Il est né en juin 1971 à Alger. Il est titulaire d'un diplôme en sciences économiques à Paris et d'un master en Marketing obtenu en Algérie. Il travaille, depuis 1995, comme cadre de plusieurs multinationales dans la communication, le conseil et les technologies de l'information. Devenus incontournables depuis le début des manifestations contre le 5e mandat, les réseaux sociaux ont beaucoup contribué dans la construction de ce mouvement pacifique. Retour sur ce sujet avec Sofiane Benyounes, fondateur de l'un des groupes de discussions Facebook le plus actif en ce moment.
Vous qui organisez les débats dans votre pertinent groupe Facebook durant cette période de révolte populaire contre le 5e mandat et pour le changement en Algérie, quelle est votre lecture de la situation ? Le pouvoir fait encore la sourde oreille aux doléances du peuple. Il pense que ce dernier peut se passer de sa dignité et de sa soif à la liberté contre une redistribution inégale de la rente pétrolière ou d'un chantage au chaos. Un peuple qu'on muselle ne peut pas s'acheter. Il finit par exploser au visage de ceux pour qui l'expression libre est un blasphème et l'alternance, une insulte. Le 5e mandat a été perçu par le peuple comme une gifle à son orgueil déjà fortement ébranlé par sept ans d'une présidence fantôme et 20 ans de corruption, de régionalisme, de mépris et de pillage des richesses du pays par l'oligarchie. Son annonce par les dépositaires de la continuité a réveillé l'instinct de la résistance chez les Algériens et a mis en branle la conscience collective sur la nécessité d'unir les rangs pour en finir avec ce système. Nous vivons une incroyable marche pacifique vers la liberté. Mais c'est la révolution joyeuse que nous menons qui rend ce moment encore unique. Comment voyez-vous la suite des événements ? Pour ma part, Bouteflika c'est du passé. Ses soutiens l'ont sacrifié dans l'espoir de faire perdurer le régime et continuer à profiter de la manne d'argent qu'ils spolient grâce au règne de la terreur et du chantage au chaos. C'est pourquoi nous devons systématiquement refuser toute négociation jusqu'à ce que nous obtenions le départ définitif du pouvoir. Nous devons impérativement refuser que l'armée joue un rôle politique durant la transition. Elle devra se limiter à la préservation de la sécurité nationale et des frontières, à la lutte contre le terrorisme et les dangers de la subversion. L'histoire a montré que les révolutions comme la nôtre ont toujours fini par triompher. Il faut être très vigilant pour ne pas rééditer les erreurs et les spoliations de 1962, les manipulations de 1988 et les trahisons de 1992. Sinon, je suis très confiant et optimiste pour la suite du mouvement. Comment est venu votre intérêt pour les réseaux sociaux et pourquoi créer un groupe Facebook en ce moment ? Je suis arrivé sur les réseaux sociaux en 2008 et j'ai vite compris que ce média allait devenir un interstice indispensable pour l'ouverture démocratique et pour le combat pour la libre pensée dans notre pays. Mon parcours de militant et mon addiction aux luttes démocratiques depuis 1989 ont trouvé en Facebook un terrain d'expression unique et singulier. J'ai donc créé au départ plusieurs pages et groupes Facebook qui étaient tous liés à la revendication démocratique. Mais il y a deux mois, l'un de ces groupes dont le nom est Algérie Debout ! a été piraté et fermé par une officine du pouvoir. J'ai donc décidé de rouvrir un autre auquel j'ai donné le même nom. A l'orée de cette révolution, il est devenu par la force des événements et des convictions de ses membres l'un des groupes les plus actifs de cette période. C'est avant tout un moyen pour les membres de s'informer, de débattre, de partager, parfois de critiquer et de proposer des solutions pour la situation actuelle. Comment expliquez-vous cette soudaine importance des réseaux sociaux dans ce qui se passe en Algérie ? Les réseaux sociaux ont très vite pris de l'importance dans la pays malgré toutes les entraves et les restrictions qui nous ont été imposées par la dictature, notamment le débit d'internet très faible. C'est l'un des plus faibles au monde. Par contre, ce qui est nouveau, c'est la capacité de mobilisation des réseaux sociaux sur des événements politiques. En effet, jusqu'à il y a très peu de temps, des pages de plusieurs millions de personnes n'avaient aucun impact. Cette élection présidentielle a tout changé. Avec ou sans les réseaux sociaux, il y aurait eu certainement de la contestation. Mais les réseaux sociaux ont été l'accélérateur. Pour preuve, ils existaient en 2011, mais la volonté des Algériens n'y était pas. Vous qui êtes très actif sur les réseaux sociaux, avez-vous prédit ce mouvement ? Les gens n'ont pas arrêté de s'exprimer, de dénoncer et de mobiliser sur les réseaux sociaux, et ce, malgré les intimidations dont l'arrestation des blogueurs, l'interpellation des militants et l'emprisonnement de journalistes. Ils ont refusé de se taire. Puis, sont venus les merveilleux chants des stades, les banderoles contestataires et les premiers slogans sur les réseaux sociaux. C'est à ce moment là que j'ai senti l'arrivée du moment tant attendu. On le sentait notamment sur Facebook, même si on pensait que cela allait être dur d'en arriver là. Cette jeunesse nous donne de véritables leçons. Je suis aujourd'hui convaincu qu'avec ces mêmes jeunes nous aurions réussi le 5 Octobre 1988. Quels sont les sujets les plus discutés dans votre groupe et les membres qui qui y activent pensent-ils à des solutions concrètes pour l'avenir ? Pour le moment, c'est un groupe plus revendicatif et informatif. Nous discutons de tout dont la deuxième République et son organisation, de la manière de concevoir la transition et aux personnalités auxquelles les Algériens font confiance. Mais c'est aussi un groupe qui lance des actions et appelle aux manifestations. Nous participons activement à la révolution. Quelle est, selon vous, la place des réseaux sociaux dans le combat politique actuel ? Dans le contexte actuel, les réseaux sociaux ont un rôle primordial. Exclus de la rue, des salles de meeting, et de la grande majorité des médias publics et privés, nous nous sommes retrouvés naturellement sur les réseaux sociaux. C'est dans cet espace, notamment Facebook, que la majorité des Algériens se retrouvent. C'est un moyen accessible pour tout le monde. Le pouvoir, qui voulait nous cantonner, nous a finalement donné une arme fatale qui se retourne contre lui. C'est grâce à la volonté populaire et les réseaux sociaux, outil d'éveil des consciences, que nous avons fini par reconquérir la rue. Il y a Twitter, Snapchat et Instagram qui sont eux aussi importants en ce moment. Pensez-vous que ces outils technologiques peuvent encadrer et orienter les jeunes contestataires aujourd'hui ? Twitter et Instagram sont deux réseaux totalement différents par les CSP (Catégories socioprofessionnelles) auxquelles ils s'adressent. Twitter est plutôt un média élitiste, pas dans le sens intellectuel, mais de par la qualité de ses influenceurs et suiveurs. C'est certainement l'outil de communication préféré des hommes politiques, des stars et des agences medias, etc. Les messages y sont brefs, concis, souvent pragmatiques sans aller dans le fond, mais en exprimant parfaitement la forme. Instagram est orienté vers la photo et snapchat vers la vidéo. Instagram est certainement le média le plus populaire et le plus recherché par les annonceurs. Quant à Snapchat, il est plutôt orienté vers les jeunes. Les réseaux sont toujours à double tranchant car on y trouve de la qualité comme de la subversion. C'est pourquoi on doit absolument intégrer à l'école des instruments pédagogiques qui permettront une éducation à l'esprit critique et à la vigilance afin d'apprendre à nos enfants de distinguer la culture du «fake» pour lui opposer la culture du bon sens. Ceci, bien sûr, ne peut se faire que dans des Etats démocratiques libérés du totalitarisme. Avez-vous des solutions à proposer aux internautes durant cette période, notamment pour les coupures d'internet et de téléphone ? Continuer le combat et la mobilisation pour la liberté, la démocratie et la République, et ce, jusqu'au changement du régime. C'est pour moi le seul moyen de lutter contre la censure et les lois liberticides. Nous devons opposer le VPN démocratique aux Virus de la dictature.