Cette loi intervient au moment où des campagnes basées sur le racisme et le régionalisme se sont banalisées sur les réseaux sociaux comme sur les chaînes privées. Les contours de l'avant-projet de loi criminalisant le discours de haine se dessinent. Annoncé il y a quelques semaines, ce texte, adopté dimanche en Conseil des ministres, prévoit, selon le communiqué de la Présidence, l'élaboration d'une stratégie nationale de prévention contre les crimes de discrimination et le discours de haine. Ce texte de loi se veut, selon le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, cité par le communiqué de la Présidence, «une réponse aux tentatives de fragmentation de la société algérienne, notamment à travers l'utilisation des réseaux sociaux, affirmant que la liberté d'expression ne signifie nullement la liberté d'insulter, de diffamer, de discriminer et de propager la haine et la division». Le gouvernement associera, selon la même source, la société civile et le secteur privé à la préparation et à sa mise en œuvre du projet de loi, en sus de la mise en place de programmes d'enseignement en vue de la sensibilisation, la diffusion de la culture des droits de l'homme, de l'égalité, de la tolérance et du dialogue. L'avant-projet de loi définit également le champ d'action de la protection des victimes de ces actes que le communiqué de la Présidence juge «criminels» et confère aux associations nationales des droits de l'homme le droit de déposer plainte auprès des juridictions compétentes et de se constituer partie civile. L'une des nouveautés consiste en la création d'un Observatoire national de prévention contre la discrimination et le discours de haine, placé auprès du président de la République. «Le projet qui s'appuie aux Chartes internationales et à la sociologie de la société algérienne tient compte de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication dans la plupart des crimes de discrimination et dans le discours de haine, d'où l'impératif de dispositions relatives à l'assistance et à la coopération internationales», peut-on lire dans le communiqué. A ce propos, le président de la République a ordonné l'introduction d'amendements pour préserver l'objectif substantiel de cette loi, à savoir «la préservation de l'unité nationale dans toute sa composante, la moralisation de la vie politique et publique et sa protection contre toute dérive». Cette loi intervient, en effet, au moment où des campagnes basées sur le racisme et le régionalisme se sont banalisées sur les réseaux sociaux comme sur les chaînes privées. Il est à noter cependant que la loi algérienne est déjà rigoureuse en cette matière. Preuve en est, l'article 298 bis du code pénal punit jusqu'à six mois de prison tout auteur d'«injure commise envers une ou plusieurs personnes appartenant à un groupe ou ethnie». Aussi, l'article 295 bis de la même loi punit de prison «quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale ou ethnique ou organise, propage, encourage ou mène des actions de propagande aux mêmes fins». Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l'Algérie en décembre 1989, stipule en son article 20 que «tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi». Par ailleurs, la loi n° 99-07 du 5 avril 1999 relative au moudjahid et au chahid protège la mémoire des martyrs et des héros de la Guerre de Libération. Ces lois auraient pu être actionnées à de nombreuses reprises tant les dépassements ont été nombreux. Parmi les exemples flagrants, on peut citer notamment celui de la députée et présidente du Parti de l'équité et de la proclamation (PEP), Naïma Salhi. Celle, qui a déclaré qu'elle était prête à tuer sa fille si celle-ci s'aventurait à «parler kabyle», choque et défraye la chronique, à chaque intervention sur les réseaux sociaux. En juin 2019, trois plaignants, dont deux avocats, ont déposé une plainte contre la présidente du PEP restée jusqu'à aujourd'hui sans suite. Dans le but de neutraliser le hirak, des campagnes orchestrées par une armée de trolls sur internet (appelés communément doubab, «les mouches électroniques», par les internautes algériens) ont créé sur la Toile un climat délétère, qualifiant les opposants au système d'«agents de l'étranger», «zouaves» ou encore «ennemis de la nation». Dans un glissement sémantique inédit, la parole «haineuse» a été reprise jusque par l'ancien ministre de l'Intérieur, Salah Eddine Dahmoune (limogé depuis par le président Tebboune), le 3 décembre 2019, qualifiant les opposants à la présidentielle contestée du 12 décembre de «pseudo-Algériens, traîtres, mercenaires, homosexuels, pervers et efféminés», inféodés aux «colonialistes». Le président du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), Bouzid Lazhari, a rappelé, dans une déclaration à l'APS, que de nombreux pays disposent de lois criminalisant le racisme et la haine, citant notamment les Etats-Unis, dont le premier amendement (à la Constitution) soutient que «l'Etat n'intervient pas en matière de liberté d'opinion, mais la Cour suprême américaine est tenue, toutefois, d'intervenir lorsqu'il s'agit d'un discours de la haine, en ce sens où il porte atteinte au principe d'égalité». «Avec l'émergence et le développement des réseaux sociaux, souligne Bouzid Lazhari, le problème du discours de haine est devenu une préoccupation mondiale, d'où le recours de nombreux pays, comme l'Angleterre, l'Irlande, le Canada et l'Inde, à la mise en place de lois criminalisant les discours de la haine qui attentent à la souveraineté nationale.»