L'on n'aura jamais vu le drapeau algérien autant hissé et déployé, autant revendiqué et démultiplié à travers le pays – et même un peu partout ailleurs dans le monde – que durant la parenthèse enivrante de l'expédition de l'équipe algérienne de football depuis une année. Parenthèse d'euphorie, quitte parfois surfaite et entretenue, ce moment de la vie nationale a eu le mérite de démontrer que l'attachement à ce symbole premier de la nation ne se décrète pas, comme l'avait tenté une campagne officielle hasardée il y a près de deux années. L'attachement trouve les conditions de son expression spontanée, et par là-même puissante, à l'occasion de succès collectifs fédérant les aspirations et réhabilitant une estime de soi malmenée par des années de dèche intégrale sur tous les plans. Des indices et des faits marginaux viennent dans le même contexte relativiser ce que l'on semble trop vite interpréter comme la remontée salutaire et irrépressible du sentiment national, du moins l'attachement à ces couleurs dont le rouge est trempé à la symbolique immuable du sang des martyrs. Il y a deux semaines, des émeutiers de la localité de Sidi Salem, un bidonville plutôt mal famé du côté de Annaba, ont fait le geste extrême de brûler le drapeau algérien, poussant l'outrage ou le sacrilège jusqu'à hisser le drapeau français et défiler avec. Un incident qui a fait les choux gras de la presse française, la même qui s'était scandalisée une semaine auparavant de voir cette fois le drapeau tricolore détaché de sa hampe au fronton d'une mairie du Val-de-Marne, brûlé et remplacé, suprême bravade, par celui algérien. Plus près de nous, il y a quelques jours, des imams de ce qu'il y a de plus officiel avaient refusé, à l'occasion d'un meeting, de se lever pour saluer l'hymne national, jugeant sans doute que la foi en la oumma transnationale ne pouvait pas s'accommoder d'abnégation et de rituels somme toute séculiers à l'échelle d'un pays. Il y a ainsi comme une référence convulsive aux couleurs nationales et l'on se souvient bien de ces séquences frisant le ridicule et donnant à voir, à chaque spectacle animé par la moindre starlette du monde de la musique, d'ardents patriotes courir lui couvrir les épaules du cher drapeau. Cette passion à fleur de peau, et sans doute spontanée par moment, tend tout de même à faire douter de sa sincérité là où le zèle supplante la pertinence et l'à-propos. Là où l'initiative volontariste est trop tapageuse pour ne pas exaspérer. S'il y a sans doute un souci légitime et un devoir à veiller aux égards dus aux symboles de la nation, sa mémoire et tout ce qui évoque les épreuves qui l'ont forgée, il y a aussi qu'à trop vouloir tirer sur la corde du nationalisme – ou du patriotisme, on ne sait plus – l'on banalise dangereusement les symboles que l'on prétend hisser au pinacle de la vénération.