Jamais un 8 Mars n'a été aussi beau qu'hier à Alger. Les roses et le folklore dans lesquels était cantonnée cette journée internationale dédiée aux luttes pour les droits des femmes ont été troqués contre des drapeaux et des slogans refusant le 5e mandat du président sortant et appelant au changement du système. Elles étaient les premières à arriver à la Place du 1er Mai, à Alger, avant qu'une marée humaine ne se déverse sur les lieux sous les cris «Bouteflika pas de 5e mandat !», «Le peuple ne veut ni de Bouteflika ni de Said !», «L'Algérie, une République pas un royaume !». Dans une ambiance très festive, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, entament, vers 13h, la marche «pour la dignité», «pour la liberté». Le boulevard Hassiba Ben Bouali est noyé par une masse humaine qui avance difficilement avec de nombreux drapeaux et des pancartes. Les slogans sont nombreux, mais aucun ne renvoie à la journée du 8 mars, devenue celle de tous les Algérois. Ils sont venus des quatre coins de la capitale. Certains d'entre eux ont dû marcher des heures pour rejoindre la place du 1er mai en raison de l'arrêt des moyens de transport dès la matinée. Etudiante en médecine, Houria est venue tôt dans la matinée avec sa mère et ses deux sœurs. Drapées d'immenses drapeaux, des bandeaux aux couleurs nationales autour de la tête, elles sont au milieu d'une grappe de jeunes. «Je suis fière de mon pays et de mes concitoyens. Je me sens en famille. Je n'ai pas peur. Aujourd'hui, je sens l'air de la liberté…», nous dit-elle, avant de poursuivre son chemin au milieu de dizaines de jeunes. Plus loin, Aïcha, Zohra et Naïma, trois avocates du barreau de Blida, dont l'âge ne dépasse pas la trentaine, ont rejoint elles aussi la capitale dès la matinée. Depuis des jours elles se préparaient à cet événement historique. «Pour nous, ce 8 mars est celui de la liberté. Il n'est plus celui des femmes. C'est la journée des Algériens et de l'Algérie. Une Algérie républicaine et démocratique…», déclare Zohra, qui brandit une immense pancarte sur laquelle on peut lire : «Algérie, libre et indépendante». La marée humaine poursuit sa marche. Impossible de se frayer un chemin au milieu. Des balcons, les femmes jettent des bouteilles d'eau aux manifestants, sous les applaudissements et les sifflements. A la place Maurétania, la foule, compacte, contourne le boulevard Amirouche où se trouve le commissariat central. Un important dispositif policier barre l'accès. Sous les cris «Silmiya ! silmiya !» (Pacifique, pacifique), les manifestants prennent la rue parallèle pour rejoindre la Grande Poste, où une impressionnante marée humaine est déjà sur place. Des femmes en haïk retiennent l'attention de tous. Tantôt elles crient : «Algérie libre et démocratique !», tantôt elles lancent des youyous stridents qui donnent la chair de poule. Entourées par des centaines de jeunes marcheurs, elles se sentent, disent-elles, «en sécurité» parmi leurs enfants. Sur les gradins de la Grande Poste, une dizaine de jeunes filles, drapeau sur les épaules et le visage bariolé aux couleurs nationales, scandent : «Bouteflika pas de 5e mandat !», «Le peuple ne veut plus de Bouteflika et Said !», «L'Algérie, République et non un royaume !». Ce sont de jeunes étudiantes de l'université de Bab Ezzouar. Elles sont à leur troisième marche. «Aujourd'hui est une grande fête pour le pays. L'espoir est possible…», nous dit Nadia, l'une d'elles. Entourées par leurs camarades, elles sont «très heureuses de voir ce visage des Algérois, celui de la fraternité…», souligne Nacéra, avant que le bruit des fumigènes ne la fasse sursauter. Des centaines, voire des milliers de jeunes arrivent en sens inverse. Le premier carré de marcheurs venus de la place des Martyrs rejoint la masse compacte de manifestants. La place devient trop exiguë. La marée humaine avance difficilement. Elle remonte vers l'avenue Pasteur, en direction de la Place Maurice Audin. La quarantaine, Nora est professeur à l'université. Le visage marqué par une étoile et un croissant aux couleurs nationales crie de toutes ses forces : «Vive l'Algérie, libre et indépendante !» Pour elle, le 8 mars 2019 «n'est plus la fête des femmes mais celle de l'Algérie. Je sens la naissance d'une nouvelle République». La foule est impressionnante. Elle va dans tous les sens, comme perdue dans cette euphorie exceptionnelle. C'est le raz-de-marée sur toutes les grandes artères de la capitale. La foule est tellement imposante qu'il n'est plus possible de marcher. Des grappes humaines se déversent encore, alors qu'il est déjà 16h. Les voix continuent de s'élever contre le 5e mandat du président sortant. Les manifestants et les habitants du centre de la capitale sont en parfaite synergie. Des bouteilles d'eau et des fruits sont lancés des balcons par des femmes, sous les applaudissements et les youyous. L'ambiance est celle d'une immense kermesse. Les vendeurs de drapeaux et les épiceries se font un argent fou en cette journée de fête. Les premiers groupes commencent à se disperser vers 17h à travers les petites ruelles d'Alger. Au boulevard Hassiba Ben Bouali, d'autres groupes de jeunes viennent d'arriver. Ils ont traversé des dizaines de kilomètres à pied pour rejoindre la manifestation. 19 heures passées, Alger était toujours en pleine ébullition.