L'âge de raison est celui où l'on commence à «comprendre les notions de bien et de mal, de justice ainsi que les conséquences de ses actes». Cette évolution est observée chez l'individu, mais également applicable aux institutions et aux Etats en construction. Cette période charnière a été amorcée dans notre pays il y a une année. Les Algériens ont décidé de prendre leur destin en main et de secouer un pouvoir versé dans l'irresponsabilité, cultivant l'injustice et refusant de travailler pour le bien de la collectivité. La démarche des nouvelles autorités peut paraître approximative ou improvisée, mais elle dénote que le sens de l'histoire, résolument indiqué par le mouvement populaire, est en train de s'imposer dans les rouages de l'Etat. Si l'institution d'une Journée nationale du 22 Février ne convainc pas l'opinion, le discours qui l'accompagne montre que les enseignements ont été tirés et le rôle salvateur de la mobilisation citoyenne est reconnu. Le temps de la récupération et de la manipulation est révolu, il reste celui de l'apprentissage de la démocratie et du retour à la réalité. En décomposition ou en cours de restructuration, le pouvoir, autrefois hégémonique, aujourd'hui en proie à une introspection mouvementée, a définitivement compris qu'à trop humilier un peuple, on finit par le ragaillardir. La dernière grand-messe officielle ayant réuni le gouvernement avec les walis a offert une autre séquence, montrant que le déni de la réalité n'est plus considéré comme un mode de gouvernance, mais une véritable tare qui peut mener le pays à l'«effondrement». Les «zones d'ombre» et la détresse sociale lancinante dépassent à présent le cadre restreint des colonnes de quelques journaux, elles sont projetées sans fard sur les bureaux des responsables à tous les niveaux. Le mouvement du 22 Février 2019 a gagné dès le premier jour, dès lors que l'autorité a plus de chance d'être déchue que d'être célébrée. La voix du citoyen est devenue aussi audible qu'incontournable. Ce retour à l'humilité et à la raison, qui s'esquissent dans des sphères qui leur étaient longtemps hermétiques, devra s'accompagner d'une rénovation de la classe politique à laquelle incombe la mission de structurer une alternative démocratique. Quand le système en place est miné par la corruption et une réelle obsolescence historique, les partis de l'opposition souffrent également de quelques scories, dont un défaut de renouvellement générationnel et un manque d'ouverture sur la société. L'irruption citoyenne de février 2019 a eu lieu en dehors de tout cadre partisan et a surpris des leaders politiques pourtant aguerris. Le changement de système imposé par la rue va impliquer la régénération des formations politiques et des organisations sociales. Les événements en cours n'ont pas seulement levé le voile de l'oubli et du déni sur les zones de détresse dans le pays profond, ils ont également révélé une énergie insoupçonnée et une volonté inaltérable de survivre dans un monde qui enterre les totalitarismes et ne s'accommode que de la compétitivité et des libertés.