Le congrès du Parlement est convoqué. On peut supposer que c'est pour désigner le chef de l'Etat intérimaire qui va conduire l'agenda électoral avec la bénédiction de l'armée. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Cette démarche évacue les supputations qu'entretenaient certaines voix naïves, intéressées ou simplement ignorantes des pratiques du sérail, pour maintenir l'illusion que l'armée est en phase avec le mouvement du 22 février qui appelle, semaine après semaine, à la fin du système militaire qui a confisqué le pays symbolique et physique depuis 1962. La décision met donc un terme à un vicieux malentendu qui laissait entendre que tout le monde était d'accord alors que les divergences sur les méthodes et les buts entre l'armée et la rue étaient totales. De ce point de vue, la nouvelle situation clôt une confusion dangereuse et installe tout le monde devant ses responsabilités. Fondamentalement, le problème algérien renvoie à la militarisation de la vie publique. Vouloir faire reprendre au pays le cours des choses comme si rien ne s'était passé depuis le 22 février est irresponsable. Dans ces heures décisives, la vérité est la condition du salut. L'armée, ou plus exactement celui qui parle à sa place, a d'abord vanté le bilan de Bouteflika pour vendre, dans la foulée, le 5e mandat. Quand les manifestations ont commencé, les avertissements contre les ennemis intérieurs furent la première réaction. Par la suite, le propos est devenu plus nuancé avant de s'aligner sur celui de la rue. L'armée n'est donc ni l'initiatrice ni même le soutien du mouvement populaire. Elle a fini par s'y résigner. Tant mieux. Aujourd'hui, la volonté de l'armée, du moins de celui qui parle en son nom, est évidente. La transition demandée par le peuple devrait se limiter à organiser des élections à l'ombre de celui qui sera adoubé par un Parlement qui a symbolisé les fraudes, la trahison de la volonté populaire, dont il est supposé être l'émanation, par la validation de toutes les décisions du gouvernement, de l'homme dont tout un chacun condamne l'incurie prédatrice. En fait, l'opération revient à lustrer le système pour mieux le faire perdurer. Des hommes, qui seront comptables devant l'histoire, se sont improvisés agents du service après-vente de cette tentative de détournement de la volonté du peuple et expliquent qu'il est urgent de valider ce stratagème. Argument invoqué : il faut rapidement donner au pays un chef d'Etat élu pour éviter une vacance trop longue de la Présidence qui serait préjudiciable à la nation. Ces individus, pressés de se voir hélitreuillés par l'armée à El Mouradia, expliquent dans le même souffle que l'Algérie est restée sans président depuis 2013 au moins ! Il s'agit de fonder la République que nous n'avons pas pu concevoir au lendemain de la guerre. La période de transition exige des préalables de fond et de procédures. Sur le fond, il est vain de tenter une canalisation du mouvement citoyen dans des institutions obsolètes, discréditées et inefficientes, détritus de l'ancien régime. Il importe aussi de tenir l'armée éloignée des enjeux politiques, et le seul fait qu'elle soit impliquée dans le processus transitionnel est en soi problématique pour elle même et pour l'avènement de l'Etat civil. Par ailleurs, l'élection d'une Assemblée constituante ou l'organisation d'un référendum devant valider la nouvelle Constitution doit impérativement précéder la présidentielle. Le Président incarne l'autorité nationale. Cela veut dire qu'il arbitre entre des pouvoirs indépendants crédibles et déjà existants, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Introniser un Président avant de doter le pays d'un Parlement légitime revient à lui donner le pouvoir de nommer ou, en tout cas, de peser sur la construction de l'architecture institutionnelle. On sait où nous ont menés ces méthodes. En la forme, et tout en veillant à la réduire au maximum, la transition doit prendre le temps nécessaire pour éviter les raccourcis et, surtout, garantir la mise en place et l'adoption des préalables démocratiques sans lesquels aucune avancée n'est possible. Enfin, les considérations techniques et administratives doivent retenir l'attention. Lors des transitions réussies de l'Europe de l'Est, il a fallu plusieurs mois pour assainir les fichiers électoraux nationaux avec, souvent, l'assistance et l'expertise d'organisations gouvernementales et non gouvernementales. Aller aux élections dans quatre, cinq ou six mois est la meilleure façon de faire voter les morts ou les êtres fictifs. La mobilisation populaire doit continuer, d'autres formes de luttes doivent être, d'ores et déjà, envisagées. Il doit en être ainsi jusqu'à ce que l'armée comprenne que la volonté populaire, le temps et ses propres intérêts lui dictent de rentrer dans les casernes.