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«La justice n'a jamais été indépendante du pouvoir exécutif, mais des magistrats indépendants il y en a» Saâd Eddine Merzoug. Porte-parole du Club des magistrats libres
Jeune magistrat qui a surpris bon nombre de ses aînés, Saad Eddine Merzoug, porte-parole du CML (Club des magistrats libres), parle des «pressions» exercées sur lui et sur de nombreux juges depuis que son organisation syndicale, en voie de création, s'est solidarisée avec la contestation populaire et a rejeté l'idée d'une élection présidentielle avec une loi électorale qui ne garantit pas la transparence. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il évoque les «ordres» de l'ex-ministre de la Justice aux magistrats qui, après avoir brisé le mur de la peur, ont mis en mouvement des dossiers de corruption déjà existants et sans aucun ordre de l'armée. Il est également revenu sur les violentes critiques contre le général Toufik, «parain de l'appareil judiciaire», devenu, selon lui, «un danger sur le présent et l'avenir du pays» en voulant manœuvrer contre le mouvement populaire. – Depuis sa dernière action, le Club des magistrats libres s'est effacé. Est-ce en raison de la pression que subissent ses membres, ou y a-t-il d'autres raisons ? Notre combat ne date pas d'hier. Il remonte à 2013, lorsqu'un groupe de magistrats a observé une grève de la faim inédite pour exiger l'indépendance de la justice. A l'époque, le ministre de la Justice était Mohamed Chorfi et n'était la médiatisation de cette affaire aux niveaux national et international, les magistrats grévistes auraient été radiés. Ce mouvement a été suivi par une tentative d'organisation d'une assemblée générale des magistrats par un conseiller et ancien procureur général près la cour de Béjaïa, mais l'autorisation a été refusée par le ministre de l'Intérieur sur ordre d'un des frères du Président et après intervention de Djamel Aidouni, à la tête du syndicat des magistrats. Depuis 2016, le Club des magistrats libres, en tant qu'organisation syndicale, s'organise. Il existait avant même le mouvement de protestation populaire, qu'il soutient, et restera même après la prise en charge de ses revendications. Il est vrai que ses membres subissent diverses pressions, entre sanctions et propagandes, pour les diviser et nuire à leur réputation. Mais cela ne les a pas affectés. Ils sont déterminés à construire un syndicat fort et indépendant, qui puisse défendre de manière impartiale le juge et les principes de l'indépendance de la justice. – Que représente le Club des magistrats libres dans les rangs de la magistrature ? Composé de quelque 2000 jeunes juges et autres, le Club des magistrats constituait une véritable force. Mais, en raison des sanctions, notamment la radiation et les mesures de comparution devant les sessions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature durant l'année 2016, sur ordre des forces non constitutionnelles que représentait le ministre de la Justice, Tayeb Louh, l'ex-inspecteur général, Tayeb Benhacham, le directeur des ressources humaines, Boudjemaa Aït Aoudia, et l'ex-secrétaire général et Zouaoui Laadjine, signataire de cette instruction n°411 du 14 mai 2016, qui interdit aux magistrats l'utilisation des réseaux sociaux sous prétexte qu'ils appartiennent aux services américains et à l'Otan. Des mesures cautionnées par le président du syndicat des magistrats, Djamel Aidouni, et les 11 membres de son bureau exécutif. Aujourd'hui, malgré la baisse du nombre de ses membres à près d'un millier de magistrats, le Club est devenu une réalité. Il a démontré qu'il est le syndicat des magistrats le plus fort, qui défend l'Algérie de Novembre et l'indépendance des juges à travers ses décisions historiques, parmi lesquelles son refus de superviser le 5e mandat. Le CML s'est mis du côté du peuple dès la première manifestation contre le 5e mandat, a demandé la démission du président Bouteflika, refusé d'attenter à la liberté de manifester dans la rue en exécutant les instructions de ministre de la Justice, Tayeb Louh, de mettre les manifestants en prison, et observé un sit-in de protestation devant le tribunal de Sidi M'hamed, puis un autre devant le ministère de la Justice, pour rejeter la prochaine élection présidentielle avec l'actuelle loi électorale et la présence des «3B» (Ndlr, Bensalah, Bedoui et Belaïz). Toutes ces actions sont inédites dans l'histoire de la justice… – Justement, quel impact peut avoir votre boycott de la supervision de la révision de listes électorales dans certaines APC, sur l'ensemble de l'opération, vu le nombre peu important de vos membres au sein de la magistrature ? Notre boycott a eu un impact sur des présidents d'APC à travers de nombreuses communes du pays, lesquels eux aussi ont fini par nous suivre, en refusant de procéder à la révision des listes électorales communales, en réponse aux revendications populaires. A ce sujet, je dois préciser que le boycott de cette opération ne vise pas le droit des citoyens de s'inscrire sur les listes électorales. Il s'agit plutôt d'un refus d'une élection présidentielle dans le cadre de l'actuelle loi électorale, qui ne garantit pas la transparence. – Dans votre dernier communiqué, vous vous êtes attaqué avec virulence à l'ancien patron de l'ex-DRS, le général Mediène, dit Toufik. Peut-on savoir pourquoi ? Aujourd'hui, tout le monde, que ce soit du côté de ceux qui manifestent dans la rue ou de celui des magistrats intègres et du commandement de l'armée, est convaincu que cette personne manœuvre pour faire avorter le mouvement populaire en le sortant de son caractère pacifique, avec l'aide de ses milices et ses clans politique, financier, médiatique et judiciaire, qu'il a mis en place durant 25 ans. Pour nous, cette personne a été le parrain de la justice durant 25 ans, notamment à travers les colonels qu'il a désignés dans cette institution. Je peux citer feu le colonel Khaled, impliqué dans l'affaire de l'autoroute Est-Ouest, et qui avait joué un rôle dans la désignation de certains magistrats, qui lui ont fait allégeance, à des postes sensibles, à l'image du directeur des ressources humaines, et d'autres en tant que procureurs généraux ou présidents de cour, à l'image de cet ancien procureur général d'Alger, qui avait qualifié l'assassinat de feu le président Mohamed Boudiaf d'«acte isolé», et joué un grand rôle dans la radiation d'intègres magistrats sur la base de rapports mensongers des services. Cela sans compter les règlements de comptes avec ses opposants, des journalistes et des personnalités politiques. De ce fait, et en raison du danger que représente cette personne sur le présent et l'avenir de notre nation, nous avons estimé qu'il était de notre devoir de la remettre à sa place et de lui rappeler qu'elle sera justiciable au même titre que tous les citoyens en cas de poursuites. – Pourquoi alors les magistrats ont-ils attendu l'appel du vice-ministre de la Défense pour mettre en mouvement ces affaires connues de tous ? Jusqu'à présent, la justice n'est pas indépendante du pouvoir exécutif, mais il y a des magistrats indépendants en Algérie. Le mouvement de protestation populaire a donné cette liberté à certains magistrats pour réactiver des dossiers qui existaient. Ce n'est pas l'institution militaire qui a ordonné la mise en mouvement de ces affaires. Elle n'a pas la qualité pour le faire et elle n'a aucun lien, de près ou de loin, avec le pouvoir judiciaire, notamment depuis la dissolution du DRS en 2015. – Est-il vrai que des membres du Club subissent des sanctions et des pressions pour leurs prises de position ? De nombreux membres du CML subissent depuis 2016 de terribles pressions. Je peux vous citer le cas de la suspension de Nani Mohamed Lahcen et de Fatma-Zohra Boukhdimi, la mutation vers des régions lointaines et désertes de Tir Tahar, Abdelwahab Mdabar, Chakib Amrani, Abdeslam Teguia, moi-même et tant d'autres de nos collègues. Depuis le début de la contestation populaire, les pressions s'exercent par les menaces de mutation, les questionnaires et la privation de promotion, dont j'ai fait l'objet moi-même sur ordre de l'ancien inspecteur général, l'ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, et l'actuel secrétaire général par intérim. Mieux encore, de fortes pressions ont ciblé également des magistrats d'autres juridictions, notamment de la cour d'Alger, Tipasa, Khenchela, Tlemcen et Annaba, durant tous les rassemblements des juges organisés par le CML. – Comment allez-vous faire pour vous réapproprier cette indépendance alors que ceux qui vous l'ont spoliée sont toujours là et agissent dans l'ombre de la chancellerie ? Nous pensons que l'indépendance de la justice ne concerne pas uniquement les magistrats, mais aussi les avocats, le peuple, les auxiliaires de justice et les journalistes. Elle n'est pas un privilège du juge, mais un droit du citoyen d'avoir une justice compétente et équitable. Pour y arriver, il faut d'abord avoir un CSM (Conseil supérieur de la magistrature) composé de magistrats élus, où ne siègent ni le président de la République, ni son représentant, ni le ministre de la Justice. Il est important aussi de dissoudre l'inspection générale et remettre ses prérogatives au Conseil supérieur de la magistrature et de limiter les missions du ministre à celles purement administratives, afin de l'éloigner des activités judiciaires en rendant le parquet général indépendant de son pouvoir. Les promotions et les nominations doivent elles aussi relever des seules prérogatives du CSM, et le travail au Sud doit être une obligation pour l'ensemble des magistrats et non pas une sanction, comme il est d'usage actuellement. Enfin, l'amélioration des conditions de vie des juges doit constituer une des priorités. Ce sont là les principales réformes à mener en urgence. – Vous avez appelé les membres du CSM à démissionner de leurs postes. Pourquoi une telle demande et pensez-vous qu'elle sera exaucée ? Le CSM n'a été, depuis l'indépendance, qu'une chambre d'enregistrement et un service extérieur dépendant du ministère de la Justice. Pour cette raison, nous avons demandé aux membres élus de démissionner et de se solidariser avec la contestation populaire. Le CSM a été et reste un lieu de jugement disciplinaire de magistrats intègres. Ce qui s'est passé en 2016, avec deux de nos collègues, Nani Mohamed Lahcen et Fatma-Zohra Boukhdimi, illustre parfaitement cela. Ils ont été suspendus, alors qu'un autre magistrat, Tahar Tir, a été muté de la Cour suprême au tribunal de In Guezzam, en vertu d'un ordre illégal de Tayeb Louh, représentant des forces anticonstitutionnelles. D'autres ont été mutés, dont moi, dans le but de faire taire les voix libres par la peur. Tous ces dérapages ont eu lieu au vu et au su de tous les membres du CSM, et ils n'ont rien fait. Ils n'ont même pas dénoncé ces agissements, alors qu'ils ont été élus pour défendre leurs pairs. – Allez-vous demander un agrément pour une nouvelle organisation syndicale, ou comme le préconisent certains, comptez-vous récupérer le syndicat qui traverse une crise profonde, et est actuellement en pleine période de renouvellement de ses structures ? C'est vrai qu'une partie des membres du Club avaient l'idée de récupérer le syndicat. Mais d'autres ont un autre avis, continuer le combat jusqu'à l'agrément de notre propre syndicat. D'abord parce que nous croyons que la pluralité syndicale dans le corps de la magistrature est une bonne chose, mais aussi nous savons que la récupération du SNM ne peut se faire sans concessions à la tutelle, qui a toujours été réfractaire, nous a combattu et continue à le faire par tous les moyens.