Comment cet homme, qui n'a pas de parcours politique ou militant, qui n'a pas de parti politique et qui a vécu toute sa vie en France, peut susciter l'engouement et l'engagement électoral des jeunes Algériens ? C'est officiel ! Chez les jeunes, Rachid Nekkaz est beaucoup plus sympathique que le candidat du pouvoir. Les images de ses passages dans les villes algériennes où il descend en personne collecter les signatures sont édifiantes. Hier encore, il a fait le plein à Guelma. Les services de la commune ont été pris d'assaut par des centaines de jeunes, formulaire et carte de vote en main, déterminés à lui donner leurs voix. Le même scénario est en train de se reproduire partout. A Khenchela, Batna ou Tébessa, à l'Est comme à l'Ouest, là où il passe il laisse son empreinte. Du jamais vu ! Mais comment est-ce possible ? Comment cet homme qui n'a pas de parcours politique ou militant, qui n'a pas de parti politique et qui a vécu toute sa vie en France, peut susciter l'engouement et l'engagement électoral des jeunes Algériens ? Qu'est-ce qu'il a que les autres n'ont pas ? Quand un journaliste lui demande de réciter un couplet de l'hymne national, Rachid Nekkaz trébuche au bout de quelques mots. Nous sommes en 2014, et à ce moment l'homme ne connaît pas le chant patriotique officiel de l'Algérie, ce pays de ses parents qu'il découvre à l'occasion de l'élection présidentielle. Inconnu en Algérie, Nekkaz se porte candidat à la candidature. Etrange initiative de cet homme prétendant malheureux aux élections françaises, y compris la présidentielle de 2007. Car jusqu'en 2014, Nekkaz avait la double nationalité, et pour se conformer à la Constitution algérienne, il a dû renoncer à son passeport français. La classe politique et la scène médiatique découvrent alors un personnage atypique, un ovni, disent certains. Mais les couches populaires ne sont pas insensibles au langage terre-à-terre qu'emploie le candidat et à son activisme inédit. Nekkaz sait exploiter le pathos. Son action spectaculaire en France, où il s'engage à payer les amendes infligées aux femmes qui portent le niqab, lui vaut une entrée fulgurante dans les cœurs des Algériens. Mieux. Sa campagne pour la présidentielle 2014, il l'a menée sur la route, dans les villes et les villages les plus éloignés, allant à la rencontre de l'Algérien lambda. Toutes ses initiatives sont filmées et publiées sur les réseaux sociaux. Une arme qu'il utilise de manière très efficace et qui lui permet de collecter des milliers de signatures. Son aventure finira aussi de manière spectaculaire, car le jour du dépôt des signatures et devant le siège même du Conseil constitutionnel, il crie au voleur et jure par tous les dieux que les 60 000 signatures qu'il dit avoir collectées ont été subtilisées ! Sa candidature ne sera pas donc retenue, mais au niveau du buzz, Nekkaz cartonne et prolonge cette «popularité». Opportuniste, il emploie une stratégie vérifiée dans les campagnes électorales en Occident, où le recours aux réseaux sociaux a fait basculer, dans certains cas, les résultats. Son absence politique au sens conventionnel est compensée par un militantisme du buzz. Une opportunité, «une action filmée», une publication sur un maximum de supports internet et le tour est joué. Le résultat est viral. Qu'importe l'intention, qu'importe le populisme qui sous-tend l'action, la fin justifie les moyens. Ses méthodes et son obstination donnent des fruits et ses fans forment une armée (virtuelle). Ils sont plus de 1,4 million à le suivre sur sa page Facebook par exemple. Ce sont ses «followers» qui répondent à ses rendez-vous dans les villes qu'il visite depuis près de deux semaines. Un potentiel électoral qui s'avère précieux et demeure inconnu chez la classe politique conventionnelle. Mais Nekkaz ne passera pas l'écueil du Conseil constitutionnel, cette fois non plus, à cause d'une condition ajoutée dans l'amendement de la Constitution en 2016. Ce dernier stipule que pour être éligible à la magistrature suprême, le candidat doit justifier d'une résidence permanente exclusive en Algérie durant un minimum de dix années précédant le dépôt de la candidature. Il faut être un bouffon pour ignorer cette condition, ou alors très intelligent pour utiliser cette opportunité électorale et viser d'autres objectifs, comme par exemple se construire une base populaire en attendant un jour que soient supprimées ces conditions.