Dès que le mercure du thermomètre se «réveille» de sa torpeur, le barrage de Tichi Haf, chevauchant sur le territoire des communes de Tamokra et Bouhamza, est pris d'assaut par des cohortes d'ados et de moins jeunes, en quête de détente et d'évasion. La météo se donne des allures d'été. Le taxi-bus dans lequel nous avons pris place file à petite allure plein sud. En point de mire, le village Mahfouda, situé en surplomb du plan d'eau, mais invisible à l'horizon. Un vent modéré disperse les volutes de fumées du moteur et leurs pestilentiels relents de gas-oil mal brûlé. Pendant que le véhicule ahane sur la route pentue serpentant à travers le relief tourmenté de la montagne, les calembours fusent parmi les passagers. On vilipende sans ménagement le régime politique et sa courtisanerie opportuniste. On cite des noms, on taille une veste à l'un, on voue aux gémonies un autre… On papote à qui mieux mieux, on tire des plans sur la comète. Le raccourci pédestre vers la masse aquifère de la retenue de Tichi Haf dévale pentes et raidillons. En compagnie d'une vieille connaissance de Bouhamza, on traverse des étendues champêtres, des maquis et des fourrés envahis par une foison de végétation brûlée par les rayons incandescents du soleil. Les berges du barrage sont investies par des visiteurs de tous âges, que rien ne semble rapprocher sinon l'envie irrépressible de fuir le tumulte des cités urbaines. Les accros de la pêche à la ligne côtoient les taquins de mots et les inconditionnels de la nature. Après de longues années de labeur et de stress, une halte hors du temps n'est pas de refus. Rien qu'en se prélassant au bord du lac et en contemplant son immensité glauque, cela aide à se remettre d'aplomb. Les habitués du site ne s'y trompent pas. «Une journée à Tichi Haf est une parenthèse salvatrice. Lâcher prise et oublier ses tracas quotidiens, se laisser aller à la rêverie, admirer la splendeur du lac et humer les effluves de la forêt toute proche, vaut toutes les thérapies», lâche, émerveillé, un homme d'un certain âge venu de Chemini. Seule ombre à ce tableau idyllique, la persistance de ces lubies que sont les baignades, dont on n'a eu de cesse de ressasser qu'elles exposent au danger. Danger de mort s'entend. Les drames du passé ne semblent pas avoir servi à grand-chose. Bravant l'interdit et défiant le danger, des grappes de jeunes continuent de faire trempette dans le bassin du lac. Emportés par leur fougue juvénile et leur insouciance. Le ton est plutôt à l'allégresse générale et aux fous rires chez cette bande de snobs enjoués, dont le plus âgé ne doit guère avoir plus de vingt ans. On s'interpelle, on se taquine, on batifole, on chantonne, on s'ébroue dans l'eau en donnant libre cours aux postures les plus fantaisistes. Comme un conseil qui échoit sur l'oreille d'un sourd, les mises en garde sont superbement ignorées. Les appels à la vigilance sont autant de coups d'épées dans l'eau. «Comme toujours, on attend sagement la prochaine victime pour daigner réagir après coup, feindre d'être scandalisé, en imputant la faute à la fatalité», dira, sur un ton ironique, notre accompagnateur.