Pendants depuis des années au niveau de la Cour suprême, trois des plus importants dossiers de corruption, Sonatrach, Khalifa et autoroute Est-Ouest, ont été renvoyés devant les tribunaux criminels près les cours d'Alger et de Blida. Des enquêtes complémentaires seront ordonnées par ces deux juridictions alors que des mandats d'arrêt internationaux seraient sur le point d'être lancés contre trois anciens ministres réfugiés à l'étranger. Hier, le parquet d'Alger a ordonné une enquête pour corruption contre l'ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, qui fait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire national. Alors que la Cour suprême a renvoyé devant les tribunaux criminels trois des plus importants dossiers de corruption qui ont marqué les deux décennies de règne du Président déchu, le procureur de Sidi M'hamed près la cour d'Alger a annoncé, hier, «avoir ordonné à l'Office central de la répression de la corruption l'ouverture d'une enquête préliminaire contre l'ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, sur des faits à caractère pénal liés à la corruption et, qu'à ce titre, il a engagé contre lui une procédure d'interdiction de quitter le territoire». Le premier dossier sur lequel a statué la Cour suprême est celui de l'autoroute Est-Ouest, ouvert en 2009 par les officiers du défunt DRS (Département du renseignement et de la sécurité), dont le rapport préliminaire fait état des résultats de l'enquête sur les conditions d'octroi des marchés de réalisation de l'autoroute, par l'intermédiaire du Franco-Angolais et Brésilien, Pierre Falcone (condamné pour une affaire de trafic d'armes), à des sociétés chinoise, Citic CRCC, et japonaise, Cojaal, mais aussi sur les circonstances dans lesquelles des nombreuses sociétés étrangères ont obtenu des contrats dans le domaine du transport et de l'hydraulique. Les conclusions de l'enquête avaient fait état de l'implication de nombreuses personnalités, dont l'ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal, alors ministre des Ressources en eau, Amar Ghoul, l'ex-ministre des Travaux publics, Mohamed Bedjaoui, l'ex-ministre des Affaires étrangères, ainsi que des hommes d'affaires, le Luxembourgeois Mohamed Chani et le richissime Tayeb Kouidri, installé en Suisse. Aussi bien lors de l'instruction que lors du procès, une bonne partie des personnalités citées ont été épargnées. Le seul responsable entendu en tant que témoin et par écrit a été Amar Ghoul. L'examen de cette affaire en mai 2015 par le tribunal criminel d'Alger s'est terminé en queue de poisson et sans éclairer les zones d'ombre qui l'entourent. Trois acquittements et de nombreuses peines de prison allant d'un an avec sursis à 20 ans de réclusion ont été prononcés contre les 23 accusés, principalement des cadres, mais aussi des sociétés étrangères. Aussi bien le parquet général que les mis en cause se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême. Il y a deux semaines, cette haute juridiction a statué sur l'affaire et l'a renvoyée devant le tribunal criminel près la cour d'Alger, instruit pour demander l'ouverture d'une enquête complémentaire. Le deuxième dossier que la Cour suprême a examiné mercredi dernier est celui de Sonatrach. Un scandale aux ramifications internationales, qui a éclaté en 2010, et au centre duquel se trouve l'ex-ministre de l'Energie, Chakib Khelil, et Farid Bedjaoui, son conseiller financier, celui-là même qui avait été condamné par la justice italienne, dans le cadre des 197 millions d'euros de commissions versés par Saipem, filiale du groupe pétrolier italien Eni, aux responsables algériens pour obtenir des marchés en Algérie. En 2013, l'enquête judiciaire aboutit à l'inculpation de Chakib Khelil, qui réussit à quitter le pays. Des mandats d'arrêt internationaux sont alors lancés à son encontre mais aussi contre son épouse et ses deux enfants, et contre six autres anciens cadres de Sonatrach. On se rappelle tous de cette conférence de presse du procureur général près la cour d'Alger, Belkacem Zeghmati, où il explique les contours de cette entreprise criminelle créée par Chakib Khelil pour détourner de l'argent vers des comptes domiciliés dans plusieurs pays à travers le monde, grâce à Farid Bedjaoui. Mais après l'été 2013, le ministre de la Justice, Mohamed Chorfi, est débarqué puis remplacé par Tayeb Louh, qui instruit les magistrats de suspendre les poursuites contre Chakib Khelil et met le procureur général et le juge d'instruction au placard. Au procès, seuls les cadres qui ont agi sur instruction écrite de Chakib Khelil sont présentés à la barre puis condamnés à des peines de prison. Tout comme Amar Ghoul, Chakib Khelil a été blanchi par la justice et le dossier de Sonatrach fermé. Mercredi dernier, la Cour suprême a statué sur les pourvois en cassation et renvoyé l'affaire devant le tribunal criminel d'Alger, instruit pour ouvrir une enquête complémentaire. Durant la même journée, cette haute juridiction a examiné le dossier Khalifa, qui a été jugé à deux reprises sans pour autant faire la lumière sur toutes ces sommes colossales, constituant les fonds publics et l'argent des déposants, dilapidées en quelques années par Abdelmoumène Khalifa, patron du groupe qui porte son nom, avec la complicité de nombreux hauts responsables civils et militaires, dont beaucoup ont profité de cette manne, à commencer par certains membres de la famille du Président déchu. L'enquête judiciaire a cité au moins quatre ministres qui avaient été inculpés par la Cour suprême, parmi lesquels, Abdessalem Bouchouareb et Abdelmadjid Tebboune, alors que d'autres, comme Tayeb Belaïz, Abdelmadjid Sidi Saïd, pour ne citer que ceux-là, ont été nommément impliqués mais jamais inquiétés. Lors du premier procès, des révélations fracassantes ont été faites par les cadres poursuivis mais aussi par des personnalités citées comme témoins. Le «j'assume le faux», lancé par Sidi Saïd, pour éclairer le tribunal criminel de Blida, sur la décision de confier les fonds de la Cnas à Khalifa Bank, en a surpris plus d'un, sans pour autant pousser la présidente de l'audience à prendre des décisions. Mercredi dernier, la Cour suprême a renvoyé ce dossier devant le tribunal criminel de Blida, qui a été chargé d'ouvrir une enquête complémentaire. Pour les trois affaires, sera-t-il question d'aller jusqu'au bout de ces enquêtes et de poursuivre tous ceux qui ont été au centre de ces scandales qui ont saigné le pays et ceux qui leur ont assuré l'impunité ? En tout état de cause, il est important de préciser que trois anciens ministres ne sont plus en Algérie et risquent de ne jamais répondre aux convocations de la Cour suprême. Il s'agit Abdessalem Bouchouareb, ex-ministre de l'Industrie, qui réside actuellement au Liban, poursuivi dans le cadre des dossiers de Mahieddine Tahkout, Ali Haddad et Kia Motors, de Abdelkader Bouazgui, ex-ministre de l'Agriculture, poursuivi dans le cadre de l'affaire Tahkout, qui se trouve au Canada, et Chakib Khelil, l'ex-ministre de l'Energie, qui est actuellement aux Etats-Unis. Selon des sources judiciaires, des mandats d'arrêt internationaux sont sur le point d'être diffusés à leur encontre, après constat par les magistrats instructeurs de leur refus de répondre aux convocations. Visiblement, la justice est sur un immense chantier de lutte contre la corruption. Cependant, les conditions dans lesquelles ces enquêtes sont menées font planer le doute sur les objectifs recherchés. Elles donnent l'impression qu'il s'agit plus de règlement de comptes que d'une véritable «opération mains propres». L'ouverture d'une enquête sur l'ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh, et probablement sur Tayeb Belaïz, qui avait lui aussi occupé ce poste durant l'affaire Khalifa, dans laquelle il était mis en cause, pourrait déboucher sur de grandes révélations sur le fonctionnement de la justice durant deux décennies, où les scandales de corruption se comptaient par dizaine…