Sentant sa mort proche, Chantal Lefebvre, qui gérait l'imprimerie de son arrière-grand-père Alexandre Mauguin, avait déclaré à ses employés : «Prenez soin de l'imprimerie, c'est votre gagne-pain.» Aujourd'hui, on voit que son vœu a été exhaucé. Aprés avoir pleuré la disparition de Chantal Lefebvre décédée il y a deux ans, les Blidéens avaient peur que l'imprimerie Mauguin, qui est la plus ancienne d'Algérie, n'ouvre plus ses portes. Cette imprimerie, qui se trouve à la place du 1er-Novembre (place Ettout pour les anciens habitants de la Ville des roses), reste parmi les symboles de cette ville aux côtés des mausolées de Sidi Yaâcoub et Sidi Abdelkader. Sachant la valeur patrimoniale de cette imprimerie et son importance auprès de tous les Blidéens, le wali de Blida a rendu visite récemment à cette imprimerie et librairie pour encourager ses nouveaux gestionnaires qui tiennent à la continuité de l'aventure de l'imprimerie créée il y a 160 ans par Alexandre Mauguin. Bien que des maisons d'édition telles que celles de Mourad Rodossi, qui éditait le noble Coran décoré avec des miniatures d'Omar Racim, El Baâth ou Ennahdha étaient connues durant le siècle dernier, l'imprimerie Mauguin, qui a été créée en 1857, est la première. Patrimoine de Blida Des sa création en 1857, cette imprimerie s'était très vite lancée dans l'édition en français en créant, en 1864, Le Tell qui fut l'un des premiers journaux d'Algérie. Blida et Place Ettout ont une longue histoire avec la maison Mauguin. Autrefois, tous les cahiers d'écoliers, les images et les bons points que les instituteurs offraient aux meilleurs élèves étaient imprimés chez Mauguin. Fondée par Alexandre Mauguin qui était également maire, cette imprimerie n'a pas perdu de temps pour entrer dans le monde de l'édition et devenir l'une des plus grandes d'Algérie. Avant l'indépendance, elle éditait les 23 journaux (quotidiens, hebdomadaires, mensuels et magazines d'associations, notamment sportives et syndicales) qui existaient dans la Mitidja. L'aventure de Mauguin, qui a commencé il y a plus d'un siècle et demi, a donc repris même si parfois elle est passée par des moments difficiles, dont le dernier est le décès de Chantal Lefebvre. D'ailleurs, la plus belle aventure est celle de cette arrière-petite-fille d'Alexandre Mauguin Chantal Lefebvre, qui est partie en 1962 vers l'Espagne au moment où tous les pieds noirs retournaient en France. Ce départ vers l'Espagne de Chantal était peut-être un geste sorti de son subconscient pour affirmer que son pays était bien l'Algérie où elle est née. Cette femme courage que tout Blida et tous les amoureux du livre aimaient, a tenu le pari de rendre hommage à son grand-père maternel, Alexandre Mauguin, en relançant l'imprimerie qu'il avait créée en 1857 et qui était mise en veilleuse durant plusieurs années. Chantal que tout Blida aimait est revenue à la Ville des roses et a réussi à remettre les machines de l'imprimerie plus que centenaire au moment où des auteurs, romanciers et éditeurs fuyaient le pays à cause du terrorisme qui régnait. Cette femme courage qu'on rencontrait dans tous les salons du livre et dont le sourire ne quittait pas son joli visage avait décidé de consacrer sa vie et sa santé à cette imprimerie qui faisait partie de l'histoire de Blida et de l'Algérie. Elle passait tout son temps à lire et à relire les anciens livres, à remettre à jour des manuscrits ou à éditer. Elle rencontrait des professeurs, des auteurs, des journalistes et des éditeurs pour lancer des projets. Chantal ne cessait jamais de travailler pour relever le défi de rendre hommage à sa famille et à son grand-père Alexandre. Elle gardait sûrement l'image de l'hebdomadaire Le Tell dont les pages, qui étaient collées sur la vitrine de la librairie sise à place Ettout, étaient régulièrement lues par les Blidéens qui n'avaient pas les moyens de l'acheter. Le sourire de Chantal Pour rappel, Mauguin fabriquait les imprimés de l'état civil pour toute l'Algérie et les plus beaux cahiers et son arrière-petite-fille Chantal, cette femme courage, voulait revivre ce bon vieux temps où la Ville des roses était vraiment belle et parfumée. Avec la création de plusieurs collections, Chantal avait repris une bonne place malgré les problèmes que connaissait le secteur durant les années 1990. Partie en Espagne juste après l'indépendance de l'Algérie alors qu'elle n'avait que 17 ans, Chantal Lefebvre, qui est née en 1945, n'allait redécouvrir la librairie et l'imprimerie de son grand-père qu'en 1987, lors d'un voyage touristique suite à une invitation de l'un de ses cousins. A ce moment, elle a dû revoir les belles images de place Ettout de son enfance où se trouve la célèbre librairie, et de là, est venue la décision de reprendre le flambeau, un flambeau qu'elle tiendra allumé jusqu'à sa mort et qui a été heureusement repris comme elle le souhaitait. Durant le prochain SILA, on pourrait retrouver le stand de Mauguin. On y ira le visiter même si on sait qu'on ne retrouvera pas le sourire de Chantal.