Le mouvement populaire en cours revêt un caractère historique et irréversible dès lors qu'il a réussi la jonction entre les combats de plusieurs générations. Des icônes de la Révolution de Novembre, en passant par les initiateurs des luttes politiques et identitaires des années 1980, jusqu'aux jeunes d'aujourd'hui qui ont soif de liberté et d'ouverture sur le monde, l'insurrection citoyenne née en février dernier constitue véritablement l'apothéose de la quête démocratique du peuple algérien. Pendant que le système politique qui a régné sur le pays depuis l'indépendance est en train de se disloquer, de préparer sa sortie de l'histoire dans le désordre, l'improvisation et les règlements de comptes autour d'affaires de corruption communes, la société se réapproprie ses repères, ses forces et donne corps à ses ambitions longtemps réprimées. Même si le système éducatif a globalement sinon intégralement fait l'impasse sur les sacrifices et les parcours héroïques passés, il suffit aujourd'hui aux jeunes de descendre dans la rue pour parler à l'histoire et en ressentir le souffle libérateur. Quand le pouvoir et les survivances du régime déchu étalent leurs dernières rancœurs et affichent les ultimes réflexes d'ostracisme, le peuple jette les bases du nouveau pacte social qui sera bâti sur la tolérance, la solidarité et la confiance en l'avenir. D'aucuns étaient surpris par l'attitude spontanée des citoyens qui préféraient congratuler les policiers formant les cordons de sécurité pendant les manifestations, connaissant le lourd bilan répressif des équipes dirigeantes qui se sont succédé à la tête du pays ces dernières décennies. Le message est que, face à un peuple en marche, il est absurde de recourir à la répression et le retour par la force à l'ordre ancien est totalement impossible. Les détenteurs temporaires du pouvoir peuvent provoquer le chaos par leurs atermoiements et leurs manipulations, mais ne peuvent pas recréer un système condamné par l'histoire et les luttes populaires. Cette révolution est celle d'un changement de système mais aussi d'une réconciliation historique et démocratique au sein de la société, face à un pouvoir qui, au plus fort de son règne, n'a offert que la réconciliation du bourreau avec ses victimes. La furie destructrice et meurtrière des années 1990 n'a pas été produite par la société, mais par un système éducatif fondamentaliste et l'importation massive, une génération plus tôt, d'une idéologie intégriste, avec ses enseignants et ses prédicateurs. La réconciliation sera aussi, et naturellement, culturelle et civilisationnelle, dont les premières expressions sont livrées tous les jours dans la rue, le théâtre de la citoyenneté retrouvée préparant l'accès aux institutions et aux instances de représentation. Quand la parole reviendra au peuple, il n'exclura aucun groupe, aucune opinion non porteuse de violence, aucune culture, a fortiori la sienne. L'amazighité sera pleinement consacrée dans l'Algérie de demain, parce qu'elle réconcilie le peuple avec son identité et son legs historique, mais aussi parce qu'elle a initié, il y a une quarantaine d'années, la lutte pacifique adoptée aujourd'hui victorieusement par tous les citoyens dans leur quête de liberté et d'émancipation.