– Vous appelez depuis le début du hirak à un dialogue global et inclusif pour trouver une solution à la crise politique actuelle, mais le pouvoir refuse cette option et impose sa propre démarche. Comment expliquez-vous cet entêtement ? Le Front des forces socialistes (FFS) a, depuis sa fondation, plaidé pour un dialogue transparent et global afin de trouver un compromis politique historique à la crise multiforme qui paralyse notre pays depuis son indépendance à nos jours. Une crise complexe, dont la cause majeure est l'absence de légitimité des pouvoirs successifs et de leurs institutions non démocratiques qui ont gouverné le pays par la force. Notre formation politique n'a cessé, depuis sa création, de lutter pacifiquement pour trouver une issue heureuse à la crise nationale, née au lendemain de l'indépendance, en contribuant activement à l'avènement d'une nouvelle République qui honorerait les promesses de la Révolution du 1er Novembre et les orientations de la Plateforme de la Soummam. Malheureusement, les offres de dialogue pour une sortie de crise, proposées par le FFS par son président, feu Hocine Aït Ahmed, et la direction actuelle du parti, ont été systématiquement rejetées par les décideurs successifs depuis des décennies. – Comment le pouvoir justifie ces rejets ? Le pouvoir n'avance aucun argument palpable et ces rejets injustifiables ont des conséquences dramatiques pour notre pays et pour notre peuple. L'échec de ces démarches pacifiques et civilisées qui visent à construire des issues politiques consensuelles et concertées incombe exclusivement au régime algérien ! C'est sa responsabilité devant l'histoire et devant le peuple algérien. La nôtre est de poursuivre nos efforts en faveur d'un dialogue global, sincère et inclusif que nous considérons comme le seul et unique moyen politique et pacifique qui sied à la réalité nationale et répond aux graves menaces qui pèsent sur la sécurité, la souveraineté et l'unité nationales. Notre parti inscrit ses initiatives dans un processus qui rejette la violence, ennemie de la démocratie, et les pseudo-dialogues, fabrique de marque des dictatures. Face à un régime qui refuse d'entendre la voix salutaire du peuple, le FFS est déterminé à maintenir son cap et à poursuivre son combat aux côtés des millions d'Algériennes et d'Algériens qui luttent pacifiquement depuis plus de sept mois, pour l'avènement de la IIe République et l'édification d'un Etat de droit. – Des partis politiques, des associations, le panel de Karim Younès et le mouvement populaire ont posé des préalables pour la réussite d'un vrai dialogue. Abdelkader Bensalah a promis de répondre favorablement, mais Gaïd Salah a opposé un niet. Qu'en pensez-vous ? S'agissant des préalables, le FFS a été le premier parti politique de l'opposition à mettre en valeur des préalables d'ordre politique et éthique afin de réunir les conditions favorables à un vrai dialogue dans le pays. Le premier de ces préalables, nécessaires à la réussite de la transition démocratique, est d'éviter l'immixtion de l'institution militaire dans ce processus. Cette dernière aura à accomplir, dans le cadre de ses attributions constitutionnelles, la noble mission de garantir le bon déroulement de cette opération et de veiller à la souveraineté du pays et à la cohésion de son peuple, dans un contexte régional et international instable et menaçant à nos frontières. Nous revendiquons également la libération des détenus politiques et d'opinion, l'ouverture des champs politique et médiatique, la levée de toutes les mesures répressives et coercitives contre le droit de manifester librement, notamment dans la capitale, et l'arrêt immédiat du bradage et de la dilapidation des richesses du pays. La non-prise en compte de ces préalables hypothéquerait irrémédiablement tout espoir de dénouement de la crise nationale. Quant aux réponses sans consistance et sans garantie apportées à ces préalables par des fonctionnaires commis d'office, vite démenties par le pouvoir réel, confirment que le régime n'a pas la volonté politique d'ouvrir un vrai dialogue pour résoudre la crise. – On assiste à des arrestations parmi les animateurs du hirak, mais aussi de figures politiques connues. A quoi cela répond ? A travers la multiplication de ces arrestations, qui ont ciblé des animateurs du hirak et des étudiants ainsi que des figures politiques, médiatiques et autres paisibles concitoyens, allant jusqu'à emprisonner un symbole de la Guerre d'indépendance nationale, Si Lakhdar Bouragaâ, le pouvoir totalitaire algérien espère réinstaller une chape de plomb sur le peuple et sur ses espérances ! Pour y parvenir, les décideurs instrumentalisent systématiquement ses deux appareils, judiciaire et sécuritaire, pour réintroduire la psychose et la résignation et, le cas échéant, pousser le peuple algérien à rompre avec son pacifisme légendaire et à verser dans l'engrenage mortifère de la violence et du chaos. Mais il n'y parviendra pas, car il rame à contre-courant d'un mouvement historique de libération d'un peuple. Le FFS dénonce énergiquement les méthodes brutales, répressives et démesurées du pouvoir actuel qui espère mettre un terme à la révolution populaire et nous continuons à exiger la libération des détenus politiques et d'opinion. – Des manifestants sont jetés en prison pour avoir brandi l'emblème amazigh et d'autres pour avoir exprimé des opinions critiques envers le pouvoir. Pourquoi un tel acharnement ? Là aussi, nous avions condamné ce grave dérapage ! Car, non seulement il remet en cause une identité qui est jalousement entretenue et assumée par l'intégralité des peuples de l'Afrique du Nord, dont le nôtre, et surtout reconnue par la nouvelle Constitution nationale, mais il fragilise gravement une cohésion nationale qui a survécu aux pires moments des conquêtes coloniales à travers notre histoire. Ce procédé machiavélique a heureusement provoqué l'effet inverse. Car, tout comme la mesure prise pour isoler notre capitale du reste du pays, la mise en œuvre de cette batterie de mesures abjectes n'a fait que renforcer les liens entre les Algériennes et les Algériens. – Karim Tabbou a été arrêté puis relâché, mais il a encore une fois été interpellé et remis en prison. Que pensez-vous du travail de la justice ? Comme évoqué plus haut, au-delà de la personne du camarade Karim Tabbou, ancien militant du FFS, et au-delà du fait que cette interpellation à double détente confirme les menées autoritaires d'un régime aux abois, cet épisode tragi-comique nous renseigne sur le degré de déliquescence qui gangrène la justice algérienne. Ce qui est évident est que cette arrestation vise surtout à saper le moral et la détermination de celles et ceux qui, comme lui, luttent courageusement pour instaurer un véritable changement démocratique dans le pays. Concernant le rôle de l'appareil judiciaire, de l'aveu des magistrats et des avocats qui connaissent les rouages et les ombres de cet organisme, le constat est unanime : il y a absence d'un Etat de droit, garant d'une justice équitable et de procès justes et transparents. Cette instance est aujourd'hui instrumentalisée afin de museler les voix discordantes et de régler des comptes entre les différents clans du régime. – Que pensez-vous du procès de Louisa Hanoune, du général Toufik, Saïd Bouteflika et Athmane Tartag ? Nous œuvrons à l'instauration d'un Etat de droit qui consacre la séparation des pouvoirs. Une justice aux ordres, qui ne respecte pas les droits de l'homme et qui n'obéit pas aux règles universelles en la matière, est qualifiée de parodie de justice. – Maintenant que le train des élections est en marche, le mouvement populaire dispose-t-il encore d'une marge de manœuvre ? Certainement oui ! Il ne faut jamais sous-estimer ou oublier ce que cette révolution populaire pacifique a pu réaliser comme prouesses depuis son déclenchement, malgré l'adversité, la répression et de mauvaises conditions climatiques ! C'est un véritable exploit auquel on continue d'assister et qu'il faudra mettre à l'actif de la clairvoyance, la lucidité et le haut sens de responsabilité du peuple algérien. Il ne faut surtout pas omettre de souligner que le pouvoir – au sommet de sa cohésion, à l'apogée de sa force et fort du soutien international et des multiples clientèles politiques, médiatiques, économiques et autres vassaux du régime interne – a battu en retraite face à un peuple algérien, qui a réussi à stopper net la feuille de route du régime visant à pérenniser son règne à travers un 5e mandat au profit du chef de l'Etat déchu ! Ce scénario, que le régime a voulu rééditer une seconde fois avec l'organisation du même scrutin le 4 juillet, a subi le même échec. Aujourd'hui encore, le pouvoir veut une nouvelle fois imposer au peuple algérien un autre coup de force électoral, en mettant de côté ses revendications et en banalisant ses sacrifices et ses aspirations légitimes. Le peuple algérien dans son ensemble et l'essentiel de la classe politique issue de l'opposition ainsi que les vrais représentants de la société civile refusent d'être entraînés, malgré eux, dans un autre simulacre électoral. Comme ils avaient majoritairement rejeté le faux dialogue initié par le pouvoir ainsi que ses conclusions. Au lieu d'engager le pays et le peuple dans un bras de fer continuel et dans une confrontation brutale et violente aux conséquences dévastatrices et irréversibles, le pouvoir ferait mieux de s'inscrire, de manière urgente, dans un compromis politique historique garant de la pérennité de notre nation. – Aujourd'hui, on compte plus de 100 intentions de candidatures aux élections de décembre prochain, dont Abdelmadjid Tebboune, Ali Benflis et Azzedine Mihoubi. Comment voyez-vous ces candidatures ? Ce scrutin, comme tous ceux qui l'ont précédé, n'a rien de démocratique. Dans l'incapacité de convaincre des personnalités de renom d'y participer, la multiplication des candidatures de complaisance n'y changera rien. Quelles que soient les mises en scène théâtrales pour crédibiliser ce scrutin, il faut surtout y voir une double provocation. D'une part, le fait d'imposer un agenda politique en contradiction avec les revendications populaires qui exigent, clairement, une période de transition avant tout processus électoral. D'autre part, le fait de réimposer comme candidats d'anciennes figures du régime politique qui a régné en maître absolu depuis des décennies et qui est à l'origine du marasme complexe que connaît notre pays. C'est une insulte à l'intelligence du peuple. – Le FFS vit une crise interne. Les militants de ce parti sont scindés en deux clans. Comment en êtes-vous arrivé à cette situation ? Qui est à son origine ? Que veulent vos adversaires au sein du parti ? Il est utile de rappeler à ceux qui ne connaissent pas le FFS, notre parti n'est pas un parti créé sur le papier. Il a été construit et cimenté depuis un demi-siècle avec le sang d'un demi-millier de martyrs et de nombreux militants morts pour la démocratie. L'épisode de crise que vous évoquez, un détail dans la longue histoire de notre parti, n'est ni le premier ni le dernier provoqué par le régime actuel, qui en a fait sa cible prioritaire depuis toujours, en tentant une fois de plus de diviser ses rangs par sa police politique et une presse aux ordres. Il faut dire que les multiples crises que le parti a connues depuis sa création ont été fomentées par le régime à chaque fois que le parti prenait des initiatives pour restaurer la stabilité dans le pays et engager celui-ci dans un processus constituant et démocratique. Les attaques continuelles contre le parti depuis sa création visent à paralyser son projet de construction d'une alternative démocratique basée sur le droit et la démocratie. Son projet d'Assemblée nationale constituante et d'instauration d'une IIe République, relayé par le mouvement citoyen est insupportable au régime qui y voit une menace pour sa pérennité. Ces attaques surviennent à des moments importants de la vie politique nationale, où le parti est appelé à jouer les premiers rôles. Cette fois-ci, c'est suite à notre rejet de l'élection présidentielle pour un 5e mandat et à notre décision de mener une campagne de boycott active sur le terrain. De même, la volonté exprimée par la direction du parti de retirer nos parlementaires des assemblées impopulaires décriées par le peuple révolté a été considérée comme une atteinte aux institutions, que le régime ne pouvait tolérer davantage. Une fois de plus, le FFS a déjoué ces manœuvres et a engagé un processus de rassemblement de ses rangs grâce au sens élevé de responsabilité de ses instances dirigeantes et au soutien massif de ses militants, le prochain conseil national en cours de préparation se veut consensuel. Il est appelé à adopter une feuille de route pour l'organisation d'un congrès national ordinaire rassembleur. Le FFS est éternel, il est un et indivisible.