Hier, le tribunal de Bab El Oued, à Alger, a prononcé l'acquittement à l'encontre de cinq manifestants soupçonnés d'avoir brandi l'emblème amazigh, alors que la veille, celui de Sidi M'hamed, en condamnant 32 jeunes à un an de prison, avait suscité la consternation et l'indignation, non seulement au sein des familles des détenus, mais également au sein de l'opinion. La lourde peine infligée à des jeunes gens, dont certains sont à peine sortis de l'adolescence, à l'instar du jeune Amine qui a fêté, le 1er novembre dernier, son vingtième anniversaire en prison, a poussé beaucoup, et en premier lieu leurs familles et leurs avocats, à se demander si, en faisant exception par rapport aux autres tribunaux qui ont choisi la relaxe de manifestants arrêtés pour les mêmes motifs, celui de Sidi M'hamed ne s'est-il pas érigé en tribunal d'exception ? Peut-être que la mobilisation des étudiants mardi dernier, les manifestations qui ont eu lieu après le lourd verdict et l'emballement des réseaux sociaux ont-ils pesé sur la décision des juges de Bab El Oued. Mais cela ne saurait faire oublier que des jeunes manifestants croupissent encore en prison pour un délit qui n'en est pas un, et c'est là le scandale que vient ponctuer, comme un aveu par la justice, l'acquittement des détenus, hier à Bab El Oued. Tout comme l'emprisonnement depuis des mois de citoyens, détenus soit pour avoir manifesté avec l'emblème amazigh, soit pour avoir exprimé une opinion sur la situation politique actuelle ou sur le pouvoir «réel», ne saurait occulter les préjudices tant matériels que moraux subis par des mois d'incarcération. Beaucoup parmi ces jeunes, filles et garçons, seront marqués à vie par leur arrestation, leur emprisonnement, une épreuve dont ils se seraient bien volontiers passés, d'autant plus qu'ils n'ont rien commis de répréhensible. Ils n'en sortiront pas moins grandis, auréolés du statut de héros de la liberté, décerné par le mouvement de mobilisation citoyenne qui leur rend hommage chaque semaine depuis leur incarcération. Tous en sont convaincus, comme l'attestent les différents témoignages. Tant d'injustices ne sont en fait autant de signes du degré de l'arbitraire qu'ils ont subi. Un arbitraire qui ne recule devant rien sous les fausses accusations, prélude à de fausses cabales, où tous les appareils d'Etat et institutions sont instrumentalisés au service du pouvoir. Rien, pas même devant l'âge avancé de certains détenus d'opinion, ni le moindre égard à leur passé nationaliste, de moudjahid, comme pour Lakhdar Bouregaâ, ni les services rendus à la nation, comme pour le général Benhadid. A telle enseigne qu'aujourd'hui leur état de santé à tous deux est des plus préoccupants et fait craindre le pire, leurs jours seraient, en effet, en danger. Une situation qui n'est pas sans rappeler les précédents graves en matière de violation des droits de l'homme, à savoir le cas de détenus d'opinion décédés en prison après une grève de la faim, comme ce fut le cas du docteur Fekhar, militant des droits de l'homme du M'zab, ou encore du blogueur Mohamed Tamalt. Tous deux victimes de l'arbitraire et d'une justice aux ordres d'un système autoritaire qui a fait son temps et occasionné tant de dégâts. Mais en face, la mobilisation populaire se poursuit dans la dignité et la fermeté dans un élan émancipateur.