Quelques centaines d'avocats vêtus de leurs robes noires ont marché hier matin à Alger pour réclamer «l'Etat de droit», «la libération des détenus d'opinion» et «le respect des droits à la défense». Durant la même journée, ils ont boycotté tous les tribunaux et toutes les cours au niveau national en réponse à l'appel de l'Union des barreaux d'Algérie, lancé en début de semaine, en réaction «aux nombreuses atteintes aux droits à la liberté d'expression, de manifester pacifiquement et au droit de circuler librement». Dès 9 heures, de petits groupes d'avocats rejoignaient l'imposant tribunal de Sidi M'hamed, situé à la rue Abbane Ramdane, à Alger. Un imposant dispositif de policiers a été déployé autour du quartier, alors que le nombre des robes noires devenait de plus en plus important. Ils sont venus des wilayas du Centre. Certains ont passé la nuit à Alger et d'autres ont rejoint la capitale très tôt en début de journée. Vers 10 heures, la rue Abane Ramdane était complètement paralysée. Des pancartes vertes et rouges étaient brandies et sur lesquelles on pouvait lire : «Avocat s'engage, système dégage», «Pour une Algérie unie et indivisible», «Non à la justice du téléphone», «Libérez les détenus d'opinion», «Oui à l'indépendance de la justice», ou encore «Non à la répression». Puis, subitement, les voix se sont élevées : «Libérez l'Algérie !», «Dawla madaniya machi askariya !» (Etat civil et non militaire), «Y en a marre de ce pouvoir !». D'autres slogans liés à l'identité amazighe ont été scandés alors que des youyous fusaient de partout. La grappe d'avocats était devenue imposante tout autant que les files de policiers qui l'entouraient. Quelques-uns ont tenté de marcher en direction de l'avenue Asselah Hocine, mais en vain. La route était fermée hermétiquement par une haie de policiers antiémeute. La circulation automobile était bloquée. La tension est montée entre les forces de l'ordre lorsque des pancartes avec des drapeaux amazighs ont été confisquées par des policiers. La marche a pris le chemin inverse en direction du square Port-Saïd, à quelques centaines de mètres. La chaleur était intenable, mais les avocats ont poursuivi leur route. Ils se sont dirigés vers le boulevard Zighout Youcef. Les policiers s'agitaient et en quelques secondes ils ont dressé une barrière humaine. Des échauffourées ont éclaté entre ces derniers et quelques avocats à cause des pancartes avec le drapeau amazigh arrachées des mains de certains de leurs confrères. Les plus sages sont intervenus pour calmer les esprits. Les robes noires sont finalement arrivées à franchir le cordon sécuritaire. Ils ont traversé le boulevard en criant : «Non à la répression !», «Similya simiya !» (Pacifique pacifique), «Liberez le pays !», «Barakate men hokm al isabate !» (Assez du pouvoir des bandes). 11 heures. Sous un soleil de plomb, les avocats ont poursuivi leur marche jusqu'à l'hôtel Aletti, où de nombreux camions de police fermaient la route. Ils ont tenté de passer, mais en vain. Et alors que certains de leurs confrères tentaient de négocier la poursuite de la marche, un groupe avait déjà franchi la barrière après de violentes bousculades de part et d'autre. Une grande partie des manifestants était déjà au niveau du siège de la wilaya d'Alger, scandant des slogans hostiles à la police et à Gaïd Salah, le chef d'état-major de l'Anp. Les policiers ont fini par céder le passage. La marche a continué. Avec des drapeaux accrochés sur le dos, de nombreux avocats scandaient : «Libérez la justice !», «Mouhamine ghadiboune linidhame rafidoune !» (Les avocats en colère, ils rejettent le pouvoir), «Libérez les détenus !», «Y en a marre de ce pouvoir !». Les manifestants ont rebroussé chemin et sont revenus vers la rue Asselah Hocine en scandant leurs mots d'ordre d'une seule voix. La circulation automobile était complètement à l'arrêt. Beaucoup de conducteurs saluaient les avocats et leur exprimaient leur solidarité. La marche s'est poursuivie. Certains restaient vigilants en évitant tout dérapage. Ils ont éloigné quelques jeunes qui s'étaient infiltrés parmi eux. Retour devant le tribunal de Sidi M'hamed, où les plus forts slogans liés «Au respect des libertés !», «La libération des détenus politiques», «L'Etat de droit !», revenaient haut fort, ponctués par des youyous. Parmi les manifestants, on a noté la présence d'hommes politiques, mais aussi de nombreuses personnalités médiatiques et judiciaires. Vers 12 heures, les avocats ont commencé à se disperser dans le calme. Cette marche n'était pas la seule à s'être tenue. Elle a certes regroupé les avocats du centre du pays, mais d'autres ont eu lieu à Oran, où ont convergé les robes noires de l'Ouest, ainsi qu'à Annaba, qui a reçu les avocats de l'Est. Une manière d'exprimer de manière unifiée la colère des avocats face aux nombreuses atteintes qui ont ciblé les doits des citoyens à l'expression, à manifester pacifiquement et à circuler librement.