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Entretien avec Amel Zen : «Entre ma patrie et ma carrière, la question ne devrait pas se poser»
Publié dans El Watan le 09 - 03 - 2020

Sur scène elle est feu et eau, tantôt tempétueuse, tantôt gracieuse, charismatique en tout cas, nourrissant son public nombreux par des flots de sentiments sincères, des mots sans démagogie et sa Rock-attitude.
Amel Zen, la diva de Cherchell, a fait du chemin depuis ses premiers pas dans l'association El Kaïssaria de musique andalouse, avant de devenir une icône pour la jeunesse algérienne, une voix cristalline reconnue aussi pour ses engagements dans les causes sociales. Et depuis le début du mouvement révolutionnaire du 22 février, elle est aux premières lignes des artistes ayant rejoint la cause du peuple. Une poignée, hélas, considérant l'armée «d'artistes» qui se nourrissent de la mamelle de la rente sous contrôle du ministère de la Culture et ses organismes sous-traitants, moyennant silence ou, à l'occasion, des soutiens lâches aux mandats de la honte du président déchu et autres servitudes. Dans cet entretien accordé à El Watan, Amel Zen se confie sur ses choix et révèle une intransigeance admirable quant à ses principes.

-Vous avez choisi de marquer l'anniversaire du hirak par la reprise du titre Libérez l'Algérie, ce qui marque aussi une année de votre engagement dans le mouvement. En tant qu'artiste, que représente pour vous le fait de s'impliquer dans le mouvement populaire ?
S'impliquer dans cette révolution populaire est avant tout un devoir national, citoyen et générationnel, c'est la continuité du combat mené par nos valeureux martyrs morts pour que nous puissions vivre indépendants, libres et dignes dans une Algérie Etat des droits et des libertés.
S'impliquer, c'est vivre, exister, participer à l'édifice et poser sa pierre. En tant qu'artiste, je ne fais que témoigner de mon temps, de la volonté de mon peuple, je lie ma voix à celles de mes compatriotes, je l'élève…. ma voix mon seul outil de résistance. Je ne suis qu'une note de musique dans toute la partition de l'œuvre «la voix du peuple qui veut sa liberté et sa dignité».
-Mais rares sont les artistes qui ont été courageux pour afficher clairement leur implication aux côtés du peuple… Vous n'avez pas peur de représailles qui peuvent affecter votre carrière en Algérie ?
On ne négocie pas l'Algérie. Entre ma patrie et ma carrière il n'y a même pas à dire, ni même à comparer, la question ne devrait pas se poser d'ailleurs, ce serait grave de les mettre sur un piédestal. Nous sommes à l'heure de l'intérêt national et non personnel, nous vivons un moment historique et devons prendre nos responsabilités, les chouhada sont morts pour ce pays, ils ont donné leur vie, parler de sacrifice de carrière serait indécent à côté.
-Ce fut une année chargée pour vous avec plusieurs apparitions et des chansons nouvelles qui ont toutes un lien avec l'actualité politique. Joussour, votre dernier album, reprend les thèmes de la liberté, la démocratie et l'identité, et vous vous attaquez surtout à des tabous…
Effectivement, cette année du hirak a été très inspirante, il y a eu ma participation dans Libérez l'Algérie en tant que co-auteur et interprète, puis Horra le 8 mars 2019, Fajr el Houria à la fermeture des accès à la capitale et la montée de la répression, Amahvus n'thelleli en solidarité avec les détenus politiques et d'opinion et ceux de l'emblème amazigh.
Djamila, que j'ai écrite avant le 22 févier et qui figure sur l'album Joussour, un album réalisé lors de ces cinq dernières années et sorti cette année 2020. Dans cet album, je me suis attaquée à certains sujets jugés un peu tabous que je qualifirais d'urgents, d'importants et de nécessaires pour avancer, dont le sujet sur le danger de l'extrémisme et l'intégrisme religieux et l'idéologie unique, la condition de la femme dans la société conservatrice, le patriarcat, le rapport au corps de la femme, le danger des codes sociaux figés, le manque de tolérance à la différence, la drague du Saroukh, dont le titre Daaou.
-Dans Détenu de la liberté, que vous chantez en tamazight, vous exprimez votre solidarité avec les porteurs de drapeau amazigh, les détenus d'opinion et les militants du mouvement en général, que vous qualifiez d'«incassables, inflexibles et incorruptibles»…
En effet. Amahvus ñ telleliou (Le détenu de la liberté) est un hommage aux détenus pour leur courage et résistance. Je voulais crier fort le choix de la liberté au détriment de sa propre liberté par ce titre, dont le texte est écrit par Abdellah Bendaoud. Amehvus ñ telleli raconte l'histoire des hommes et femmes libres, qui ont choisi de combattre pour leur dignité et liberté n'acceptent pas de courber l'échine, n'acceptent pas de se vendre et de trahir.
-Qui est Djamila, qui fait le titre d'une de tes chansons ? Que représente-t-elle ?
Djamila, c'est l'Algérie belle qu'on a amochée depuis la confiscation de l'indépendance passant par les années du terrorisme puis les 20 ans de Bouteflika et du système toujours en place. Djamila, c'est aussi le nom de l'iconique Djamila Bouhired, symbole de la Révolution nationale, un rappel naturel.
-Nous célébrons la Journée internationale de lutte pour les droits de la femme dans un contexte de révolution populaire ; avez-vous un message à cette occasion ?
Je veux dire pour ce 8 mars et pour tous les jours qu'il ne peut y avoir un Etat de droit, qu'il ne peut y avoir de liberté et de démocratie, qu'il ne peut y avoir de justice, qu'il ne peut y avoir de citoyenneté sans égalité des droits hommes-femmes, l'égalité des droits entre citoyens, une Algérie qui ne fait pas de discrimination entre ses enfants. A bas le patriarcat et la violence.
A bas les codes sociaux injustes. Nous sommes des citoyennes à part entière, des individus complets avec un cerveau entier et non pas à moitié, pour ceux qui considèrent la femme incapable de raisonner et de prendre des décisions seules ; nous ne pouvons plus accepter le statut de mineure à vie et pleine d'autres injustices consacrées par le code de la famille.
Je dis stop à ce code qui doit être abrogé dans notre nouvelle Algérie pour laquelle nous combattons et avons combattu ensemble femmes et hommes. Et pour finir, je rejoins la campagne «#Le8MarsNestPasUneFete»,lancée par un groupe de femmes sur Facebook que je félicite d'ailleurs et soutiens.
Oui, le 8 mars n'est pas une fête mesdames et messieurs ; pas de fleurs s'il vous plaît, ni de parfum ! Rejoignez-nous pour militer tous les jours pour une réelle justice et égalité et spécialement ce 8 mars qui est une journée internationale de lutte pour les droits de la femme. A cette occasion, je leur dédie une de mes chansons Chkoun enta du deuxième album Joussour et Heqentarin .

Propos recceuillis Par Nouri Nesrouche


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