Après cinq mois d'insurrection citoyenne salutaire inédite, l'Algérie peine toujours à trouver la voie qui mène vers le changement démocratique souhaité par des millions d'Algériens. Equation insoluble ? Ceux qui possèdent la solution n'ont pas le pouvoir et ceux qui détiennent le pouvoir sont incapables de solution. Ceux qui savent ne peuvent pas et ceux qui peuvent ne savent pas et ne veulent pas. C'est la configuration politique qui plombe le pays et l'enferme dans un inextricable imbroglio. Le désordre est total. Après cinq mois d'insurrection citoyenne salutaire inédite, l'Algérie peine toujours à trouver la voie qui mène vers le changement démocratique souhaité par des millions d'Algériens. Alors que la révolution démocratique en cours ouvre des perspectives nouvelles et offre une chance historique pour le pays, l'idéal né de l'inoubliable journée du 22 février est contrarié. L'aspiration citoyenne portée inlassablement par «le peuple du vendredi» est entravée. La marche vers l'émancipation est déviée vers un chemin semé d'embûches. La dynamique citoyenne d'en bas ne rencontre pas une réelle volonté en haut. Un chassé-croisé politique incompréhensible, porteur de périls parce qu'il blinde et multiplie les impasses. Pourtant, la situation exige une désescalade. La stratégie de tension en œuvre depuis la déposition de Abdelaziz Bouteflika s'avère risquée pour tous. D'évidence, au mieux c'est une voie sans issue, au pire elle risque de conduire vers une confrontation aux conséquences incalculables que l'Algérie ne peut se permettre. Les vertus du dialogue louées par les héritiers du régime de Bouteflika – curieusement – ne sont pas suivies d'actes et d'actions pouvant réinstaurer un climat de confiance et de sérénité sans lequel aucune démarche politique ne peut être ni envisagée ni engagée. Le ton agressif employé à intervalles réguliers, la propagande soigneusement inspirée et la multiplication des écrans de fumée ont vite montré leurs limites. C'est une méthode contre-productive et qui dessert ses promoteurs. Brouiller les sérieuses pistes pouvant mener vers le triomphe de la révolution démocratique, c'est courir le risque d'une conflagration générale. Les signes sont apparents. Et si en effet le démantèlement des réseaux de corruption directement liés à la gouvernance du Président déchu est hautement nécessaire, il ne peut constituer un projet, encore moins l'ébauche d'un processus de construction de l'Etat démocratique. Mais cette battue peut bien se transformer en une interminable chasse du dahu et par conséquence retarder l'échéance pour laquelle des millions de citoyens battent le pavé chaque semaine. Jusque-là, le pouvoir incarné ouvertement par le haut commandement militaire n'existe que par les «diables» qu'ils s'inventent. Il apparaît de plus en plus évident que sa gestion ou sa non-gestion des événements qui secouent le pays – dans le bon sens – a montré ce qu'il sait parfaitement faire de mauvais : accentuer la méfiance vis-à-vis de la société en mouvement et en son sein, empêcher la possibilité d'un vrai changement de cap et surtout verrouiller les issues salvatrices. Il est au mieux coupable de manque criant d'imagination et de créativité politiques, alors qu'en face, les Algériens redoublent d'imagination et excellent dans les formulations. Et par-dessus tout, ils facilitent les choses et offrent des garanties à tous. Jamais le pays n'a été aussi soudé comme en ces journées insurrectionnelles. Soutenue par une extraordinaire énergie populaire, la nation ne s'est jamais sentie aussi sûre et sereine. Le potentiel national éclôt comme jamais et donne au pays une opportunité historique de rompre définitivement avec tous les archaïsmes. Dans ces gigantesques mobilisations, les citoyens en lutte dans une diversité politique assumée opèrent des ruptures à plusieurs niveaux, accompagnées de bouleversements culturels profonds. Désormais, les Algériens en insurrection mettent en place un nouveau socle politique en mesure de soutenir les réformes structurelles et grandes mutations que doit subir le système de gouvernance nationale. Ils échafaudent avec cohérence et conviction les contours de la maison commune de demain. Il appartient aux décideurs de se hisser à la hauteur de ce moment fondateur pour propulser l'Algérie sur la voie de la liberté et du progrès. Tout dans le pays pousse dans cette direction de l'histoire. Il ne sert plus à rien de ruser, encore moins de manœuvrer pour contourner la marche du peuple pour sa libération. Force est de constater que pour l'heure, les héritiers du régime Bouteflika ne semblent pas prendre la mesure du bouleversement historique qui s'est opéré depuis le soulèvement de Kherrata et de Khenchela. Ils refusent de prendre acte. Les agissements du pouvoir montrent combien est énorme le décalage entre les Algériens en rupture avec les temps anciens et les décideurs accrochés à une époque révolue. En livrant des batailles d'arrière-garde et en tentant de prolonger la durée de vie d'un système fini, ils font perdre un temps précieux au pays, cerné par des problématiques aussi graves que menaçantes. L'erreur commise par Abdelaziz Bouteflika et ses seids, qui a conduit l'Algérie dans une impasse intégrale, était de faire passer les intérêts d'un groupe aux dépens de toute une nation, en dressant une partie de privilégiés contre la majorité des Algériens. Reconduire cette conception dangereusement réductrice dans la gouvernance du pays, c'est préparer le lit des périls.