arts graphiques a parcouru ainsi un pan énorme de l'histoire du pays et c'est un miracle qu'il continue à produire de nos jours, s'imposant comme une référence de qualité, davantage par l'esprit de son management et la qualification de ses travailleurs que la modernité de ses équipements. En 1909, alors que l'imprimerie a plus d'un demi-siècle, ses propriétaires lui adjoignent une librairie en son siège, sur la fameuse place Ettout (aujourd'hui place du 1er Novembre 1954). La réouverture de la librairie coïncide donc avec son centenaire. Après l'indépendance, l'imprimerie et la librairie ont poursuivi leur parcours durant plusieurs années avant de péricliter. Jusqu'à ce que le miracle se produise, un miracle humain en la personne d'une descendante du fondateur. Chantal Lefèbvre, femme-courage revenue s'installer à Blida et relancer la maison familiale en pleine décennie noire, qui a pu repositionner favorablement l'imprimerie, rouvrir la librairie et créer les éditions du Tell (du nom du journal local créé par son aïeul) qui se sont distinguées, sous la houlette du défunt historien Djamel Souïdi, par d'intéressantes productions. Le décès de Chantal Lefèbvre en 2015, outre l'émotion qu'il entraîna dans les milieux culturels et auprès des habitants de Blida, sembla sonner le glas de cette aventure séculaire. Mais elle avait eu le temps de préparer son ultime départ et c'est une autre femme, Souhila Lounissi, commissaire aux comptes passionnée de culture, qui reprit le flambeau et de belle manière puisqu'elle a réussi sa «feuille de route» en dépit de difficultés diverses liées à la transition, mais surtout à la situation globale du secteur du livre. La réouverture de la librairie, où avaient lieu dans les années 1990 ces fameuses «Causeries blidéennes» autour de la littérature, de l'art et de l'histoire, vient conforter cette entreprise de sauvegarde et de revivification d'un patrimoine rare dont peut s'enorgueillir la ville, réservoir culturel souvent négligé, mais aussi le pays où la simple ouverture d'une nouvelle librairie est une victoire considérable. Signalons que pour l'occasion, la première rencontre de ce lieu-culte s'est déroulée avec un trio représentatif de la littérature algérienne contemporaine : Maïssa Bey, Mohamed Sari et Mustapha Benfodil dont les dernières créations viennent souligner le talent. La reprise des éditions du Tell n'est pas à l'ordre du jour. Mais sait-on jamais ? Plus les choses paraissent impossibles, plus il est motivant de les envisager. Pour l'instant, l'essentiel est bien qu'après dix ans de fermeture, la libraire Mauguin vienne ainsi récupérer son statut de plus ancienne librairie du Maghreb dans son décor d'origine, offrant des ouvrages anciens et nouveaux et, plus qu'un fonds de commerce, une âme.