L'attaque, mercredi, contre une patrouille des gardes-frontières et des gardes communaux algériens dans la région de Tinzaouatine, à 800 km au Sud de Tamanrasset, est intervenue le jour même d'une rencontre à Tripoli des ministres de la Défense de certains pays du Sahel regroupés au sein de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD). L par la Libye en 1998, la CEN-SAD regroupe le Mali, le Tchad, le Niger, le Soudan et le Burkina Faso. Pays sahélo-sahariens également, l'Algérie, la Tunisie et la Mauritanie ne font pas partie de cette communauté qui a acquis le statut d'observateur auprès de l'Assemblée générale de l'ONU. Le Soudan, qui vient de fermer ses frontières avec la Libye, pourrait bien être amené à geler sa participation au sein de la CEN-SAD. La rencontre de mercredi à Tripoli devait aborder, entre autres, la question de la sécurité dans la région. La Libye, en quête perpétuelle d'un rôle de leader dans le Sahel et dans la Corne de l'Afrique, tente de contrer, par les moyens les plus « sophistiqués », des efforts d'autres pays tels que l'Algérie de prendre l'initiative pour lutter contre les crimes transfrontaliers. Il est vrai que Tripoli a, en mars 2010, accepté l'offre de l'Algérie de réunir les ministres des Affaires étrangères des pays du Sahel. Outre l'Algérie et la Libye, cette réunion de coordination a regroupé le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Mourad Medelci, ministre algérien des Affaires étrangères, a appelé, lors de cette rencontre, à « une coopération frontalière efficace et multiforme entre les pays de la région pour répondre aux défis de sécurité et de développement ». Vulnérabilité Le secrétaire libyen du comité populaire des relations extérieures, M'hamed Koussa, a, lui, soutenu que la Libye « fera tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à tout ce qui concerne cette région ». Il a relevé que l'Algérie et la Libye travaillent en « concertation permanente ». Pourtant, la Libye n'a pas jugé important de siéger dans le comité d'état-major opérationnel installé en avril 2010 à Tamanrasset pour coordonner les efforts de lutte contre le terrorisme. Ce comité regroupe l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Le Tchad et le Burkina Faso n'en font pas partie. Pourtant, ces deux pays, autant que la Libye, avaient signé le 16 mars 2010 à Alger une déclaration commune contenant « une ferme condamnation » du terrorisme et réaffirmant « avec force » leur détermination à agir « individuellement et collectivement pour éradiquer ce phénomène ». Mais il y a visiblement un décalage entre les discours politiques et les actions sur le terrain. M. Medelci a dit ceci : « Le terrorisme dans les pays de la région sahélo-saharienne est une grande menace pour nos populations. Aujourd'hui, les terroristes sont en relation avec les bandes de trafic d'armes et de drogue, cela aggrave la situation. » Constat que partagent les capitales de la région, mais il y a comme « une faille » quelque part. Au-delà des ambitions démesurées de Tripoli et du double jeu de Bamako (l'affaire de l'otage français Pierre Camatte en est la preuve), le bicéphalisme qui marque l'action politico-sécuritaire dans le Sahel augmente de manière inquiétante la vulnérabilité de la région, considérée comme « sous défendue » par les spécialistes. Le groupe qui a attaqué le 30 juin les gardes-frontières algériens est venu du Mali et est revenu vers ce pays. Ce groupe était fortement armé. Des experts diront qu'il est facile d'acheter du matériel militaire, y compris des lance-roquettes, dans ces espaces ouverts, terrains faciles pour les marchands d'armes. Mais des questions peuvent être posées sur l'efficacité de l'état-major sahélien de Tamanrasset. A-t-il tous les moyens technologiques pour contrer l'action des trafiquants et des terroristes ? Va-t-il solliciter l'aide de puissances occidentales pour mieux surveiller les frontières ? Ces puissances sont-elles réellement intéressées par le retour de la sécurité dans cette région ? Lutte d'influence L'instabilité du Sahel, couloir stratégique et zone tampon entre l'Afrique du Nord, la Méditerranée et l'Afrique, ne semble pas naître du néant. Des rebelles qui émergent au Niger et au Mali, des groupes armés qui activent avec une facilité déconcertante en Mauritanie, des narcotrafiquants qui s'arment comme ils le veulent au Tchad et en Mauritanie, ces faits ne peuvent pas être le fruit du hasard. Ce qui se passe au Sahel n'est pas à détacher du conflit entretenu du Darfour et de la destruction lente de la Somalie. N'Jamena et Khartoum se tolèrent à peine. Bamako et Nouakchott sont en froid. Tripoli et Khartoum s'acheminent vers une crise ouverte. Et Niamey, depuis le coup d'Etat contre le président Tanja, a adopté une attitude floue et indolente. Tunis ne s'intéresse presque pas à ce qui se passe au Sahel, alors que Rabat tente de suivre le cours des événements sans forcer le trait. Après la série du kidnapping des touristes étrangers, qui a mis la zone Sahel sous les lumières de l'actualité mondiale, tous les services secrets occidentaux et non occidentaux ont ouvert des antennes spéciales pour suivre minute par minute l'évolution de la situation dans cette zone. Leur action n'est pas forcément complémentaire ou coordonnée. Riche en uranium, en diamants, en or, en cobalt, en eau, le Sahel n'est pas une région comme les autres. La lutte d'influence entre des pays comme les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Chine, voire même Israël, prend plusieurs formes. Des méthodes non conventionnelles peuvent être mises à contribution. Aussi, l'Algérie, qui a tous les atouts pour jouer le rôle de leader régional, aura la tâche plus difficile si elle n'intensifie pas ses efforts de fédérer les points de vue de tous ses voisins pour affronter les crimes mutants qui traversent les frontières. Si elles persistent, les contraintes liées aux rivalités entre capitales seront, à terme, désastreuses. Il suffit de presque rien pour que la situation devienne incontrôlable.