Entamée le 17 juillet dernier, la 43e édition du Festival du théâtre amateur de Mostaganem aura alterné le bon, le moins bon, le très mauvais, l'excellent et l'insipide. A quelques heures de la clôture, un premier aperçu sur une manifestation qui constitue un passage obligé pour tous les amoureux du 4e art. Une stèle prête à accueillir la délégation ministérielle en vue de son inauguration, le maire, le commissaire de police et la vie du moudjahid Chérif, objet de l'imminente sanctification. La pièce débute par les éloges tressés de manière mécanique et avec un zèle appuyé du cher disparu. Puis, au fil de l'histoire, on lui trouve quelques faiblesses, on parle de sa veuve qui se fait entretenir par un sénateur, de ses faits de guerre et de sa droiture, puis on souligne sa couardise, sa lâcheté et sa veulerie. Soudain, entre un troisième personnage. Habillé en haillons, la démarche incertaine, le visage buriné, le corps avachi… bref un clochard doublé d'un mendiant. De suite, le commissaire remarque des similitudes entre cette loque humaine affalée en bas de la stèle et le héros Chérif. Médusé, il découvre que c'est bien celui que l'on célèbre qui est revenu. Mettant à mal tout le cérémonial, pendant qu'en bruit de fond on entend arriver le cortège ministériel. Situation comique où on retrouve un personnage à qui rien n'aura été épargné mais qui avoue lui-même n'être qu'un vulgaire traître, ceci expliquant son étonnante survie au travers des multiples batailles. Au passage, on aura droit à une sublime parodie des ces combattants vantards à l'extrême. Mais comment faire pour se débarrasser du revenant afin de sauver le pompeux cérémonial ? Commence alors une série de marchandages, à chaque fois repoussée par le héros malgré lui. Jusqu'au moment où, non content de prendre l'argent et la veste du commissaire, il exige et obtient le pantalon du maire ! Mais toujours pas moyen de se débarrasser du héros malgré lui, obligeant le maire à l'abattre d'une balle. Une très belle parodie des célébrations fantasques, fastidieuses et pas toujours justifiées, surtout à l'égard de héros de pacotille. Dommage que le metteur en scène ait cru subtil de laisser son héros se soulager sur la stèle. On croyait naïvement que le théâtre était aussi source d'éducation. La troupe venue de Zaghreb à l'invitation de la 43e édition du Festival du théâtre amateur de Mostaganem a donné, en fin d'après-midi, un spectacle étonnant à plus d'un titre. « Nus au poivre », c'est le titre de la pièce, qui ne manquait pas de sel. Une caméra folle dans le palais Comme dans tout travail qui privilégie le quiproquo, le spectacle croate n'aura pas failli à la règle. C'est l'histoire d'une valise qui change de propriétaire en cours de route. C'est la faute à Jean Goran, qui, au lieu de retirer sa valise, prend par mégarde celle d'un autre passager. En cherchant à en connaître le véritable propriétaire, il découvre une drôle de caméra aux capacités surnaturelles. Elle possède les capacités de désintégrer les êtres vivants qu'elle est censée filmer. L'objet maléfique crée de suite la zizanie dans la petite communauté. En effet, deux hommes vivant avec femmes se retrouvent en opposition face à cette caméra. Au fil du spectacle, on s'aperçoit que l'un des jeunes hommes est un sombre travesti, au regard taciturne qui donne une intensité à la pièce, parce que l'on comprend qu'il joue un personnage central et versatile. Le comble est que toute la communauté parvient à trouver un équilibre primaire qui est rompu par l'annonce de la mort du Premier ministre. C'est à ce moment-là que les connaisseurs accèdent à l'unique clé de l'énigme. Que l'on doit nécessairement relier à la dernière démission- sans aune explication, tout comme le président Liamine Zeroual en 1998-, du Premier ministre croate et son remplacement par une illustre inconnue. C'est cette inconnue qui est représentée par la valise. Le propriétaire étant le peuple croate à qui personne n'a donné d'explication. Le pays aura changé de maître sans que personne ne sache les tenants et les aboutissants. Une subtile satire, jouée en anglais, par des acteurs convaincants et à la diction délicieuse, car poivrée au serbo-croate. Une très belle performance, mais langue de Shakespeare oblige, le public se serait ennuyé sans cette dynamique des acteurs sur scène et sans ce subtil saupoudrage de quelques emprunts à la langue de Molière, judicieusement répartis au long du spectacle. Des oranges en offrande Les comédiens de la troupe Utopija, voyageant apparemment sans complexe sous la casquette de l'Ecole d'agriculture de Joniskis, ont donné un spectacle flamboyant. L'idée de départ tournait autour d'un hommage au poète lituanien Arvydas Ambrasas, mort très précocement à l'âge de 23 ans, bien plus jeune que Rimbaud. Ce seront 5 poèmes qui composeront la pièce. Le premier montre la visite à un malade sur son lit d'hôpital, le second parle d'une maladie qui empoissonne la vie et qui nous prive de la joie de vivre, le troisième poème aborde la vie de l'âme qui peut voyager à travers le ciel et atteindre la plénitude – toute allusion à la religion n'est pas blasphématoire-, ce qui permet de glisser subtilement vers l'illusion qui permet à l'homme de survivre dans n'importe quelles conditions -là aussi, la souffrance du peuple juif aura été fortement suggérée-, puis survient le dernier poème où l'on proclame que chaque peuple a le droit de vivre, de créer et de jouir de la vie. On se demande pourquoi, le prospectus remis par la troupe précise que la thématique développée concerne « notre territoire » (our land) comme si ça n'allait pas de soi ! Etonnant, non ? Que des agronomes parlent de la terre, rien d'anormal, ils sont dans leur terroir, mais pourquoi le rappeler avec tant d'insistance ? Surtout qu'ils l'ont fait dans un spectacle d'une exquise douceur. Des moments de pur émerveillement, des chorégraphies ciselées, des costumes et des accessoires pas toujours innocents et une musique et des chants de très grande classe. Assurément, ces agronomes lituaniens défendent parfaitement leur territoire, la poésie n'étant qu'un prétexte pour prendre possession de l'espace scénique. Le public a été sous le charme. Le tableau final, très suggestif, n'aura pas échappé à la perspicacité de quelques amateurs, pas si naïfs que ça ! Superposer des cadres en étoile autour du globe et offrir des oranges (de Jaffa ?) au public, ce n'est pas que de l'agronomie. Un vieux routier du festival nous dira fort malicieusement que « ces Lituaniens qui offrent des oranges, il faut s'en méfier, car si elles ne sont pas acides c'est qu'elles sont amères ». Une belle fable trahie par la facilité Pour leur retour au festival de Mostaganem, les comédiens de Baraki était attendus de pied ferme, leur dernière apparition fut couronnée de succès, donc le public était avide de les retrouver. Cependant, l'attente aura été vaine car à l'arrivée, la déception sera aussi longue que la pièce. Prévu pour durer 80 minutes, le spectacle démarrera à la manière d'un feuilleton de mauvais goût auquel nous avaient habitués les habitants sédentaires des bords du Nil. Surtout que le prélude se suffisait d'une musique approximative servie sur un fond noir. Trop long, trop ennuyeux, et parfaitement inutile pour comprendre la suite. Jouant à fond la satire, le réalisateur fera appel au monde animalier, en convoquant des animaux dont la seule évocation du nom prête à rire. En plus d'un vieux lion grabataire, très porté sur l'alcool et la bonne chair, le renard, le singe, le porc-épic et chez la tribu des équidés, le bourricot, le cheval et leur neveu, le mulet. Tous étaient convoqués pour une parodie qui mettait en jeu l'éternel complot autour du pouvoir. Le vieux lion, qui n'a rien perdu de sa lucidité, finit par déjouer le complot et le retourner à son avantage. La pièce se termine par la condamnation du mulet, qui, au moment où il devrait être sacrifié, trouve la parade en invitant le roi lion à venir lire un code inscrit sur ses sabots, La suite Jean de la Fontaine, après Ibn El Moukaffaâ, bien après Bidpai, le célèbre poète hindou, chacun à sa manière l'avait racontée, la poésie aidant, de bien meilleure manière. Lorsqu'il reçoit la ruade, le Roi lion feint le mort et c'est le responsable de sa chute qui le remplace…. Jusqu'au plan final où l'on voit revenir le lion, ce qui produira un vrai coup de théâtre. Quand bien même la pièce peut s'alléger de quelques lourdeurs, notamment le très long et fastidieux échange entre le cheval et l'âne, elle devrait rétrécir et se recentrer sur l'essentiel. Reconnaissons que le metteur en scène aura usité d'une belle trouvaille pour faire défiler les plans de fin. Un véritable fondu enchaîné qui sauvera le spectacle, car exécuté de fort belle manière. On se savait plus si on était en direct ou s'il s'agissait d‘un flash-back. Trop peu pour retenir le public.