Le combat est inégal. David contre Goliath. L'issue en est encore plus incertaine. Moins valorisante pour l'employeur public. Des Don Quichotte de Radio El Bahdja en guerre contre le « statut » précaire dans les médias publics, la redoutable machine de l'ENRS, la Radio algérienne, n'en a fait qu'une bouchée. Passés au hachoir à la veille de la Journée internationale de la liberté de la presse, le collectif des journalistes cachetiers de la Radio a volé en morceaux. Ils ne sont désormais que trois, derniers survivants des « révoltés du Bounty » à l'animer. Hier, à l'heure du « rassemblement de solidarité » auquel a appelé le collectif des grévistes de la Radio, sur le parvis requinqué de la place de la Liberté de la presse (rue Hassiba Ben Bouali), affichait un trop-plein de képis dans une clinquante indifférence générale. Il y avait davantage de policiers en tenue et/ou camouflés que de représentants de la société civile, de médias publics ou privés. Les syndicats de la profession, dont la toute nouvelle Fédération nationale des journaliste (FNJA), ont aussi faussé compagnie. Pour dénoncer l'arbitraire imprégnant la relation de travail dans les médias publics, la précarité ambiante, quelques représentants de syndicats autonomes (Collectif des travailleurs journaliers du port d'Alger, Conseil des lycées d'Algérie...), des journalistes, des militants associatifs étaient là. Une trentaine de personnes, rassemblées autour du monument aux morts de la presse nationale. Dans la matinée, le secrétaire d'Etat à la communication, Azzedine Mihoubi, était venu s'y recueillir brièvement, (re)fleurir le cénotaphe de la liberté de la presse. Pas un regard de concédé aux trois plumitifs de la Radio observant une journée « symbolique » de grève de la faim. La gorge nouée, Samir Larabi, le porte-parole du collectif, s'accroche à sa « victoire morale » comme s'accrocherait un naufragé aux cordes du vent : « Nous n'accepterons jamais les conditions posées par la direction générale de l'Enrs ni le chantage exercé sur des employés dont le seul tort est d'avoir revendiqué un droit garanti par la loi : un contrat de travail en bonne et due forme pour des travailleurs cachetiers, astreints au service permanent. » Le préalable à la réintégration des protestataires, tel que posé par le directeur général de la Radio, n'est autre, a-t-il dit, qu'« une pâle copie de la paix des braves. Une réintégration dans des termes vils et indécents ». En contrepartie de cette réintégration, la direction générale de l'ENRS aurait, selon lui, exigé des grévistes de rendre publique une déclaration dénonçant la « manipulation » dont aurait fait l'objet leur mouvement de protestation. Ils devraient également consentir à reprendre le travail avec leur statut initial (cachetier) et accepter une réaffectation dans d'autres stations de radio. Ainsi tondus, les mutins ne peuvent même plus prétendre à conserver la feuille de vigne. « Doula heggara. Etat oppresseur. » Mourad Abacha, reporter à Radio El Bahdja et membre du collectif, n'y va pas de main morte. La radio, employeur public, est le premier à fouler aux pieds les lois de la République. « La loi est claire, notre convention collective l'est aussi. Elle interdit d'employer un journaliste sans contrat de travail. Or parmi nous, certains, qui ont plus de dix ans de métier, sont employés comme cachetiers, sans couverture médicale ni assurance sociale. Comment l'Etat peut-il, dès lors, exiger des journaux privés de respecter la loi ? » Après avoir retracé les péripéties de leur mouvement revendicatif, leur « suspension abusive », les « manœuvres dilatoires », les tentatives de « médiation inaboutie », M. Abacha se dit « déterminé » à poursuivre le combat : « Ils peuvent toujours nous licencier, ils ne tueront jamais en nous l'envie de rester journaliste ! » Nadir Bensebaâ, le représentant à Alger de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), qualifie d'« irresponsable » l'attitude adoptée par les responsables de la Radio et leurs déclarations incendiaires vis-à-vis des grévistes. L'attitude de ces responsables rejoint, d'après lui, la volonté des dirigeants politiques de caporaliser la presse nationale, de restreindre le champ des libertés publiques. Rabah Abdellah, ancien secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ), revient quant à lui sur les déclarations de Azzedine Mihoubi, lundi, dans la presse nationale, assimilées à une fuite, un déni de la réalité : « Le travail à la pige, a dit le secrétaire d'Etat, est une forme juridique reconnue dans les entreprises médiatiques. Des dizaines de journaux travaillent à la pige. Je veux juste lui rappeler que pour ce qui est de cachetiers de la Radio, mobilisés tels qu'ils sont à longueur de journée, sans droit au congé, sans couverture sociale, sans un salaire digne, est un statut qui n'est reconnu par aucune loi. Ce n'est rien d'autre que de l'exploitation pratiquée à grande échelle par un employeur public. »