Zedek Mouloud s'apprête à animer, le 12 janvier prochain, son premier spectacle au Zénith de Paris à l'occasion de la célébration du Nouvel An berbère 2965. Dans la lignée des grands poètes, l'enfant de Beni Douala a confié pour El Watan ses sentiments concernant la situation politique en Algérie. Il rappelle qu'un artiste ne peut s'exprimer et innover que dans un pays libre, démocratique et respectant les droits humains. Entretien. – C'est votre premier spectacle au Zenith de Paris à l'occasion de la fête de Yennayer. Comment se présente-t-il et avez-vous des appréhensions ? Il se présente bien. On est en pleine préparation. On a entamé les répétitions depuis plusieurs jours. C'est la première fois que je fais ce genre de spectacle. Certes, c'est un grand challenge de jouer seul au Zénith, mais c'est aussi un grand rêve qui se réalise. Pour moi, c'est un gala de consécration. Je ferai tout pour qu'il réussisse. Nous avons mis en place de gros moyens techniques et artistiques. Il y aura 17 musiciens, avec moi sur scène. J'espère que mon public sera ravi. – Comment est venue l'idée de ce spectacle ? Pourquoi avez-vous choisi le Zenith et pas une autre salle parisienne ? Chez tous les artistes kabyles ou autres d'ailleurs, chanter au Zénith est apparenté à un rêve. C'est une salle mythique et prestigieuse. Beaucoup d'artistes kabyles et d'ailleurs se sont produits dans cette salle. Tous les chanteurs aimeraient un jour «s'attaquer» au Zénith car c'est une grande salle. Il est vrai que la salle L'Olympia est la plus prestigieuse d'entre toutes, mais je pense y organiser un spectacle en 2022 pour fêter mes 40 ans de carrière. Je suis en pourparlers avec mon producteur. – Votre spectacle intervient à un moment où l'Algérie traverse une période délicate de son histoire. Comment Zedek Mouloud voit-il ce qui se passe dans son pays depuis un an ? J'espère que c'est un mouvement (le hirak, ndlr) qui va aller très loin, au bout des choses et qui va changer le système en Algérie. Je leur souhaite beaucoup de courage et de réussite. Etant un chanteur engagé, il est évident qu'il y aura des clins d'œil entre mon spectacle et les luttes que mène le peuple algérien pour ses droits et pour faire aboutir ses revendications. D'ailleurs, mon nouvel album (disponible depuis novembre dernier sur le marché, ndlr) parle de cela. Je suis un militant avant tout. Je fais partie de tous les mouvements qui se sont succédé depuis les années 80'. Lors du Printemps berbère qui a eu lieu cette année-là, j'étais émeutier. J'ai participé aux marches, aux manifestations. Idem aussi en 2001. Je pense que le hirak que vit l'Algérie n'est pas un mouvement spontané, mais la résultante de plusieurs autres mouvements qui l'ont précédé avant, notamment en Kabylie. Cette région a d'ailleurs perdu 128 de ses enfants et il y a eu des milliers de blessés en 2001. J'espère que le hirak ira jusqu'au bout, mais pacifiquement. Car ces derniers jours (interview réalisée le 20 décembre 2019), il y a eu pas mal de blessés. On est gouverné par des voyous qui ont pris en otage le pays depuis 1962. Et ils sont là jusqu'à aujourd'hui. – Vous qui scrutez la société algérienne, comment voyez-vous l'avenir de l'Algérie ? Pensez-vous que la situation va s'améliorer ou au contraire se détériorer ? L'Algérie est un pays très vaste. La solution viendra d'elle-même. Il faut décentraliser le pouvoir, car je ne vois pas comment on peut gouverner un aussi grand pays comme s'il s'agissait de diriger un petit patelin. Peut importe le nom qu'on donnera à ce nouveau système de gouvernance : autonomie, décentralisation, régionalisation, fédéralisme, indépendance… là n'est pas le souci. Ce qui est important à mes yeux, c'est que les gens des régions gouvernent et gèrent leurs propres affaires et destin dans le cadre d'un Etat uni. Personnellement, je pense qu'on est victime des richesses que possède l'Algérie. Car s'il n'y avait pas toutes ces richesses, personne n'accepterait de gouverner. Donc, ceux qui sont là (dignitaires et hommes politiques au pouvoir) le sont juste à cause des richesses. Le Bon Dieu nous a maudits en nous donnant ces richesses naturelles. Parfois, je me dis qu'il ne faut pas disposer de richesses car ceux qui sont au pouvoir ne le sont que parce qu'ils veulent profiter de la rente. De toute façon, rien n'est éternel. C'est une question de temps, ils finiront tous par partir. – Vous critiquez souvent les Kabyles dans vos chansons. Vous vous interrogez sur la déperdition de l'identité et la perte des valeurs ancestrales. Pensez-vous qu'il y a un risque que l'identité kabyle se perde d'ici quelques années ? Avant d'être algérien, je suis d'abord kabyle. Moi je vis en Kabylie. Je vis ma «kabylité» et je réfléchis kabyle avant toute chose. Dans tous mes albums, il y a des chansons critiques qui s'apparentent à des jauges «sociales» et «culturelles» que seul un artiste peut dire. Nous sommes d'une culture orale et tout se transmet par la parole. Je fais donc comme mes prédécesseurs, j'utilise la parole. Je n'ai rien inventé. Avec les poèmes, on peut parfois régler beaucoup de problèmes. – Mais pensez-vous que les gens vous écoutent et comprennent ce que vous leur dites ? Oui. Bien sûr, je le constate dans la rue et lors de mes spectacles. Il y a de plus en plus de gens qui prennent conscience, autrement on risque de disparaître. La Kabylie a des valeurs qu'elle ne doit pas perdre. Nous faisons partie en quelque sorte du patrimoine mondial. C'est vrai que l'époque actuelle est difficile. La culture kabyle n'a jamais été autant en danger comme aujourd'hui à cause notamment des influences étrangères et les nouvelles technologies. Avant, les Kabyles se parlaient entre eux. Ils organisaient des débats et des réunions qu'on appelle «tajmaât». Mais ces derniers temps, avec internet et Facebook, les gens ne se parlent plus. – La mondialisation vous fait donc peur… Beaucoup, surtout pour une population minoritaire comme nous. Il faut une prise de conscience, sensibiliser les gens sur les nouvelles technologies, savoir mieux les utiliser et non pas s'y adonner les yeux fermés. Certes, il y a des choses à prendre des nouvelles technologies, mais mon identité et ma cause passent avant. – Selon vous, pourquoi la chanson kabyle n'arrive-t-elle pas à s'internationaliser ? Est-ce un problème de texte, de musique ou autre. Qu'est-ce qui manque pour qu'elle soit connue et reconnue comme le jazz par exemple ? L'argent est le nerf de la guerre. Nous, les Kabyles, nous n'investissons pas dans la culture. Pour avancer et promouvoir sa culture, il faut de l'argent. C'est tout. Les chanteurs kabyles n'ont personne derrière. Rien que pour mon spectacle, j'ai sollicité toutes les grandes entreprises de la région pour un sponsoring ou pour m'aider, mais personne ne m'a répondu. Pourtant, nous allons organiser un grand spectacle dans une grande salle qui, de surcroît, permet de mettre en lumière notre art et notre identité, mais ils ont refusé de marcher avec moi. Je fais dans la résistance. – Quel est votre rapport avec les gens de l'immigration. Avez-vous un public en Algérie et un autre en France par exemple ? Moi, je partage avec eux l'identité et les valeurs de la Kabylie. Là ou je vais, j'emporte avec moi ces deux éléments. Et quand bien même j'essayais de les cacher, je n'y arriverai jamais. Par conséquent, je ne vois aucune différence entre les Algériens qui vivent en France et ceux qui sont établis de l'autre côté de la Méditerranée ou au Canada. J'ai le même rapport avec tout le monde. Il y a une complicité entre nous. – Qu'est-ce qu'il y a d'algérien en vous ? Vous m'avez surpris avec cette question. Nous y avons cru. Mais lorsqu'on est laissé au bord du le chemin, la vie devient pénible. Moi, je vois l'Algérie comme un pays de liberté, de démocratie et de droits. Mais si vous enlevez tout cela à un artiste, eh bien, c'est comme si vous l'avez tué. Je ne me reconnais plus dans cette Algérie. C'est à elle à présent de nous récupérer ou de changer.