Située dans la province de Gauteng et connue pour être la ville des jacarandas, en référence aux centaines de milliers d'arbres qui lui donnent une teinture mauve, Pretoria absorbe tout être se mouvant dans ses entrailles enchevêtrées. Pretoria (Afrique du sud). De notre envoyé spécial Et nous, avec notre frêle silhouette, nous ne pouvais rencontrer d'encombrements dans nos déplacements saccadés. Munis d'un lexique shakespearien approximatif (normal, dans notre cursus nous avons choisi la langue de Sancho Pança), nous entrons quasiment en fanfare, que dire, en conquérants sur Hotfield Square, une vuvuzela entre les mains et un sourire gros comme un jabulani, le ballon officiel de la FIFA. Deux atouts, nous semblait-il, qui allaient nous ouvrir… tous les cœurs des maîtresses des lieux. Nous avions tort, bien entendu. Au pays de l'oncle Nelson, il ne suffit pas de souffler dans une vuvuzela pour conquérir le cœur de Yolanda. Et ce qui n'arrange rien, 90% des fêtards qui ont investi la place sont dans un état second. Ce n'est pas une maxime, mais dans pareille situation, l'ivre n'est pas celui qu'on croit. « Sorry ! sorry ! » Tout le monde me marche sur les pieds, comme si on était transparent. Le mot de passe pour enfreindre toutes les agressions involontaires « Sorry ! » nous nous déhanchons un peu, comme pour attirer l'attention. Nous sautillons, comme pour exécuter une danse exotique. Mais, dans un pays où l'on n'a aucun secret pour la chorégraphie, nous nous retrouvons à terre, la vuvuzela dix mètres plus loin. Un policier rapplique et nous menace de nous expulser des lieux, sous prétexte que nous effectuons des croche-pieds aux passants. « Nous apportons la culture de notre pays, la chute est un symbole qui rappelle qu'on était sur un piédestal ! », tentions-nous de lui expliquer philosophiquement. « Sorry ? » riposte-t-il, les yeux sortis de leur orbite. Diantre ! Et si ce vocable était la clef qui pouvait nous ouvrir les portes de la réussite, ce soir-là ? Nous nous fendons davantage dans la cohue bruyante « Sorry ! Sorry ! » L'orchestre, installé sur une scène multicolore, entame le tube fétiche du Mondial. C'est « hajouj wa majouj ». Difficile de suivre le rythme. Nous avouons qu'il faut un peu d'inspiration et beaucoup de respiration. Un peu d'épaule, aussi, pour suivre la cadence. Puis, des milliers d'yeux se mettent à contempler le ciel. Sur le sommet d'un chêne centenaire, un quidam, bardé de couleurs nationales, tente d'accrocher notre emblème. C'est le branle-bas de combat. « Il faut leur marquer le point ! », annone-t-il d'en haut. Un bataillon atterrit sur le Square. Le chef, pour on ne sait quelle raison, nous intime l'ordre d'ordonner à notre compatriote de descendre fissa, « Ya khouya, descends, yarham oualdik ! » Notre compatriote fait du chantage, en apparence, puisque qu'il réclame une bière pour obtempérer. Dieu du ciel d'un hiver sud- africain glacial, c'est nous qu'on désigne pour remettre la rançon. Qu'à cela ne tienne, arrivé à son niveau, cet espèce d'escaladeur des temps modernes nous dévisage avant de nous balancer à la figure « Sorry ? » Fou de rage, nous crions d'en haut : « Envoyez-nous une Yolanda ou nous restons au sommet ! » On fait venir ce qui nous a semblé être un interprète et subitement toutes les Yolanda sont au pied de l'arbre. Nous nous laissons glisser doucereusement du chêne. Sans nous faire prier. Un sourire gros comme un jabulani dégonflé. A l'accueil, des policiers et pas l'ombre d'une Yolanda. On nous a fait souffler dans une vuvuzela, comme dans un alcootest, puis on nous a exigé de leur montrer le billet du prochain Algérie-USA. Interloqués, nous demandons : « Quel rapport ? » Un des policiers nous dévisage des pieds à la tête et explose « C'est lui le salopard qui est monté sur le pylône à Polokwane, le jour du match Algérie-Slovénie ! » Dieu du ciel d'une Yolanda post-apartheid, qu'espériez-vous que nous fassions devant toute cette avalanche d'accusations ? Nous prenons nos jambes à nos cous, la vuvuzela comme arme de dissuasion et ont file. Sorry ! Sorry, ya nass !