Pour la seconde fois, l'ONM (Organisation nationale des moudjahidine) sort de sa réserve pour défendre l'ancien colonel de la Wilaya IV, Lakhdar Bouregaâ, âgé de 87 ans et incarcéré à El Harrach depuis plus de quatre mois, pour «atteinte au moral de l'armée». Ainsi, après lui avoir exprimé son soutien lors de sa mise sous mandat de dépôt au mois de juillet dernier, le secrétaire général par intérim, Mohand Ouamar Benelhadj, a rendu public, hier, un appel adressé au ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, l'exhortant à aider Lakhdar Bouregâa à retrouver sa famille, eu égard à la détérioration de son état de santé. «Au vu du suivi quotidien de l'évolution de l'état du moudjahid Lakhdar Bouregaâ et de la dégradation gravissime de sa santé, le secrétariat général de l'ONM vous interpelle pour de multiples raisons, notamment humanitaires et historiques, liées à la relation de Bouregaâ avec la Guerre de Libération nationale. Comme vous le savez, la détérioration de la santé de ce moudjahid, depuis quelque temps, a nécessité son transfert de la prison d'El Harrach au CHU Mustapha Bacha. Face à cette évolution tragique et au-delà des positions conjoncturelles des événements actuels et leurs conséquences, nous avons une grande confiance en votre personne pour prendre une initiative qui prendra en considération la situation de ce moudjahid, à même de lui permettre de rejoindre sa famille et de bénéficier d'une prise en charge dont il a besoin.» Contacté, le secrétaire général de l'ONM se dit «inquiet» pour son compagnon d'armes. «Je ne sais pas exactement ce qu'il a. Par contre, je sais qu'il est gravement malade et que sa place, vu son âge, son passé historique et les opérations qu'il a subies, n'est pas en prison, mais parmi sa famille. C'est cela que vise ma démarche au nom de l'ONM», déclare Mohand Ouamar Benelhadj, précisant au passage n'avoir pas eu l'occasion de voir les membres du collectif des avocats de Bouregaâ, à l'exception d'une seule avocate, qui lui a transmis les salutations de son mandant, l'été dernier. Le secrétaire général de l'ONM se dit «choqué» par les inculpations retenues contre Bouregaâ : «Comment peut-on porter atteinte au moral de notre armée, juste avec quelques propos ? J'ai toujours pensé que notre armée était parmi les plus puissantes sur le continent et dans le monde arabe, capable de faire face aux dangers les plus gravissimes. Si quelques phrases peuvent porter atteinte au moral de ses troupes, c'est qu'il y a un vrai problème. Le qualificatif n'est pas du tout à sa place.» Pour Mohand Ouamar Benelhadj, «tout le monde sait que l'incarcération de Bouregaâ n'est que la conséquence d'un problème entre personnes. Elle démontre que la justice est toujours instrumentalisée. Je n'ai pas fait d'études, mais je lis beaucoup, même à mon âge, 90 ans. Un historien britannique républicain du XVIIe siècle avait dit : ‘‘La force sans la justice est une tyrannie et la justice sans force est impuissante''». Revenant sur l'appel lancé au ministre de la Justice, le secrétaire général de l'ONM exprime le regret de se voir transformé en «quémandeur», soulignant : «Nous espérons que, cette fois-ci, notre demande puisse trouver un écho et qu'à la limite, Bouregaâ soit mis en liberté provisoire. Pourquoi continuer à le maintenir en détention à son âge et avec son état de santé aussi dégradé ?» Il faut dire que c'est la seconde fois que l'ONM réagit en faveur de Lakhdar Bouregaâ. Le cas de ce dernier n'est pas isolé. Dans le pavillon pénitentiaire de l'hôpital Mustapha, à Alger, se trouve, depuis plus de six mois, le général à la retraite Hocine Benhadid, âgé de 78 ans, poursuivi pour avoir exprimé sa position par rapport à la situation politique que traverse le pays. De la détention provisoire à la condamnation provisoire Son avocat, Me Bachir Mechri, affirme qu'il «est devenu totalement handicapé, voire une loque humaine» en raison de la «détérioration» de son état de santé. «Depuis sa deuxième opération effectuée durant son incarcération, Benhadid ne s'est plus relevé. Il a besoin d'une rééducation qu'il n'a pas eue. Il ne peut ni parler, ni bouger ses membres inférieurs. Il est pratiquement handicapé. Pourtant, depuis sa mise sous mandat de dépôt, aucun acte de procédure n'a été fait par le juge qui n'a fait que prolonger sa détention. La demande de mise en liberté a été rejetée et la seconde, introduite, n'a pas encore eu de réponse. Je crains que Benhadid ne sorte pas vivant du pavillon pénitentiaire. Son état de santé ne fait que se dégrader. Ceux qui persistent à le maintenir en détention doivent assumer leurs responsabilités. Ils seront comptables de ce qui pourrait lui arriver», déclare Me Mechri. Les cas de Lakhdar Bouregaâ et de Hocine Benhadid remettent sur le tapis la problématique de la détention provisoire et non pas celle liée aux conditions d'incarcération qui sont, à en croire les avocats, généralement bien prises en charge. Si dans les textes, cette détention au vu de l'article 123 du code de procédure pénale, une mesure exceptionnelle qui ne peut être ordonnée que si les obligations de contrôle judiciaire sont insuffisantes dans trois cas, à savoir lorsque l'inculpé ne possède pas de domicile fixe, ou ne présente pas de garanties suffisantes de représentation devant la justice, ou que les faits sont extrêmement graves, lorsque la détention provisoire est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation entre inculpés et complices risquant d'entraver la manifestation de la vérité, lorsque cette détention est nécessaire pour protéger l'inculpé, pour mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement et lorsque l'inculpé se soustrait volontairement aux obligations découlant des mesures de contrôle judiciaire sans motif viable. Mieux encore. Selon l'article 123 bis, la détention provisoire «doit être fondée sur des éléments extraits du dossier de la procédure». Malheureusement, les décisions des magistrats ne cadrent pas avec ce principe fondamental, notamment avec Lakhdar Bouregaâ et Hocine Benhadid, dont la vie est en danger. Les maintenir en détention, c'est transformer celle-ci en condamnation provisoire, comme l'a bien souligné Me Miloud Brahimi, et prendre un énorme risque pour leur santé. Les cas du journaliste Mohamed Tamalt, mort en détention, dans le pavillon pénitentiaire du CHU de Bab El Oued, et du militant des droits de l'homme, Kamel Eddine Fekhar, décédé lui aussi, en prison après la détérioration de son état de santé, sont encore présents dans les mémoires, pèsent lourdement sur les consciences et donnent une piètre image de la justice algérienne. Il est donc impératif que la liste des victimes de la détention provisoire se limite à ces derniers et que Lakhdar Bouregaâ et Hocine Benhadid, vu leur âge et leur état de santé, puissent se soigner auprès de leurs familles et être jugés en étant en liberté.