A travers "Understanding China", Pékin veut expliquer le secret de sa réussite et l'extraordinaire métamorphose de son économie depuis les réformes de 1978. Au-delà, c'est son intérêt pour l'Afrique qui focalise aujourd'hui le débat et qui suscite la méfiance de l'Occident, soucieux de préserver ses carrés d'influence dans un continent qui représente encore plus de la moitié des ressources mondiales en matières premières. Conscient des enjeux géostratégiques, Pékin veut désormais écouter aussi les critiques sur ses imperfections afin que son label "made in China" devienne une véritable référence. Devenue "la plus grande usine du monde", la Chine a mis en place un système économique ouvert au marché international, avec une monnaie convertible et un taux d'investissement étranger avec un impact direct sur l'emploi des plus importants dans le monde. C'est paradoxalement sous les auspices du Parti communiste, qui vient de célébrer ses 92 ans d'existence, avec plus de 85 millions d'adhérents, que la Chine semble concevoir et réussir un nouveau modèle où le capitalisme et le socialisme ont trouvé, du moins dans l'état actuel de l'économie mondiale, un compromis : une croissance à deux chiffres faisant de plus en plus non seulement le bonheur des Chinois mais également des firmes mondiales. Le Parti communiste y croit, et jusque-là les résultats obtenus placent le pays dans le rang des économies les plus performantes du globe. Comment cela a-t-il été possible alors que le modèle socialiste et communiste a lamentablement échoué ailleurs ? à travers son slogan "le rêve chinois", Sun Yeli, membre du Comité central et directeur du département de recherche au PCC (Parti communiste chinois) considère que "la spécificité de la Chine a commandé de s'attacher au communisme comme planche de salut", tout en apportant les réformes nécessaires pour le développement économique. "Il y a eu des erreurs qu'on a rectifiées avec le temps afin de garder un environnement de paix, condition essentielle pour le développement", a-t-il ajouté. L'industrialisation de masse et l'implication du partenariat étranger depuis la réforme engagée depuis 1978 ont poussé l'économie à s'adapter au contexte mondial, sans remettre en cause les principes fondateurs de la politique étrangère de la Chine vis-à-vis des pays amis, particulièrement l'Afrique avec laquelle Pékin entretient depuis les dix dernières années des relations beaucoup plus approfondies, à travers un soutien sans faille sur le plan économique et financier, en portant en 2012 son niveau d'investissement à 20 milliards de dollars, accumulant plus de 150 milliards de dollars en 10 ans. Chine - Afrique : pourquoi les priorités ne sont pas les mêmes Dans le contexte mondial actuel où les grandes puissances continuent de considérer l'Afrique comme un réservoir inépuisable en matières premières comme le pétrole, le gaz, l'or, l'uranium, le diamant, et les éléments de terres rares, quel rôle pourrait jouer la Chine au-delà de ses positions traditionnelles pour maintenir les équilibres et veiller à ce que la stabilité du continent ne fasse l'objet de marchandage géostratégique ? Les participants au séminaire sur le bien-être organisé le 13 septembre dernier à la prestigieuse université de Pékin l'ont sous-entendu, en mettant en valeur les conséquences directes du bien-être chinois sur le développement de l'Afrique. Le "rêve chinois" est-il pour autant semblable au rêve africain ? Rien n'est moins sûr lorsqu'on sait que les objectifs ne sont pas les mêmes. D'un côté, la Chine caresse le souhait de devenir la future puissance mondiale, et dans ce cadre elle a besoin de l'Afrique comme allié économique important, au-delà de ses partenaires asiatiques. De l'autre côté, l'Afrique veut arriver à une situation de stabilité politique, afin d'asseoir des institutions solides et surtout durables. Deux objectifs différents que les Chinois veulent pourtant faire fusionner dans le même rêve. De ce point de vue, il est clairement établi qu'au-delà des discours de circonstance que la Chine, soucieuse d'apporter sa contribution à la réforme de l'ordre mondial avec ses principaux axes l'OMC et le FMI mais sans y peser concrètement, devrait revoir son rôle plus profondément afin que le rêve africain puisse se réaliser. Un défi lourd à porter, lorsqu'on sait le poids des conflits dans le continent noir et la persistance des manœuvres de déstabilisation qui ont déjà eu comme effet dévastateur la partition du Soudan, la disparition de l'Irak, la désintégration du Sahel, le tribalisme, la corruption généralisée et le retour des vieux démons du colonialisme sous la bannière du terrorisme islamiste. Dès lors, la conception de rêve paraît, à première vue, aléatoire. Mais vu de près, les ressources du continent, tant sur le plan des matières premières que sur le plan commercial avec plus d'un milliard d'habitants et une demande de consommation de plus en plus forte, le rendent tout à fait possible, du moins dans l'esprit des dirigeants chinois. Pour les délégués africains, la stratégie de la Chine est une sorte de "deal" que l'Afrique ne peut refuser. Echanger les matières premières contre savoir-faire et investissements en masse. Terres rares, nouvelles technologies et valeur ajoutée En fait, la stratégie de Pékin n'est pas nouvelle en soit. Peut être qu'en matière de promotion politique et diplomatique, ce n'est que les dernières années que le Gouvernement chinois par le biais du journal le People's Daily ainsi que d'autres organismes a mis en œuvre une opération de charme auprès des médias influents en Afrique ainsi que sur les organisations non gouvernementales afin d'expliquer à travers son concept "Understanding China", le nécessaire et stratégique rapprochement Chine-Afrique. En 1992, le président Deng Xiaoping, père des réformes de la Chine moderne affirmait que "le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares". C'est dans cette logique que Pékin ambitionne de consolider sa relation avec l'Afrique. Pourquoi les terres rares? Ces minerais dont l'exploitation est difficile sont indispensables pour la fabrication des produits de haute technologie. À elle seule, la Chine assure 90% de la production mondiale et détient 47% des réserves du globe. Elle est secondée par l'Afrique du Sud ainsi que d'autres pays dans le monde. On les utilise principalement dans la haute technologie, où ils permettent de fabriquer des aimants d'usage courant dans les éoliennes, les voitures hybrides, les batteries, les téléphones et les ordinateurs. Il faut dire que les Chinois ont compris l'intérêt stratégique de ces métaux dès les années 1980. Aujourd'hui et dans un contexte de crise financière internationale dont on ne voit pas encore le bout du tunnel, les éléments de terres rares font l'objet d'une rude bataille géostratégique entre les grandes puissances notamment entre la Chine et les USA. Pour sortir de la crise, les pays occidentaux dont le G8 misent sur les hautes technologies, qui ont besoin des terres rares. La Chine qui voit sa croissance économique augmenter considérablement cherche à réorienter son économie vers plus de valeur ajoutée. C'est dans cette perspective qu'il faut également placer aujourd'hui l'évolution de la relation Chine-Afrique. Car, sur le plan économique, l'une a besoin de l'autre et vice versa. Malgré elle, l'Afrique se retrouve, à nouveau, au centre d'enjeux colossaux où se joue l'avenir de l'économie mondiale. En fait, la Chine a besoin du continent pour écouler ses produits notamment avec des marchés émergents à l'exemple de l'Algérie, du Nigeria, de l'Afrique du Sud , du Kenya de la Tanzanie, de l'Egypte, du Zimbabwe en mettant en valeur la qualité du produit que les constructeurs chinois tiennent à parfaire. Et l'Afrique a besoin de la Chine pour ses prix compétitifs, la disponibilité et la rapidité de livraison des marchandises surtout que le gouvernement chinois accompagne toutes ses entreprises dans leurs investissements ou implantation à l'étranger. L'Afrique ne voit pas dans la stratégie chinoise d'arrière-pensée politique et s'accommode de cette relation qu'elle considère bénéfique pour les deux parties en attendant que les pays africains, exceptés l'Afrique du Sud, suivent l'exemple de la Chine en réformant leurs économies respectives. Bien que beaucoup d'entre eux connaissent une croissance importante, ils ne sont pas pour autant sortis du cercle infernal du sous-développement politique social et culturel en raison principalement de problèmes de gouvernance. Les raisons d'un soutien En attendant, il faudrait bien comprendre que l'intérêt de la Chine à l'Afrique est motivé par plusieurs raisons. D'abord politique: Pékin a su garder auprès des Africains l'image de cette grande nation qui a été aux côtés des peuples en voie de décolonisation. Aujourd'hui, la Chine ne veut plus d'un soutien à la "stalinienne" de la part de pays africains qui à un certain moment de l'histoire de l'après-guerre lui ont permis de retrouver son siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Elle est ouverte aux critiques de tous bords afin de corriger ses imperfections et avancer. Le Parti communiste le sait et sa volonté de consolider la relation Chine-Afrique tient de cette approche critique et objective afin de cerner les problèmes réels à l'exemple de l'amélioration de la qualité des produits et faire du label "made in China" une référence aux normes internationales faisant du coup la fierté du peuple chinois qui goûte aux résultats des réformes avec l'émergence d'une classe moyenne importante qui voit son niveau de vie s'améliorer d'année en année et dont le niveau des salaires a augmenté de 256% les 20 dernières années. Avec ce slogan cher aux capitaines d'industrie chinois : "Il y a une règle que les industriels savent sur le bout des lèvres : Produire des marchandises de meilleurs qualité, les vendre aux prix le plus concurrentiel et payer les salaires les plus élevés possibles". Ici, on n'a plus besoin de partenaires qui caressent dans le sens du poil. Les Chinois sont aujourd'hui heureux d'écouter des critiques mais accompagnées d'alternatives et de solutions. Ensuite économique: la Chine étant devenue le partenaire numéro "1" de firmes mondiales les plus solides, il est nécessaire voire vital pour le développement de ses entreprises d'attirer de plus en plus de marchés dans le monde et l'Afrique constitue une excellente assise. L'objectif étant également d'assurer sur le plan interne une stabilité sociale avec la création de millions d'emplois chaque année. Enfin, sur l'aspect géostratégique, en devenant le premier bailleur de fonds de l'Afrique, la Chine ne veut pas laisser le continent noir à la merci de l'Europe et des USA dont elle est pourtant devenue l'allié majeur. Au train où vont les choses, la croissance et le développement de la Chine seront très probablement dans les cinquante prochaines années, la variante politique de poids qui fera basculer ou rétablir, c'est selon, les équilibres qui n'existent plus depuis la chute du Mur de Berlin et l'effondrement du bloc socialiste. À ce moment, l'aspect militaire s'invitera forcement dans la nouvelle conception de la Chine émergente, si ce n'est pas déjà fait. S. T. Nom Adresse email