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Augmenter les dépenses courantes ou mettre en place des réformes globales et cohérentes à moyen terme ?
Stratégie de sortie de crise et relance économique
Publié dans El Watan le 13 - 01 - 2020

La chute du prix du baril de pétrole à mi-2014 a causé un choc extérieur frontal à l'économie algérienne. Ce dernier s'explique par la place prépondérante du pétrole dans l'économie nationale. Face à ce choc, les autorités ont opté pour son financement. Non sans surprise, ce choc s'est transformé en crise profonde du fait de l'absence de plans cohérents de réformes destinés à rétablir les grands équilibres macroéconomiques, relancer l'activité économique et moderniser la capacité de l'offre du pays.
A fin 2018, quatre ans après ce choc extérieur, la situation macroéconomique du pays est marquée par de profonds déséquilibres. La croissance est très faible (1,4%), l'inflation au-dessus de l'objectif de la Banque d'Algérie (4,3%), les comptes budgétaires et extérieurs fortement déficitaires (9-10%), l'épargne budgétaire consommée en totalité, les réserves de change en chute libre (chutant de 194 milliards de dollars en 2014 à 88 milliards de dollars à fin 2018 et 66 milliards de dollars à fin juin 2019) et le chômage en hausse, affectant de façon préoccupante la classe d'âge la plus productive (19-49 ans) et les femmes.
A la fin du premier semestre 2019, les indicateurs économiques et financiers provisoires disponibles font ressortir une situation encore plus difficile.
En rétrospective, les performances de 2018 et 2019 sont le reflet d'une économie algérienne qui est restée engluée dans une fourchette de croissance faible de 2-3% et avec un fort taux de chômage depuis 20 ans.
Cet état de fait préoccupant est le résultat d'un certain nombre de problèmes structurels, notamment : (i)- une forte dépendance par rapport aux hydrocarbures pour la croissance économique, les recettes budgétaires et les exportations ; et (ii)- un secteur hors hydrocarbures (industrie et activités tertiaires) fortement dépendant de la commande publique.
In fine, cela traduit aussi l'absence de politiques publiques pro-croissance appropriée. Le problème de la réforme de l'économie nationale ne se pose pas.
La question est de savoir quand lancera-t-on ces réformes sachant qu'avec l'amenuisement de nos ressources financières, le temps presse. Le statu quo, c'est-à-dire la poursuite de la politique actuelle de financement de la crise et des risques majeurs sur les plans économique (effondrement de la croissance, montée de plus grandes pressions inflationnistes, accentuation du chômage, épuisement des réserves financières et de change), politique et sociale. En effet, le statu quo aggravera les déséquilibres à moyen terme et risque de nous mettre en situation de dépendance extérieure.
Vu l'ampleur des défis du pays et d'autres considérations sociales, il est possible que les décideurs optent pour des mesures populistes immédiates pour répondre aux tensions sociales et engranger quelques gains économiques et politiques modestes à court terme.
Ce scénario donnera un répit illusoire mais aggravera le coût de la crise et des réponses à y apporter. Il décalera la prise en charge de l'objectif stratégique de lancer les chantiers de la construction d'une économie hors pétrole et d'une base diversifiée d'exportations.
Ces objectifs sont à moyen et long termes et vont demander la mise en place et le suivi rigoureux de politiques globales et cohérentes pour sortir graduellement le pays de la crise profonde dans lequel le pays est plongé.
Les politiques publiques à mettre en œuvre à cet effet auront trois objectifs :
(i)- stabiliser l'économie afin d'éliminer les grands déséquilibres macroéconomiques, ce qui suppose un mix de politiques combinant une consolidation budgétaire graduelle pour préserver la croissance (politique budgétaire), une dépréciation du taux de change pour atteindre le taux d'équilibre (politique de change) et le contrôle de l'inflation (politique monétaire) ;
(ii)- relancer l'activité économique par l'investissement et l'exportation ; et (iii)- élargir la base productive du pays par des réformes pour profiter du boom technologique qui caractérise les secteurs verts et numériques. Ces réformes toucheront les finances publiques sous tous leurs aspects, le secteur financier, le taux de change, le cadre institutionnel de l'investissement et la bonne gouvernance.
Scénario d'un accroissement des dépenses courantes
Hypothèse faite d'une augmentation des dépenses courantes sans accroissement correspondant des recettes fiscales et au lieu et place d'un plan global et cohérent de réformes, quelles seront les implications macroéconomiques ? En effet, les autorités pourraient être tentées de prendre des mesures de dépenses afin de répondre à des pressions sociales fortes, calmer les attentes de la population et obtenir quelques gains économiques et politiques à court terme.
Ces dépenses additionnelles pourraient éventuellement viser à recruter davantage de fonctionnaires, augmenter les salaires, ajuster à la hausse les pensions et accroitre certains autres transferts.
Les implications macroéconomiques de ces mesures seraient éventuellement les suivantes :
En l'absence de réformes structurelles, la croissance économique demeurera faible et baissera progressivement de 1,4% en 2018 à 0,5% en moyenne au cours de la période 2020-2023.
L'inflation sera en hausse passant de 4,6% en 2018 à 7% en 2023, reflétant les tensions sur l'offre, les augmentations de salaires et de pensions, la monétisation du déficit et les imperfections des circuits de distribution.
Les recettes fiscales enregistreront une baisse de 16,5% du PIB hors pétrole en 2018 à 12,9% du PIB hors pétrole en 2023 en raison de l'atonie de la croissance économique et de l'absence de mesures visant à améliorer le recouvrement des recettes budgétaires.
Les dépenses courantes enregistreront une augmentation significative passant de 32,4% du PIB hors pétrole en 2018 à 36,5% du PIB hors pétrole en 2023 en raison de l'accroissement de la masse salariale et des transferts et subventions pour apaiser les tensions sociales.
Les dépenses en capital demeureront globalement inchangées pour osciller entre 20% -19% du PIB hors pétrole au cours de la période 2019-2023.
Le déficit budgétaire hors pétrole, point d'ancrage de la politique budgétaire, explosera pour passer de 28,5% du PIB hors pétrole en 2019 à environ 38,3% du PIB hors pétrole en 2023 et nécessitera un recours important aux ressources de la BA.
Sur le plan extérieur, les indicateurs seront au rouge. Les importations continueront de faire l'objet de restrictions administratives renforcées. Le Taux de change effectif réel (TCER) devrait s'apprécier de 8% en raison de la remontée de l'inflation et affaiblir la compétitivité extérieure.
Pour ce qui est du déficit du compte courant de la balance des paiements, il demeurera élevé (en moyenne entre 7% et 8% du PIB). Finalement, les réserves de change baisseront pour atteindre à l'horizon 2023 environ 12-15 milliards de dollars, soit 3 mois d'importations.
L'endettement public pourrait atteindre 92,8% du PIB en 2023 par rapport à 35% en 2018. Un indicateur détérioré qui compliquera la politique d'endettement national.
Pour ce qui est du volet structurel, des réformes destinées à simplifier l'environnement des affaires, améliorer le système des retraites, renforcer la gestion des finances publiques, moderniser les instruments de politique monétaire, développer un marché des changes à terme et combattre la corruption seront peut-être initiées, mais leur impact sera limité car le cadre général macroéconomique pour les réformes n'est pas en place.
Ce scénario procède d'une vision à très court terme. En conséquence, non seulement il accentuerait les difficultés économiques et sociales du pays mais compromettrait gravement sa souveraineté pour des gains illusoires. Une fois ces mesures de dépenses mises en place, les déséquilibres seront considérablement aggravés. Les effets illusoires des gains monétaires réalisés par la population seront effacés rapidement par l'érosion de la monnaie nationale. En outre, le report des réformes les rendrait douloureuses et plus coûteuses sur tous les plans une fois qu'elles deviendront inévitables.
Plus grave, le pays se placera dans une situation de dépendance vis-à-vis des créanciers étrangers. Ce scénario a été mis en œuvre par deux pays ayant changé de gouvernance politique en 2011 et 2013. La Tunisie et l'Égypte ont alors pris des décisions similaires sur le plan budgétaire qui continuent jusqu'à présent de limiter leurs marges de manœuvre sur le plan économique et politique et à renforceŕ leur dépendance financière vis-à- vis de la communauté internationale. In fine, ce scénario nous enfoncera davantage dans la crise. L'expérience des autres pays qui ont suivi cette voie est édifiante. Ce scénario ne doit pas faire l'objet d'une éventuelle considération.
Scénario avec réformes économiques et structurelles
A notre avis, la seule voie pour relancer l'économie nationale est de la stabiliser, élargir ses bases et la moderniser pour produire plus de valeur ajoutée dans des secteurs porteurs et de pointe. Le scénario devra s'inscrire dans une stratégie à long terme de construction d'une économie hors pétrole et d'une diversification des exportations. Il doit aussi être cohérent avec les ODD 2030. Autre élément important, cette stratégie devra assurer le passage d'une économie publique à une économie où les moteurs de croissance sont tirés par l'investissement privé. Comment procéder ?
1. Quelles politiques publiques ? Les politiques publiques à la base de ce scénario doivent s'articuler autour de 3 grands axes complémentaires et cohérents : macroéconomique, structurel et sectoriel. Ces politiques doivent être mises en même temps dans le contexte d'un plan à moyen terme cohérent et global.
a. Axe macroéconomique : l'axe macroéconomique est crucial car il a pour objectif d'assainir les fondamentaux économiques. Cet assainissement est incontournable. Il implique un budget sous contrôle, une inflation maîtrisée et un déficit de la balance des paiements raisonnable, éléments nécessaires pour favoriser l'investissement, ouvrir la voie à la croissance, créer des emplois et réduire les inégalités. Le mix des politiques macroéconomiques est le suivant : une consolidation budgétaire (en cohérence avec la politique monétaire) mais qui prend en compte la nécessité de préserver la croissance économique tout en contrôlant l'inflation.
Au centre de ce mix bien entendu, la politique budgétaire jouera un rôle central. Il s'agira de procéder à une réduction progressive du déficit budgétaire, accompagnée d'une dépréciation du taux de change (pour une meilleure gestion des ressources extérieures et de la demande globale) et d'une gestion rigoureuse de la liquidité créée par la monétisation du déficit budgétaire pour contenir l'inflation. Ce mix est seul en mesure d'assurer la viabilité des finances publiques, créer les conditions d'une relance de la croissance et contrôler l'inflation. Sans ce volet, les réformes ne peuvent porter et faire une différence.
b. Axe structurel : un axe structurel complémentaire et cohérent. Les réformes dans ce domaine doivent avoir un double objectif : (i)- renforcer la qualité de la politique macroéconomique (réformes sur les recettes, les dépenses, le processus et cadre budgétaire pour réhabiliter le budget en tant qu'outil de le gestion macroéconomique, et les statistiques macroéconomiques) ; et (ii)- réformes pour relancer l'investissement privé productif, inclure les femmes dans le marché de l'emploi, améliorer l'accès au financement, mettre en place un système financier moderne et lutter contre la corruption pour rétablir la confiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics et s'approprier les réformes.
c. Axe sectoriel : un dernier axe sectoriel pour moderniser et diversifier l'économie algérienne en pariant sur l'économie verte et numérique avec pour objectif d'accroître la productivité et la valeur ajoutée. Un autre facteur en faveur des réformes est de renforcer sa résilience aux chocs extérieurs et intérieurs. Il s'agira de profiter du boom technologique du vert et du numérique. Deux voies qui permettront au pays de bénéficier du génie créateur de sa jeunesse.
2. Quels objectifs ? Grâce à ces réformes, ce scénario visera à réduire le déficit hors hydrocarbures, stabiliser la dette à moyen terme, relancer la croissance économique, créer des emplois et moderniser l'économie du pays en pariant sur le vert et le numérique. Ces réformes sont nombreuses pour assurer la mutation de l'économie algérienne vers plus d'efficience et de dynamisme. La mise en œuvre de ces réformes s'étalera dans le temps et exigera un sequencing approprié et demandera un suivi rigoureux, ainsi qu'une politique de communication constante pour maintenir l'appui de la population aux réformes.
Les simulations font apparaître ce qui suit :
– Redémarrage de la croissance économique pour atteindre 5,5% à l'horizon 2023 en raison des réformes macroéconomiques et structurelles et des nouvelles politiques sectorielles qui seront mises en place.
– Maintien du taux d'inflation moyenne à 3,5% par an ; ceci passera par des actions sur l'offre (politiques sectorielle), l'amélioration des circuits de distribution et une politique monétaire vigilante pour neutraliser les effets du financement monétaire.
– Baisse du déficit hors hydrocarbures qui devrait passer de 20,6% du PIB hors pétrole en 2019 à 11,3% du PIB hors pétrole en 2023. Cet effort de réduction du déficit d'en moyenne 400-500 milliards de DA par an passerait par :
– Une augmentation des recettes fiscales qui passeraient de 16,4% du PIB hors pétrole en 2019 à 18,5% du PIB hors pétrole en 2023, reflétant la mise en œuvre de mesures en matière de politique fiscale, d'exonération et de renforcement de l'administration fiscale et douanière.
– Une baisse des dépenses totales qui passeraient de 44,4% du PIB hors pétrole en 2019 a 31,5% du PIB hors pétrole en 2023. Cet effort passerait par la rationalisation des dépenses courantes et le renforcement de la qualité de gestion des projets.
– Pour les dépenses courantes, elles devraient diminuer progressivement en pourcentage du PIB hors pétrole pour passer de 28,1% du PIB hors pétrole en 2019 à 18,3% du PIB hors pétrole en 2023. Les dépenses courantes salariales et non salariales diminuent progressivement en pourcentage du PIB hors pétrole. Les dépenses d'investissement diminuent pour atteindre 13,1% du PIB hors pétrole en 2023 (contre 18,5% en 2018).
– Le déficit sera financé par un mix de ressources Banque centrale et émission de papier public (emprunts sur le marché intérieur). Un test sur l'émission des obligations sur les marchés internationaux des capitaux sera conduit à partir de 2021-2022.
– Dépréciation du taux nominal de change du dinar pour atteindre 145 DA par dollar en 2023. En conséquence, le Taux de change effectif réel (TCER) qui est une variable proxy pour mesurer la compétitivité extérieure de l'économie est supposé se déprécier de 25% sur la période de projection, reflétant une inflation en baisse contrebalancée par la dépréciation nominale du dinar.
– Avec une amélioration de la compétitivité extérieure, les efforts de diversification et de libéralisation de l'économie se traduiront progressivement par une légère augmentation des exportations hors hydrocarbures, des IDE et des recettes touristiques vers la fin de la période de projection. En combinaison avec une rationalisation des importations, le compte courant de la balance des paiements devrait baisser pour se situer à 3% du PIB.
Ce scénario est celui qui prend à bras-le-corps les problèmes du pays avec pour objectif stratégique de lancer les chantiers de la construction d'une économie hors pétrole et d'une base diversifiée d'exportations. Ces objectifs sont à moyen et long termes et vont demander la mise en place et le suivi rigoureux de politiques globales et cohérentes pour sortir graduellement le pays de la crise profonde dans laquelle il est plongé. Ce scénario est celui qui fait un pari sur l'avenir et doit être pris en considération.

D. Conclusion
Il est impératif que les décideurs relèvent frontalement les défis et mettent en place une stratégie cohérente de réformes.
Cette dernière s'appuiera sur les atouts du pays, notamment : (i)- des ressources humaines de qualité ; (ii)- une meilleure compétitivité extérieure ; (iii)- des marges de manœuvre pour profiter du boom technologique vert et numérique ; et (iv)- une dette extérieure très faible. Plus important, cette stratégie doit être articulée autour de bonnes politiques publiques et doit mobiliser les financements conséquents. Enfin, les autorités doivent se donner les moyens d'un suivi rigoureux de la stratégie arrêtée.

Par Abdelrahmi Bessaha
Economiste et expert international


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