Cour d'Alger. Un mercredi ordinaire sous les auspices de la dictature militaire réhabilitée. Face à la tour de la cour de justice d'Alger, boulevard des Fusillés, quelques dizaines d'irréductibles observent, sous le grand cagnard, le sit-in hebdomadaire pour la libération des détenus d'opinion. Députés, avocats, étudiants, militantes et militants de l'Algérie Nouvelle bravent et la lassitude et la pression policière d'un régime pris de raidissement autoritaire. «Libérez les détenus d'opinion», «Justice indépendante», «Y en a marre des généraux», «Etat civil..» et… autres slogans réputés écorcheurs d'oreille (des puissants) déversés comme tout mercredi, jour de comparution expéditive, sous les balcons des magistrats de sa majesté. Il est plus de 10h, le collectif des avocats des détenus (16 en nombre) annonçait le boycott des plaidoiries devant la chambre d'accusation. Stratégie de la rupture avec le simulacre de justice. A l'œuvre. «Comment se fait-il que les quatre enfants de Hamel soient libérés alors que les détenus d'opinion soient toujours sous mandat de dépôt ?» Lila Hadj Arab, députée RCD, avocate, enrage. Bien sûr, elle rapporte l'absurde des poursuites et les nouvelles qui parviennent des parloirs de la prison d'El Harrach. Mêlés aux prisonniers de droit commun, les détenus d'opinion – pour certains d'entre eux – côtoient les rejetons du système, «ouled el issaba», poursuivis pour des faits de corruption. Ironie bien carcérale. Pour Lila Hadj Arab, dans toute cette affaire des détenus d'opinion, il n'y pas une once de justice : tout est arbitraire et «crime imaginaire». «L'article 1er du code pénal dit : – il n'y a pas d'infraction, ni de peine ou mesures de sûreté sans loi -. Les détenus sont poursuivis sur la base de l'article 79, soit pour atteinte à l'unité nationale… un crime qu'il est difficile de prouver, matériellement, l'existence.» Les lois, le code pénal, rappelle-t-elle, ne comportent aucune disposition explicite pouvant associer le port d'un quelconque emblème à un quelconque crime contre l'unité nationale. C'est que la «justice à Gaïd se comporte comme la chamelle du Prophète. Da3ouha inaha M-amoura . Laissez-là (chamelle), elle est inspirée». Par une volonté en toute puissance. «Pourquoi les détenus des autres régions du pays sont libérés (après condamnation à des peines avec sursis) alors que ceux détenus à Alger le demeurent encore ?» Mohamed Aït Mimoun, du collectif des avocats, y voit la marque d'une «décision politique». «Stigmatiser la Kabylie, l'isoler, pour ainsi mieux diviser le mouvement populaire», résume-t-il. L'avocat pointe quelques-unes des violations de procédure qui entachent les dossiers. «Les détenus sont censés tous avoir été arrêtés en flagrant délit de port du drapeau amazigh et nombre d'entre eux ont reconnu les faits qui leur sont imputés. Ils sont libérés après condamnation dans les autres régions d'Algérie et maintenus, par décision politique, à Alger.» Elu RCD à l'Assemblée de la wilaya de Tizi Ouzou, Mohand Acherfouche dit s'attendre à une répression plus importante. «Il ne faut pas se faire d'illusion, ça sera à plus grande échelle.» Son frère, Amar, 48 ans, croupit, depuis le 19e vendredi, à la Bastille sur Oued El Harrach. «Je ne l'ai vu qu'une fois au parloir et nous avions évoqué les conditions de son arrestation parce qu'il m' a été difficile de le localiser, ballotté entre plusieurs commissariats. Arrêté rue Didouche, il est conduit en début de soirée au commissariat de Baraki qui n'en voulait pas, puis Eucalyptus, pareil, puis au commissariat du Champ de manœuvres… bref, il n'était pas dans la liste consolidée de la police… ce n'est que le lendemain que j'ai eu des nouvelles.» Des nouvelles du porteur du drapeau maudit jeté dans la même fosse que les bandes de maffieux qu'il dénonce… Pour Fetta Sadat, avocate, députée RCD, «les juges, c'est clair, sont aux ordres de cercles occultes»… Un autre mercredi donc de mobilisation non-stop pour la libération des détenus d'opinion dont les prisons regorgent d'illustres inconnus. La militante n'exclut pas l'existence d'un archipel de goulags disséminé sur la carte du régime autoritaire. Des prisonniers d'«opinion» par fournées généreuses. «C'est pour ça que nous demandons une commission ‘‘justice et vérité'' pour que ce genre d'affaires remontent à la surface.» A quelques mètres d'elle, une dizaine de mères éplorées, pancartes vissées à la poitrine, réclament, «justice». Un collectif de parents de détenus dans des affaires de trafic de drogue, venus de la lointaine Maghnia. Qui pour demander un procès (inespéré) après des années d'oubli et de mandat de dépôt, qui pour demander «clémence», un «rapprochement du lieu de détention», etc. Youcef, animateur du collectif, est catégorique : «Je peux vous assurer qu'il y a au moins 16 000 prisonniers qui croupissent actuellement en prison rien que parce que la loi antidrogue, l'article 17, permet au juge de placer quelqu'un sous mandat de dépôt parce que son nom est apparu lors d'un interrogatoire (…).»