La conférence nationale sur les enjeux de la zone de libre-change continentale africaine (ZLECAF) et la stratégie nationale adaptée à cette zone se tiendra le 7 octobre prochain à Alger. Objectif : Vulgariser les instruments de mise en œuvre de la ZLECAF et sensibiliser les opérateurs économiques et les institutions d'appui au commerce extérieur sur les opportunités économiques qu'offre la présence commerciale de l'Algérie sur le marché africain. En prévision de cette rencontre annoncée en grande pompe, le département de Saïd Djellab a pris attache avec des économistes et des experts algériens en vue de contribuer à la mise en place de cette stratégie. Une première réunion a déjà regroupé en septembre les représentants du ministère du Commerce et des universitaires pour débattre de ce dossier. Des concertations avec les opérateurs économiques algériens en vue de mettre en place une conception à la lumière des propositions qu'ils jugent adéquates à ce propos, ainsi que d'autres réunions avec le reste des acteurs, ont été programmées en prévision de la conférence nationale. Il faut dire que depuis juillet dernier, date de la ratification par l'Algérie de l'accord continental pour la création de la ZELCAF, lors du sommet africain tenu à Niamey (Niger), les sorties et les déclarations autour de ce dossier se sont multipliées. Le ministère du Commerce affiche d'ailleurs des ambitions démesurées quant aux résultats de cet accord. Les pouvoirs publics continuent, en effet, à nourrir de l'espoir autour des accords conclus, alors que les différentes expériences ont montré leurs limites. Preuve en est : les recettes des exportations hors hydrocarbures n'ont jamais pu franchir la barre de 3 milliards de dollars, et pour la plus grande part, ce sont des dérivés d'hydrocarbures (64% en 2017 et 70% en 2018). Contraintes Cependant, «notre pays à de forts potentiels pour jouer un rôle de leader dans l'émancipation économique de la zone Afrique», affiche avec optimisme le ministre en charge du secteur. Mais qu'en est-il justement de l'optimisation de ce potentiel. La question s'impose autant pour le marché africain que pour les autres zones d'échanges (Maghreb, pays arabes, Union européenne). Car, faudrait-il le noter, les échanges de l'Algérie avec ses différents partenaires, que ce soit dans un cadre bilatéral ou multilatéral, restent faibles et se limitent à quelques produits, essentiellement les hydrocarbures, en ce qui concerne les exportations. Les pouvoirs publics évoquent à chaque fois l'importance des potentialités, mais les contraintes liées aux exportations hors hydrocarbures restent de mise, alors qu'on ne cesse de parler de la nécessité de lancer une stratégie nationale d'exportation. Mohammed Bouchakour, de l'Ecole des hautes études commerciales d'Alger, intervenant la semaine dernière à l'université de Tizi Ouzou lors d'une rencontre autour de cette stratégie, mettra justement en exergue la nécessité de saisir les opportunités qui se présentent en matière d'exportations. «Il ne faut pas réfléchir seulement en termes de potentialités à mobiliser, mais aussi en termes d'opportunités à saisir et ne pas se contenter de lever les contraintes à l'export, mais stimuler activement les initiatives nationales autour d'un portefeuille de projets», plaidera-t-il. Il proposera dans ce sillage l'amélioration de l'attractivité des territoires, l'instauration d'un dispositif de services d'appui à l'export complet et le développement de l'économie de la connaissance. Ce sont autant de points à prendre en charge dans un cadre ouvert au changement. Les experts s'accordent d'ailleurs à dire que rien ne peut se faire sans le changement du système de gouvernance économique qui dépend à son tour du changement de la gouvernance politique, objet de la revendication populaire depuis huit mois. En effet, il est clair que les conditions actuelles sont loin d'encourager le commerce extérieur et la diversification de l'outil de production. Chercher à pénétrer de nouveaux marchés dans ce contexte semble utopique. Cela pour dire que l'Algérie risque de ne pas être prête pour l'entrée en vigueur de la ZLECAF, prévue en juillet 2020, dans moins d'une année. Expériences ratées Et ce, d'autant que l'expérience de l'Algérie avec les zones de libre-échange (Grande zone arabe de libre-échange (GZALE) et Accord d'association avec l'Union européenne, notamment) est loin d'être concluante, puisque ce sont les importations qui ont été privilégiées. Même constat pour le projet d'intégration maghrébine. «Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des conventions commerciales et tarifaires intra maghrébines ont trait à la persistance de mesures restrictives aux échanges inter maghrébins, tels que les autorisations techniques et administratives préalables à l'importation en franchise de droits de douane, des droits compensateurs et de certaines taxes spécifiques», explique une étude de l'UE qui remonte à début 2018. Une étude qui rappelle, concernant l'intégration commerciale de l'UMA, que la part des échanges commerciaux intra-maghrébins dans le commerce total des pays de l'UMA est restée à des niveaux peu élevés, avec une progression quasi-nulle depuis deux décennies. «Les échanges de marchandises entre les pays maghrébins ne représentaient que 3,6% de leurs échanges avec le reste du monde. La contribution du commerce intra-maghrébin dans le PIB de la région demeure ainsi très faible, se situant à 2,05% en 2015», indique ledit document. Globalement, au niveau de l'ensemble du Maghreb, les estimations montrent que les échanges intra-régionaux, évalués à 6724,06 milliards de dollars en 2015, n'ont atteint que 27,4% du potentiel, estimé à 24514,67 milliards de dollars. «Autrement dit, le niveau actuel du commerce intra-Maghreb ne couvre qu'un quart du niveau des échanges qui devrait prévaloir entre les pays de l'UMA compte tenu des capacités économiques et des autres facteurs qui caractérisent ces pays. Dans le cas où les échanges intra-Maghreb progressent pour atteindre leur potentiel (estimé), cela portera les parts respectives du commerce intra-Maghreb dans le commerce total et le PIB de la région à 11,8% et 6,4%, soit le triple des parts observés en 2015 (3,6% du commerce total et 2,05% du PIB)», explique encore l'étude. Pour le cas de l'Algérie, par exemple, son commerce avec le reste de la région est très faible. Les chiffres le montrent clairement : les exportations et les importations algériennes n'ont atteint que 25,5% et 11,6% de leur potentiel. Par ailleurs, concernant les relations de l'Algérie avec l'UE, dans le cadre de l'accord d'association, le constat est également peu reluisant. Les exportations Algérie-UE restent dominées par les hydrocarbures, avec une stagnation des échanges des biens et services. En 2017, selon un document de l'UE, pour la troisième fois depuis l'entrée en vigueur de l'AA, la balance commerciale entre l'UE et l'Algérie a été déficitaire pour cette dernière pour 281 millions d'euros, alors qu'en 2016, ce déficit était de 3,9 milliards d'euros. Pour ce qui est de la GZALE, l'Algérie n'a pas également tiré profit. Membre de cette zone depuis 2009, année de l'entrée en vigueur de la convention signée en 2001 avec les pays composant cet espace commercial. En 2015, par exemple, le volume des échanges avec les pays de la GZale, était de 4,8 milliards de dollars, soit seulement 4,2% de ses échanges à l'international. Mais peu de données sont disponibles pour évaluer l'ensemble des accords. Il y a aussi le dossier de l'accession à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui est toujours en attente. C'est dire que l'Algérie a été victime de ses décisions dans l'ouverture aux marchés extérieurs. Elle risque encore de payer les frais dans cette aventure de la ZELCAF. «Cette décision sera énorme de conséquences immédiates sur l'économie algérienne. D'abord en faisant perdre des parts de marché aux entreprises algériennes, elle va quasiment laminer en quelques années des secteurs d'activités entiers. Ensuite en faisant inonder le marché local de produits de mauvaise qualité, elle va dangereusement aggraver l'impact négatif des produits industriels sur la santé des consommateurs, l'environnement et la société», prévient Mohamed Amokrane Zoreli, enseignant à l'université de Béjaïa (lire contribution).