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Route de la soie : opportunités et menaces
Publié dans El Watan le 18 - 11 - 2019

Le projet OBOR (One Belt One Road) lancé par la Chine en 2013, égrené de projets d'infrastructures tout le long des régions traversées, avec à la clé des financements importants, suscite curiosité, intérêt, appréhensions et inquiétudes.
Pour les pays en développement, ce projet constitue une aubaine pour réaliser et financer les infrastructures nécessaires à leur désenclavement indispensables à tout processus de développement et qu'ils ne sont pas arrivés à réaliser par leurs moyens propres ou avec l'aide de leurs partenaires historiques, essentiellement les ex-puissances coloniales.
Pour les pays occidentaux, ce projet marque l'intrusion de la Chine dans ce qui est considéré comme leur pré-carré, leur zone d'influence traditionnelle.
Il constitue en ce sens des motifs d'inquiétudes, surtout que l'initiative OBOR vient confirmer une implantation presque passée sous silence de la Chine dans de nombreux pays en butte à des difficultés de toutes sortes, mais considérés comme étant stratégiques compte tenu de leur positionnement, de la disponibilité massive de ressources naturelles (énergie, mines, forêts, terres arables…) dont a besoin l'économie chinoise et de réceptacles que ces pays peuvent constituer pour les productions d'équipements, de fournitures et de services chinois.
Cette projection de la Chine vers l'Ouest se veut mondiale et s'étend à tous les secteurs, dont certains de pointe, comme les NTIC, les Big Data et l'intelligence artificielle, dont les avancées chinoises inquiètent sérieusement les pays avancés.
Les conflits en cours avec les USA qui, pour le moment, portent sur des questions économiques, constituent un véritable bras de fer entre deux géants et préfigurent d'ores et déjà une bi-polarisation des relations internationales.
Ainsi, après avoir prôné l'ouverture économique, la destruction des barrières douanières et promu la mondialisation au rang de priorité et de voie de développement, les promoteurs de cette doctrine libérale semblent faire machine arrière et décliner des mesures de rétorsion et de protectionnisme pour contrer une Chine conquérante, accusée de tous les maux dont ceux de non-respect des conditions minimum de travail, de l'environnement, de concurrence déloyale, de sous-évaluation de sa monnaie et enfin d'enfreindre l'embargo appliqué à l'Iran, et ce, sans compter les accusations d'espionnage industriel.
De l'avis même des experts occidentaux, ces attaques récurrentes et ces menaces visent en réalité à ralentir les formidables avancées économiques de la Chine qui pourrait, dans quelques années, mettre fin à la suprématie des USA.
La projection chinoise en Afrique, continent qualifié de «partenaire stratégique» lors du sommet Chine/Afrique de 2018, a permis de nouer des relations privilégiées et élargir la sphère d'influence de la Chine, qui y a enregistré un volume d'échanges de 170 milliards dedollars en 2017.
Ces échanges, mis en avant et présentés sous la forme de programmes d'aides et d'investissements, portent en réalité, pour une grande part, sur la fourniture de produits manufacturés et de services. A ce titre, il est à noter que les montants des prestations en 2016 ont été 25 fois supérieurs à ceux des Investissements directs (IDE) chinois en Afrique (Thierry Pairault-Passerelles, volume 19, n°5 du 21/08/2018).
A cet égard, il est à souligner l'ambiguïté qui entoure la notion d'investissements par la Chine, qui semble y inclure les financements remboursables accompagnant la réalisation par des entreprises chinoises d'infrastructures pour le compte des gouvernements locaux. Ainsi, à l'instar de tous les autres pays, l'intérêt de la Chine pour l'Afrique consiste également en la mainmise sur les immenses ressources naturelles indispensables à leur appareil de production, en terres arables et en produits énergétiques, pour assurer leur sécurité alimentaire et énergétique.
S'agissant de projets ressortant d'accords bilatéraux financés et réalisés par la Chine, et donc non soumis à des procédures d'appel à la concurrence, il est à se demander si les coûts des projets réalisés correspondent réellement aux prix standards internationaux et si, en conséquence, ces transactions ne sont pas entachées de surcoûts et de pratiques occultes favorisant leur conclusion.
A cet égard, il est à se rappeler que certains grands groupes chinois sont fichés dans les listes noires d'institutions internationales, en raison de pratiques non «orthodoxes» lors de la conclusion des marchés, ce qui les exclut des projets financés par ces institutions et laisse ainsi planer le doute sur leur éthique morale.
La question du dimensionnement des projets, de leur destination réelle, de la technologie adoptée, ainsi que le mode et la structure de financement retenus sont autant de sujets d'inquiétudes qui peuvent impacter les pays concernés par ces projets, jusque y compris leur souveraineté (voir les exemples du port de Gwadar au Pakistan, le port d'Hambantan au Sri Lanka, l'autoroute du Monténégro, des projets en Malaisie, du chemin de fer en Ethiopie…).
Par ailleurs, les pratiques des entreprises chinoises, qui utilisent exclusivement des ressources humaines ramenées de Chine, impactent le transfert du savoir-faire, des métiers et de la technologie qui est de l'avis unanime quasi-nul, ce qui contribue à maintenir ces pays dans un état de dépendance continuelle. De plus, la systématisation de l'octroi de projets aux entreprises chinoises, en l'absence d'appel à la concurrence pour des raisons avancées de leur savoir-faire et expertise, de leur capacité à mobiliser des ressources et de leur rapidité d'exécution , exclut de leur propre marché les entreprises locales, lesquelles se retrouvant sans plan de charges, sont pour la plupart vouée à la disparition.
Par ailleurs, le déficit de la Chine en terres arables (9% de terres arables pour 18,2% de la population mondiale) contraint la Chine à rechercher par ailleurs des terres sous forme de concession à long terme pour assurer les besoins en produits alimentaires de son importante population (plus de 1,4 milliard d'habitants) ; c'est le cas en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, Russie, Ukraine…
Là aussi, les pays d'accueil devraient s'inquiéter de la sur-exploitation des sols et donc de l'appauvrissement des terres, de la sur utilisation de l'eau, de l'utilisation abusive de pesticides et autres produits phytosanitaires, pas toujours aux normes, induisant des effets divers sur les nappes phréatiques et l'environnement de manière générale.
Il est clair que les pays occidentaux, fortement inquiets de la présence de plus en plus importante de la Chine dans leurs anciennes colonies, voient d'un mauvais œil leur influence grandissante à leur détriment. C'est le cas notamment du continent africain considéré comme étant le levier de croissance à l'échelle mondiale, si l'on considère à la fois ses extraordinaires ressources naturelles, ses ressources humaines et sa démographie qui en font à terme un fort réservoir de main-d'œuvre et le marché de demain (2,6 milliards d'habitants vers 2050). L'OBOR, avec tout ce qu'il apporte en termes d'investissements et de financements, doit bien sûr être considéré comme une opportunité réelle et l'un des leviers possibles de développement ; et en ce sens, il ne peut que recueillir l'adhésion de tous, à la condition, néanmoins, de rééquilibrer la nature, la qualité et les volumes des flux, qui, pour le moment, sont en faveur exclusive de la Chine.
Néanmoins, comme tout accord, il comporte des risques non négligeables qu'il faut prendre en compte et mesurer pour éviter des situations qui pourraient impacter sérieusement l'exploitation utile et rentable de projets insuffisamment maturés et qui, à terme, seraient de nature à induire des risques sur la souveraineté des Etats.
Par ailleurs, la dynamique de la géopolitique marquée par la recomposition des ensembles et le déplacement des zones de conflits brouille et complique les grilles de lecture, ce qui contraint à un effort d'analyse pour comprendre les enjeux et éviter les pièges d'un alignement trop marqué qui pourrait susciter des réactions adverses.
Le cas Huawei constitue l'exemple-type de la guerre d'influence que se livrent les USA et la Chine, mais dont les impacts collatéraux sont considérables pour les pays fortement impliqués avec les entreprises chinoises Huawei et ZTE dans les investissements dans des infrastructures de télécommunications.
Ceci interpelle sur la nécessité pour les investissements «sensibles» de ce type, de redéfinir la politique, la stratégie, les positionnements et les processus de décision, afin d'éviter de se retrouver au centre de conflits, lesquels bien que ne nous concernant pas, seraient de nature à traduire pour notre pays des effets systémiques désastreux qui conduiraient au mieux à son isolement.
Il faut, en effet, comprendre que la conclusion d'un partenariat ne se limite pas seulement à l'acte économique stricto sensu, mais peut aussi être interprété comme étant un acte politique, un engagement et un soutien diplomatiques, voire un alignement et une prise de position.
Il convient à cet égard de veiller à disposer et maintenir update toutes ces variables géopolitiques, de manière à les intégrer dans les processus de décisions concernant les opérations d'investissement stratégiques. Aujourd'hui plus que jamais se dessinent les contours d'une bipolarisation du monde, entre, d'une part la Chine et les USA, bipolarisation dans laquelle tout alignement politique et économique trop marqué est de nature à traduire des conséquences non mesurables.
Ceci appelle à la redéfinition d'une stratégie d'alliances équilibrées, basées sur la transparence dans les positions et les transactions internationales, l'ouverture de consultations les plus larges possibles selon les usages internationaux et un effort de communication adaptée et qui soit bien sûr fondée sur les intérêts politiques, économiques et sécuritaires du pays. Les positions stratégiques doivent pour ce faire ressortir d'un effort prospectif conduit par des compétences nationales reconnues pour leurs expertises, situées dans les institutions sensibles de l'Etat et nourries par les sociétés savantes, les cercles de qualité et les Think tank.
Enfin, quelle que soit la situation, le degré d'écoute, d'attention, de respect et d'acceptation de nos positions à l'international sera toujours le reflet de la force, de la reconnaissance, de la crédibilité de nos institutions, de la transparence du climat des affaires, de la qualité de la gouvernance et de la stabilité des lois et règlements.

Abdenour KASHI
Expert en intelligence économique, 3e Cycle Ecole de Guerre économique, Paris


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