La lutte contre l'informel et la récupération des montants thésaurisés passe inévitablement par la réforme de la gouvernance des banques publiques. Ce qui dépend d'un changement à un plus haut niveau, c'est-à-dire de la gouvernance politique, et ce, d'autant que, pendant longtemps, les banques interpellées aujourd'hui à accélérer leur modernisation pour drainer l'argent de l'informel répondaient aux injonctions des décideurs politiques en acceptant de financer des projets souvent «douteux» lancés par les proches du clan présidentiel de l'époque au détriment d'initiatives porteuses. C'est dire que les liens étroits entre les sphères politique et financière n'ont fait que travailler au profit de l'amplification du phénomène de la corruption et de celui de l'informel en parallèle, reléguant l'efficacité et l'obligation de performance au second plan. Après avoir reculé en 2017 par rapport à 2016, passant à 4780 milliards de dinars, la masse monétaire circulant hors circuit bancaire est de nouveau repartie à la hausse pour atteindre aujourd'hui les 5000 milliards de dinars. C'est le chiffre rendu public récemment par la Banque d'Algérie (BA). Même si ces données ne sont pas exhaustives et sont parfois contradictoires d'un responsable à un autre faute d'un système d'information fiable, cette hausse vient mettre à nu l'échec de toutes les mesures arrêtées jusque-là pour bancariser l'argent qui circule sur le marché parallèle. Cette somme, qui représente 30% de la masse monétaire du pays et plus de 50% des encours des crédits accordés à l'ensemble de l'économie nationale, illustre également la faiblesse de l'épargne des ménages pour différents motifs. Des motifs qui font que l'épargne n'atterrit pas dans les banques. Mais, ces motifs ne sont pas totalement identifiés, du moins selon la BA, pour qui il y a lieu d'entamer des études sérieuses pour situer ce qui rend les agents économiques réticents à l'épargne et qui amplifie l'informel. Donc, si on se réfère aux dernières déclarations du gouverneur de la BA par intérim, Amar Hiouani, jusque-là, rien n'a été fait pour déceler les raisons à l'origine d'une telle situation alors qu'au cours de ces deux décennies, on n'a cessé de relever la nécessité de freiner le fléau. On a même lancé des études qui apparemment n'ont pas été menées à terme. Sinon, comment expliquer l'appel du premier responsable de la Banque centrale à «entamer des études sérieuses» pour mettre le doigt sur les motifs qui font que l'épargne circule hors circuit bancaire. «Est-ce que les banques n'ont pas offert des produits attractifs, ou y a-t-il d'autres raisons ? Ce sont ces questions-là qui doivent être posées et étudiées», a estimé Amar Hiouani. Des questions qui ont déjà été soulevées. Des mesures sans impact Des instructions ont également été adressées aux banques pour se mobiliser davantage afin de faire aboutir l'opération de bancarisation des fonds circulant hors circuit bancaire, en acceptant notamment le versement de l'argent liquide sans demander des justificatifs sur l'origine des fonds. En juin 2018, la BA avait exempté les citoyens de déclarer la source d'alimentation en monnaie nationale et en devises accordant ainsi plus de flexibilité et de souplesse dans l'ouverture de comptes bancaires. Cette mesure a permis, selon le ministre des Finances, Mohamed Loukal, de drainer environ 500 millions de dollars en nouveaux dépôts en seulement sept mois. Il y a eu aussi auparavant le dispositif de mise en conformité fiscale volontaire (MCFV) instauré pour rappel dans la loi de finances complémentaire 2015 pour encourager les particuliers non impliqués dans des opérations de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme à transférer leurs capitaux informels vers les circuits bancaires, moyennant paiement d'une simple taxe forfaitaire fixée à 7%. Mise en marche en août de la même année et prorogée jusqu'à 2017, cette mesure n'a pas réussi à donner les résultats escomptés même si son bilan n'a pas été clairement établi (500 opérateurs identifiés à janvier 2017), et ce, au même titre que l'emprunt national obligataire lancé en avril 2016, soit neuf mois après la MCFV. Cela pour dire que les mesures et les incitations prises par les pouvoirs publics pour bancariser les montants circulant dans l'informel ont été sans impacts. Et voilà qu'on annonce aujourd'hui le lancement de nouvelles procédures prises pour la commercialisation dans trois mois des produits de la finance participative en vue d'attirer une partie des capitaux se trouvant dans le marché parallèle, et ce, conformément au règlement de la BA de janvier 2018 qui intervient pour permettre aux banques de pratiquer la finance islamique en fusionnant l'activité conventionnelle et l'activité participative. Ces produits étaient initialement prévus en 2018 pour être finalement retardés. Cela pour dire que les engagements des pouvoirs publics n'ont pas été tenus comme c'est le cas dans d'autres secteurs et pour d'autres mesures. Ce qui a engendré justement une perte de confiance vis-à-vis de l'administration et des banques invitées régulièrement à être plus attractives pour améliorer la collecte de l'argent circulant dans le circuit informel, mais elles doivent surtout regagner la confiance des clients. Le ministre n'a pas manqué de le souligner devant les députés lors des travaux dédiés aux débats sur le Projet de loi de finances 2020. «Il y a lieu d'asseoir la confiance entre le client, l'administration et les banques.» Le maillon manquant L'ancien président de l'Association des banques et établissements financiers (ABEF), Boualem Djebar, l'a également souligné en 2018 avançant que le meilleur moyen de capter l'argent de l'informel, c'est d'instaurer un climat de confiance. C'est justement le maillon manquant pas uniquement entre entreprises-banques et particuliers-banques, mais dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés. «Comment demander aux ménages de bancariser leur argent alors qu'ils ont totalement perdu confiance en l'administration. Cette situation ne date pas d'aujourd'hui, mais elle s'est accentuée avec toutes les affaires de corruption qui ont éclaté. Il faut savoir aussi que les salariés encaissent entièrement leurs salaires qu'ils gardent chez eux pour faire face à leurs dépenses et que leur pouvoir d'achat sans cesse en baisse ne leur permet pas d'épargner dans les banques», observe un sociologue. Donc, au-delà de la nécessité d'accélérer la modernisation du système bancaire et d'une politique plus agressive d'offres de services innovants, pour offrir au grand public des produits modernes, c'est toute la problématique de la gouvernance tant au niveau politique qu'économique qui reste posée et qui encourage la thésaurisation. L'économiste Abderrahmane Mebtoul ne manque pas de le relever : «L'extension de la sphère informelle est le produit des dysfonctionnements des appareils de l'Etat et de la bureaucratie centrale et locale. Cette sphère utilise des billets de banques au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance, existant des situations soit de monopole ou d'oligopoles au niveau de cette sphère avec la logique rentière.» Il s'agit donc de résoudre la crise politique sans laquelle, de l'avis de M. Mebtoul, «la dérive économique est inévitable». C'est dire que la réforme de la gouvernance des banques publiques dépend d'un changement à un plus haut niveau surtout quand on sait que pendant longtemps, ces mêmes banques appelées aujourd'hui à accélérer leur modernisation répondaient aux injonctions des décideurs politiques en acceptant de financer des projets souvent «douteux» lancés par les proches du clan présidentiel de l'époque au détriment d'initiatives porteuses. C'est dire que les liens étroits entre les sphères politiques et financières n'ont fait que travailleur au profit de l'amplification du phénomène de la corruption et de celui de l'informel en parallèle reléguant l'efficacité et l'obligation de performance au second plan. Des points que l'on tente de rattraper aujourd'hui en mettant en avant en cette période marquée par un climat de suspicion vis-à-vis de tout ce qui provient du gouvernement en rappelant que «la réforme de la gouvernance des banques publiques, doit constituer un axe stratégique majeur» pour «rehausser l'activité bancaire et permettre aux acteurs du secteur d'agir en vecteurs de développement économique du pays en matière de bancarisation, d'inclusion bancaire et de financiarisation de l'économie pour une croissance plus inclusive». Des orientations au goût du déjà vu ressassés aujourd'hui pour tenter de regagner la confiance perdue.