Dans un consternant bégaiement de l'histoire, des policiers ont interpellé, hier samedi 5 octobre, des citoyens, militants, membres de partis politiques et avocats, venus à la grande place des Martyrs pour y déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des victimes de la répression. Parmi les personnes interpellées hier figurent, notamment, des membres de partis politiques (Ouahid Benhala et Fethi Gherras du MDS), des avocats (Me Aouicha Bekhti), des parents de détenus (Arezki Challal, coordinateur du collectif des familles des détenus), des militants (Hassan Mebtouche, Wahid Ben Hala et Douaib Laajal) et des dizaines de citoyens ayant pris part à la commémoration. «Farid Hami, membre du CNLD, a été intercepté en portant la gerbe de fleurs et des banderoles, il a été sauvé in extremis grâce à l'intervention de quelques citoyens présents», précise le Comité national pour la défense des détenus (CNLD) sur sa page Facebook. La commémoration de ce 31e anniversaire des événements du 5 Octobre 1988, durant laquelle les participants entendaient dénoncer les arrestations arbitraires pour délit d'opinion, fut brève. Arezki Chaalal, coordinateur du collectif des familles des détenus, relâché dans l'après-midi, relate à El Watan : «J'ai été apostrophé en me dirigeant vers la place des Martyrs par un policier en tenue civile, qui me réclamait mes papiers d'identité. Il a décidé de m'arrêter après avoir remarqué un paquet de portraits (des personnes détenues, dont son fils, ndlr) que j'avais en ma possession en demandant expressément à ses collègues de me mettre à part.» Au commissariat, les policiers l'ont interrogé sur l'identité des personnes représentées dans ses pancartes. «J'ai alors répondu qu'il s'agit du portrait de mon fils et que je réclamerai sa libération dans toutes les marches, tous les sit-in, dans les commissariats et même en prison !» Il a été libéré quelques heures plus tard. La sémillante avocate Aouicha Bakhti narre en ces termes son interpellation ce samedi 5 octobre : «Je venais à peine d'arriver près de la place des Martyrs, après avoir rendu visite aux détenus, que les policiers m'ont interpellée avec brutalité. Une fois au commissariat, ils se sont montrés plus corrects et nous ont rassuré sur le fait que nous serions bientôt relâchés.» Elle précise : «Je pense que le but était d'empêcher la marche de se tenir et non pas de nous arrêter.» Durant les longues heures qui ont suivi l'arrestation des marcheurs, deux policiers gardaient jalousement le kiosque au centre de la place, pendant que les hommes en bleu armés de matraques et de boucliers antiémeute étaient aux aguets. Les personnes qui osent pénétrer dans le périmètre de la place des Martyrs, clôturée par un imposant cordon sécuritaire, étaient épiées par les forces de l'ordre. Pour autant, la détermination des manifestants n'a pas été entamée. Un sit-in improvisé, en mémoire aux victimes d'Octobre et des détenus d'opinion, s'est ainsi tenu près de la rue Didouche Mourad, non loin de la Fac centrale, rassemblant quelques dizaines de personnes portant drapeaux et banderoles en faveur de la libération des détenus politiques. «Oui, confirme Arezki Chalal, nous avons tenu un sit-in pendant un petit moment avant d'être dispersés par les forces de l'ordre. En revanche, il n'y a eu aucune interpellation.» Sur les réseaux sociaux, les activistes rappellent les droits en cas d'arrestation, à savoir : garder le silence, refuser de signer toute déposition, joindre un avocat, etc. Chaque jour semble ainsi l'occasion pour les forces de l'ordre d'intensifier leur stratégie de répression, semant ainsi un climat de tension au sein des activistes du hirak. «Non, glisse Aouicha Bakhti, ce n'est pas cela qui va nous décourager !»