Le désastre économique dans lequel se trouve l'Algérie n'a pas encore révélé toutes ses facettes. L'immensité des dégâts occasionnés par les politiques successives depuis que le pays a abandonné progressivement le modèle cahoteux de la gestion «socialiste» des entreprises, au profit soi-disant d'une intégration de la logique économique du marché, est à la mesure de la grande déception que l'on a récoltée. Voilà encore une fois le pays face à ses propres démons, à l'heure où il n'a pourtant pas les moyens de jadis pour conjurer le mauvais sort de toutes ces innombrables entités économiques qui attendent toujours un énième geste de l'Etat propriétaire pour les sauver d'une mort certaine. Le problème est entier, et il n'est pas dit que le diagnostic qui en est fait est le bon. Car de quoi parle-t-on au juste ? Est-il vrai que le problème d'une entreprise, comme Eniem, une entité économique qui a vu le jour dans les années post-indépendance, sous le régime de Boumediène, à l'instar d'ailleurs de la plupart, sinon de la quasi-totalité des sociétés du secteur industriel du pays, est tout juste celui de la gestion dont il suffit de revoir les modalités pour se hisser au niveau escompté ? Que nenni ! En fait, à regarder de très près, dans le secteur industriel, l'Eniem est vraiment l'arbre qui cache la forêt. Le cas n'est pas unique, loin s'en faut, et pratiquement toutes les entreprises publiques ou presque ont besoin à chaque fois de se tourner vers l'Etat propriétaire, qui doit mettre «la main à la poche» pour les renflouer. La seule question qui revient tel un leitmotiv est : «Jusqu'à quand ?» S'il faut saluer le déblocage de la situation de cette entreprise de l'électroménager, qui a mis en chômage technique des milliers de travailleurs et dont les postes d'emplois restent toujours menacés tant que le problème de fond reste entier, il y a lieu néanmoins de tirer la sonnette d'alarme quant à l'état de notre secteur public économique pour lequel il faut absolument apporter des solutions pérennes. Car force est de reconnaître qu'aucun dirigeant du pays n'a réussi jusqu'à présent à changer la donne pour promettre un autre destin à un secteur qui se meurt faute de vision et de politique hardies en adéquation avec les exigences de l'heure. L'ouverture économique initiée à la fin des années 1980 n'a réussi tout compte fait qu'à fragiliser le potentiel de croissance de ces entités, livrées qu'elles sont à une concurrence déloyale de l'importation et d'un privé qui majoritairement n'a pas su ou pu tout simplement en assurer le relais. Il faut dire qu'aujourd'hui l'Algérie ne peut se permettre de faire l'impasse sur un débat national et démocratique sur les orientations stratégiques à inscrire dans le registre de l'économie. Il y va de la question sensible de l'emploi et de la création des richesses. Que faut-il vraiment pour faire redémarrer la machine économique qui est plus que jamais grippée par tant d'approches approximatives et, depuis peu, de prévarication et du gain facile ? Car s'il faut aujourd'hui faire le bilan de ces nombreuses années de gestion du secteur industriel en Algérie, il y a lieu d'abord de conclure à un fiasco. L'automobile est le cas le plus édifiant de ces dernières années, mais pas seulement. Le privé tout comme le public logent à la même enseigne à quelques variantes près. On a vu comment les autorités ont laissé faire un secteur privé voguer au gré des humeurs et des considérations politiquement étroites qui favorisent la promotion d'un groupe d'hommes d'affaires plutôt qu'un autre sur la base non pas de choix économiques, soutenus par une stratégie de développement et de conquête de marchés, mais de rente et de connivence. La preuve nous a été apportée ces derniers mois sur les dégâts qui ont été réédités dans le secteur privé après avoir dénudé le secteur public économique. Aujourd'hui donc, il s'agit, pour sortir de cette vision étroite et de courte vue, de tout mettre à plat afin de prendre le taureau par les cornes et de préparer un nouveau départ pour notre économie. L'enjeu est tel que le pays ne peut s'abstraire des nouvelles réalités politiques que vit le pays actuellement, depuis notamment bientôt une année, pour se lancer vigoureusement à la conquête de nouveaux horizons. Le succès des réformes en effet dépend davantage de cette vision qui consiste à doter le pays d'institutions réellement légitimes et démocratiques, faute de quoi rien de sérieux ne sera entrepris. La bonne gouvernance est à ce prix. Il faut se mettre tout simplement aux normes d'une démocratie véritable si l'on veut sortir définitivement du bricolage et de la stratégie de rapiècement. L'Algérie paye cash le prix de l'indécision et du défaut de volonté.