Liberté : Pensez-vous que le marché informel est estimé à sa juste valeur et que les objectifs tracés par les autorités financières du pays sont réalistes (1 000 sur près de 4 000 milliards de dinars supposés être le volume de l'argent thésaurisé ou circulant dans la sphère informelle) ? Lies Kerrar : Ce que nous avons comme données, c'est la part de la monnaie fiduciaire en circulation qui est importante. D'après les données de la Banque d'Algérie, la monnaie fiduciaire en circulation est d'un peu moins de 4 000 milliards de dinars. Elle est importante en comparaison avec celle d'autres pays. En outre, elle ne diminue pas, comme c'est la tendance dans presque tous les pays du monde, avec l'utilisation croissante des moyens de paiement électroniques. Cette part augmente chez nous plus vite que les dépôts à vue dans les banques. Or, l'argent circulant dans l'informel ne peut pas être bancarisé si l'on n'a pas mis en place les conditions pour que les activités informelles deviennent formelles. L'argent thésaurisé peut l'être éventuellement. Mais, ce n'est pas évident de connaître la part des fonds thésaurisés et ceux circulants. D'après vous, pourquoi les détenteurs de l'argent informel ne se bousculent pas aux guichets des banques pour bénéficier de l'amnistie fiscale décrétée par l'Etat afin de se formaliser ? Pour que les personnes déposent de l'argent de façon massive, si c'est cela l'objectif visé, il faut qu'elles perçoivent soit un avantage à le déposer, soit une menace à ne pas le faire, soit une combinaison des deux. Si l'on n'a pas de résultat, c'est que la combinaison des raisons ou motivations n'est pas là ou n'est pas assez forte. Aujourd'hui, notre système bancaire n'est pas attractif en termes de services à la clientèle et de moyens de paiement électroniques. Alors qu'en général, il est plus commode d'utiliser des moyens de paiement électroniques ou de payer par chèque, l'Algérien "bancarisé" a plus de difficultés à faire ses achats ou ses affaires que l'Algérien disposant de billets de banque. Les chèques sont systématiquement refusés par les commerçants, et parfois par les administrations et entreprises publiques. Par ailleurs, les acteurs économiques de l'informel n'ont pas de voie pour se formaliser. Quelqu'un qui est grossiste en électroménager, par exemple, n'a pas d'avenir s'il se formalise et paie ses impôts. Il ne peut mener cette activité, car il devra s'acquitter, entre autres, d'une TAP de 2% sur le chiffre d'affaires alors que sa marge est de cet ordre de grandeur. La TAP n'est pas le seul frein à la formalisation. Mais il n'est pas possible d'escompter la moindre formalisation si cette taxe n'est pas supprimée. Il n'est pas trop tard pour agir adéquatement. Pour avoir du succès, cette mesure de "bancarisation" doit être accompagnée par un chemin praticable pour la formalisation de l'économie incluant une réforme fiscale, par une combinaison d'avantages tangibles/menaces crédibles qui incitent à l'action positive ainsi qu'une vision partagée de ce que l'on voudrait viser comme objectif de formalisation de l'économie. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un problème de confiance ? Les Algériens ne font pas confiance aux banques algériennes... Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de confiance ou de non-confiance dans le système bancaire algérien. Les gens ont besoin de percevoir des avantages tangibles et concrets à bancariser leur argent. Les critères concrets sont la disponibilité des fonds, la rémunération et/ou le rendement des fonds bancarisés, la capacité d'emprunter pour développer ses affaires, etc..