Ce sont parfois les enfants qui entraînent toute la maisonnée en créant une ambiance de ferveur . C'est un petit bout de chou de 7 ans qui vient à peine de boucler sa première année à l'école. Il a appris à ânonner quelques textes, possède quelques rudiments de calcul et d'éducation islamique, mais la matière qu'il maîtrise le mieux ne fait pas vraiment partie du cursus scolaire. Et pour cause, Anis est incollable sur l'équipe nationale dont il connaît presque tout. Son livre de chevet ? Un cahier où sont collées toutes les photos des joueurs et quelques articles de presse qu'il a soigneusement décollés des journaux et des magazines. Un trésor qu'il cache soigneusement sous son lit et qu'il ne montre qu'à ceux qu'il aime vraiment. Ecrits d'une main maladroitement enfantine, les noms sont encadrés au feutre rouge d'un gros cœur qui déborde d'amour pour la bande à Saâdane. Le chouchou d'Anis, parmi toutes ces stars du ballon rond, est bien évidemment le gardien Chaouchi, dont il rêve d'imiter la coupe de cheveux. Pour le moment, le papa refuse obstinément de singulariser son fiston en l'autorisant à adopter un look aussi singulier. Qu'à cela ne tienne, Anis ne désespère pas de parvenir un jour à convaincre son paternel à le laisser arborer la même tignasse que son idole aux cheveux peroxydés. Tout aussi récalcitrant qu'il pourrait paraître, le papa a quand même fait quelques concessions à la passion dévorante de son fils. Il a consenti à délier les cordons de sa bourse pour l'achat d'un ballon de foot, une paire de gants et une tenue comprenant un short, un tricot, des bas et une écharpe. De plus, tous les deux ou trois jours, il achète une boîte de fromage en portions d'une marque bien ciblée. Ce n'est pas tant que le petit ait besoin de calcium pour solidifier ses os, mais simplement parce que la marque de fromage a flairé un bon coup de marketing en proposant des images de joueurs à collectionner. Naturellement, si vous demandez à Anis ce qu'il fera une fois grand, n'attendez aucune vocation liée à la médecine, à l'architecture ou à l'aviation civile. Il prendra, bien évidemment, la place de Chaouchi dans les bois et dans le cœur des Algériens. Riadh, son copain de classe et voisin de palier, est décidé à devenir Karim Ziani comme on devient enseignant ou fermier. Par vocation. Des petits garçons comme Anis ou Riadh, il y a en des centaines de milliers à travers toute l'Algérie. Depuis que le pays s'est qualifié à la Coupe du monde sud-africaine, une vague verte balaie tout sur son passage. Si les adultes ont sombré corps et âmes dans ce nouveau culte né quelque part entre Le Caire et Oum Durman, les enfants, beaucoup plus réceptifs et émotifs que leurs aînés, ne pouvaient évidemment échapper au tsunami footballistique qui déferle sur le pays. Ce sont parfois eux-mêmes qui entraînent toute la maisonnée en créant cette ambiance de ferveur et d'excitation extrême qui précèdent les matches importants. Ils sont également partie prenante dans ces rituels d'avant match où l'on se peinturlure le visage comme des Sioux, chante comme des possédés et danse à faire s'écrouler le parterre sur la tête les voisins d'en bas qui, soit dit en passant, sont en train de vivre la même transe patriotique. Un jeu innocent que tout cela ? Le papa d'Anis n'en est pas si sûr. Il a pris conscience que les enfants sont capables de ressentir des émotions violentes à l'occasion d'un match de football, tout comme ces adultes dont le cœur peut s'arrêter à l'occasion d'un but marqué ou raté. C'est le cas de son petit chérubin qui tremble comme une feuille quelques minutes avant un match de l'équipe nationale. Le trac et l'angoisse se lisent sur son visage en sueur. Après le match perdu contre l'Egypte au Caire, il avait pleuré à chaudes larmes et avait même refusé de manger. Il a fallu lui parler longuement pour essayer de relativiser et dédramatiser. Les enfants peuvent-ils encaisser sans séquelles des émotions collectives aussi vives ? Si la réponse appartient sûrement au futur, on peut, d'ores et déjà, pronostiquer que l'Algérie a assuré sa relève en matière de professionnels aptes à courir derrière un ballon. Ce n'est évidemment pas le cas des disciplines plus nobles qui demandent moins de muscles et plus d'esprit, car le phénomène d'identification risque de produire une génération de Chaouchi et de Ziani. C'est probablement par le foot que les enfants font leur première intrusion dans le monde des adultes. Par ce jeu universel où le ballon est rond comme la terre, où l'on joue à vaincre ou à perdre comme à la guerre. En tout cas, c'est par cette voie que les enfants font leurs premières gammes de citoyens liés par un hymne, un drapeau et une équipe. L'équipe nationale est devenue aujourd'hui la première école du nationalisme.