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Entretien avec Zedek Mouloud
« Mes chansons reflètent mon être »
Publié dans Liberté le 09 - 08 - 2012

Il chante ses rêves, ceux de ses concitoyens. Ces derniers trouvent en lui un canal d'expression des plus libres. Zedek Mouloud, cet enfant prodige des At Khalfoun, du coté de BeniDouala en Kabylie, est sans aucun doute, celui qui dit haut et fort ce que le peuple pense tout bas. D'une modestie légendaire, avec un tact relationnel parfait, il a bien voulu répondre aux questions de Liberté. Il se livre « sans calculs » à nos questions. Il est attendu, vendredi 10 aout, à partir de 22h, au stade Oukil Ramdane de Tizi-Ouzou.
Liberté : votre nouvel album est depuis quelques jours sur les étals, si l'on évoque le contenu, pourquoi d'abord avoir opté pour un album de 16 chansons ?
Zedek Mouloud : C'est pour des raisons très simples. D'abord, je n'aime pas laisser des chansons que je compose à mon niveau. J'aime les faire partager avec mon public. Ensuite, j'opte pour cela parce que chaque nouvel album est différent du précédent, donc, j'édite toutes les chansons composées dans une même période.
Puisqu'on a parlé du nombre de chansons, maintenant pouvez-vous nous parler du choix de thèmes traités dans vos chansons ?
Je ne choisis pas. Je ne chante que ce qui m'a inspiré en cette période. Je ne fais pas de calculs. Toutes mes chansons ont un lien avec ma réalité. Elles s'inspirent de ma situation dans une période donnée. Elles reflètent mon être.
Vous avez parlé de l'Ecole, et vous avez donné un avis consistant en la dénonciation d'une Ecole portée sur l'idéologique, au lieu et à la place du savoir, pourquoi ce constat ?
L'Ecole chez nous est un instrument politique entre les mains des responsables. Alors que l'élève a besoin du savoir et de la science. On tente de modeler les enfants selon un modèle qui n'est pas le notre. Il est tout de même regrettable que les élèves soient encombrés de matières qui ne leur serviront à rien à l'avenir. Ils ont besoin de savoir, de leur inculquer l'esprit critique et les bases scientifiques qu'ils pourront développer dans l'avenir. Il est inadmissible qu'on mette des œillères à un enfant alors qu'il ne sait même pas faire la différence entre deux choses simples.. L'Ecole algérienne est sinistrée. Beaucoup avant moi l'on évoqué, et comme je ne suis pas un spécialiste, j'ai tout simplement donné un avis. J'aurai aimé que les spécialistes évoquent cette situation de l'Ecole avec plus de consistance dans leur dire. J'ai abordé dans une seule chanson, effectivement, l'Ecole avec un constat que j'ai fait.
Un thème prépondérant dans vos albums est sans conteste la situation du pays, en général et de la Kabylie en particulier. Quel est le regard d'un artiste sur cette situation et quel est aussi son rôle quand il porte un regard sur telle ou telle situation ?
Moi je vis ici avec ce peuple. Je ressens ce qu'il ressent. Ce qui lui fait mal me blesse moi aussi. Et je pense que c'est pour cette raison que tout ce que je chante est incontestablement lié à cela. Et je pense aussi que la situation du pays est indissociable de celle des individus. On ne vit que comme l'est notre environnement. Pour résumer, je dirai plutôt que je vis avec la situation du pays.
Et votre regard sur cette situation ?
Peu de bonnes choses mais, hélas ! Trop de mauvaises choses. Je déduis cela parce que je pense qu'un artiste ressent plus que les autres. Il doit être à l'avant-garde, donc c'est pour cette raison qu'il ressent plus et avant les autres.
Toujours sur le même sujet, vous avez dit que vous vivez constamment ici, en Kabylie, quelle est la situation de la région actuellement ?
La Kabylie a beaucoup changé depuis quelques années. Beaucoup de choses doivent être corrigées. On devrait tracer des frontières pour certaines d'autres. On doit se respecter mutuellement. On assiste à l'apparition de phénomènes que nos aïeuls ne connaissaient pas. Avant, le village était une entité où il faisait bon à vivre, aujourd'hui, on assiste à la perte de valeurs. Chacun doit comprendre qu'il est vraiment temps de remédier à cette situation. On ne doit pas oublier d'où nous venions. Dans une chanson que j'ai composé, justement sur cette situation, j'ai dis « m-ur tezmired attilli-d d win tebghi-d illi-k kan d keccini ». (Si tu ne peux pas être celui que tu veux, sois simplement toi-même).
Dans une chanson, vous avez rendu hommage à la région, d'Abrid kan (de passage), comment est venue l'idée de composer cette chanson ?
Elle venue d'une manière spontanée. J'ai voulu rendre hommage à la Kabylie, mais celle que j'aime. Celle qui avance, celle qui est consciente de sa valeur et celle qui veut changer sa situation. Mais pas à celle qui obéit à tout vent qui souffle. Ceux qui y travaillent et qui résistent méritent un hommage. Ils sont restés fidèles à leurs valeurs et à leur engagement.
Votre nouvel album est plein de couleurs, tant sur le plan textuel que sur le plan musical, est-elle une envie de mettre un tel travail à l'appréciation du public où c'est juste le produit d'une inspiration ?
Comme je l'ai dit, je n'ai jamais calculé dans ce genre de choses. Je chante ce que je ressens dans un moment donné. Cela sur le plan poétique. Concernant la musique, comme je ne suis pas un grand musicien, je compose des mélodies et des airs, mais je les fais avec d'autres. Je suis constamment à la recherche d'une meilleure composition musicale. Je demande conseil aux autres et j'essaye de m'améliorer.
D'aucuns estiment que votre poésie fait la beauté de vos produits. Ils ajoutent aussi que ces mêmes textes sont ornés de métaphores et de mots presque disparus dans la langue, comment vous composez vos poèmes ?
C'est un travail de recherche que je fais à chaque fois. Je suis constamment à la recherche de mots perdus et d'expressions anciennes. Une fois tout cela réuni, je leur donne une seconde vie. Je compose d'abord selon l'inspiration, ensuite, je commence le travail sur la même chanson. Ce travail prend plus de temps, car, il nécessite une grande concentration et surtout de la recherche. J'essaye de vivre avec mes chansons, les finalisées ensuite les mettre à l'appréciation du public. Je n'édite jamais avant que je sois sûr de mon travail. C'est cela le travail de perfection pour moi.J'effectue une recherche quotidienne. Là où je suis, je suis toujours à l'affût du moindre mot ou expression nouvelle. Comme la langue en Kabylie est très riche. On ressent des différences d'une région à une autre, donc, avec ma famille et mes amis, j'essaie de réunir le maximum pour mon travail. Et aussi je lis beaucoup sur la langue et aussi en kabyle.
Quels sont vos auteurs préférés ?
Je lis tout ce qui me tombe sur la main sur la poésie kabyle. On ne peut prétendre être un poète si on ne lis pas Si Mohand Oumhand et les autres grands poètes. Dans ce contexte je lis souvent Mouloud Mammeri, Abdesselam Abdenour, Mokrane Chemime et tous ceux qui ont écrit en kabyle. Récemment, j'ai découvert un auteur que j'ai beaucoup apprécié. Il s'agit de Brahim Ben Taleb qui a édité un dictionnaire en kabyle. J'essaye de tirer le maximum de ces auteurs.
Votre public attend impatiemment vos nouveaux produits. Cette attente du public vous met-elle de la pression et exige-t-elle de vous un meilleur travail ?
J'ai toujours eu peur de décevoir. Je veux que celle et celui qui m'écoute le restera toujours.Cette peur me honte toujours, car nul n'est à l'abri d'erreurs et de faire de mauvais enregistrements. Un obstacle peut survenir à tout moment, donc, tout cela participe à mettre de la pression dans le travail. A cela s'ajoutent les contraintes.
Quels sont les échos qu'a eus votre dernier opus?
C'est vraiment positif comme échos. Le public a accueilli favorablement le travail. Cela me fait plaisir. C'est très satisfaisant comme accueil. Cela me donne aussi envie de continuer et de donner plus à ce public que je remercie.
Mis à part cet accueil qu'a réservé le public à l'album, allez-vous rencontrer votre public lors des spectacles ?
Oui, j'ai programmé quelques galas dans la région, mais pour les grands spectacles, je donnerai un concert, le vendredi au stade Oukil Ramdane de Tizi-Ouzou, sinon les autres galas sont programmés dans les localités. Je souhaite que ces galas soient une réussite.
À Alger ?
Pour le moment rien n'est prévu à la capitale. J'ai tant aimé donner un spectacle à Alger et rencontrer mes fans d'Alger, mais rien ne présage à cela, du moins pour le moment. Les demandes sont restées sans suites depuis un moment.A la rentrée, je serai à Montréal, au Canada, pour un spectacle, ensuite à Philadelphia aux USA. Et j'ai programmé une tournée en France, à partir d'octobre probablement.
Certains disent que la chanson kabyle, actuellement est en déclin, d'autres parlent de progrès, comment la voyez vous ?
La chanson kabyle a changé depuis un moment. Bien qu'il y'a bien des artistes qui résistent. Il faut reconnaître que ce ne sont pas les artistes et le public d'hier qui sont là, mais d'autres artistes avec un public tout à fait différent de l'ancien qui reçoit le travail des uns et des autres.Je pense que la chanson kabyle est trop influencée. Le progrès technologique n'est pas en reste puisqu'il apporte son grain de sel à toute cette situation. Même si ces changements apparaissent, Taqbaylit (le kabyle) restera toujours là, il y aura toujours des amoureux du texte et de cette langue.
Ces influences sont elles positives ou négatives ?
On aurait aimé qu'elles soient positives. Mais on ne retient que le négatif pour laisser échapper le positif. On ne cherche pas à adopter le nouveau avec ses avantages, mais, malheureusement, on prend le tout sans pour autant filtrer le contenu. L'Internet est une très bonne chose mais cette technologie est utilisée sciemment pour faire du mal.
La chanson en Kabylie est perçue comme un instrument de combat. Une manière pour mobiliser, pour une prise de conscience, elle l'est toujours ou a-t-elle perdu de cette valeur revendicative ?
Elle l'est toujours. Le jour où elle ne sera plus cet instrument que vous évoquez, il n'y aura plus de langue kabyle. J'ajouterai aussi que ce n'est pas uniquement la chanson qui est cet instrument, mais au-delà, c'est la parole (awal). Tout le monde sait qu'est ce que représente la parole chez les Kabyles. Il est toujours un outil de lutte. Un poète chez nous a une place et une importance capitale. Si la langue kabyle a survécu c'est justement grâce à la poésie, aux poètes et aux artistes.
Face à cela, il y'aura pas des tentatives pour casser et saborder justement cette chanson qui est un instrument de lutte ?
Celui qui lutte sait pertinemment contre qui il mène son combat. Certainement ceux contre qui vous vous luttez, ceux qui renient votre identité et attentent à vos droits..., ceux-là tenteront, inévitablement de diminuer de la portée de cet instrument et aussi de votre combat. Avec nous, le combat continue. On est des pacifiques, on n'a pas pris les armes contre quiconque. On veut juste être nous-mêmes. Pourquoi voudrait-on nous l'interdire. Nous voulons tout simplement vivre comme les autres peuples.
Quelle est la situation de l'artiste dans notre pays ?
En général, sa situation est précaire. Celle de l'artiste kabyle est pire. Nous représentants un peu dans cet univers, et si l'on retire un peu du « peu » que nous sommes, il ne restera rien.En plus, ces dernières années, ils exercent un monopole sur la culture, d'où l'impossibilité pour les artistes kabyles de vivre de leur art. Si ce que vous produisez ne vous fait pas vivre, il faut trouver une autre ressource pour vivre, ce qui influe négativement sur l'artiste et donc sur son travail. C'est pour cette raison que beaucoup d'artistes font les choses à moitié, car, ils sont écartelés entre leur travail artistique et celui du quotidien pour vivre. On ne peut chanter ou produire lorsqu'on est incapable de joindre les deux bouts. Il faut aussi ajouter qu'avec l'apparition du CD, même si d'un coté, son avantage consiste en le son, mais il fait des ravages énormes. Le piratage tue l'art et les artistes en même moment. Pour résumer, la situation de l'artiste kabyle est vraiment précaire, donc, souhaitons tout simplement que les choses s'amélioreront. Et j'évoquerai aussi le fait que nous les artistes kabyles n'ont personne pour les épauler. La culture est, comme je l'ai dis, monopolisée par certains. Si vous avez des accointances avec eux, vous aurez tout, sinon, vous êtes mis à l'écart.
Beaucoup d'artistes parlent et c'est souvent du statut de l'artiste, quel est votre commentaire ?
Je suis d'accord pour un statut, mais il doit être respecté. Il ne suffit pas d'être reconnu en tant que tel. Et si votre produit déplait au public ? Et si vous êtes boycotté par ce même public ? Tout se joue dans les finances. Un artiste n'est pas seulement celui qui produit, mais aussi celui qui vende. Avec ce statut, nous deviendrons des intermittents de spectacles. Sur ce point, il faut savoir que ce statut exige de l'artiste un barème en termes de cachets qu'il faut atteindre pour bénéficier de certains avantages. L'Etat, à mon sens, ne peut pas garantir une sorte de rente aux artistes si ces derniers n'assurent pas de leur coté. En plus, concernant la reconnaissance d'un artiste, je pense que cela dépend du public et non pas d'une simple déclaration comme tel.
Des projets dans d'autres domaines ?
Oui, j'ai pensé à écrire mais pour le moment je temporise. Je préfère prendre plus de temps que de m'aventurer avec célérité dans ce domaine. Mais je confirme que je suis sur un projet mais pas dans l'immédiat.
Un dernier mot...
Un dernier mot ! Il n'y aura pas de dernier mot (rire). D'abord je vous remercie pour l »intérêt que vous apporter à mon travail. Un grand merci pour Liberté.Je souhaite que tamazight aura sa place dan son pays, et mazal lxir ar zdat...(le bien est à venir).
Entretien réalisé par Mohamed Mouloudj


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