Azzedine Sakhri, ancien champion international algérien de marathon et de cross-country, fait un constat amer de la situation de l'athlétisme national qui, jadis, faisait le bonheur du sport algérien. Dans cet entretien, Sakhri – sacré dans l'épreuve du marathon aux JM-1997 de Bari et meilleur sportif algérien en 1998 – nous livre avec un franc-parler ses impressions. -Vous avez quitté, il y a plus d'une année, votre poste d'entraîneur national au sein de la Fédération algérienne d'athlétisme. Avec du recul peut-on connaître les raisons de votre départ ? Vous savez quand je suis venu à la Fédération algérienne d'athlétisme (FAA) en ma qualité d'entraîneur national des épreuves de longues distances et de cross, c'était dans le but d'apporter ma contribution à la promotion de la discipline. Mais avec le temps, j'ai constaté qu'il n'y a pas une prise en charge sérieuse, d'où la démobilisation des athlètes, dont le but essentiel est de participer à quelques challenges et meetings pour gagner de l'argent sans trop se soucier de leur carrière. Pourtant, il y a une génération d'athlètes qui possèdent de grandes qualités et je suis convaincu qu'ils assureront la relève, pour peu qu'on leur assure une bonne prise en charge. -Que préconisez-vous pour préserver les futures générations ? Il faudrait d'abord garantir aux athlètes de l'élite un statut et une intégration au sein du secteur pour les amener à se concentrer uniquement sur leur préparation. Lorsqu'on sait que les ancien champions des années 1980 et 90 ont tous bénéficié de la réforme sportive. L'ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Aziz Derouaz, avait pourtant élaboré une loi pour le statut des athlètes d'élite, mais aujourd'hui ce texte n'est pas bien exploité ni à même d'encourager les athlètes à se sacrifier afin d'atteindre le niveau mondial comme auparavant. Comme tout le monde le sait, à l'époque, l'Algérie faisait partie des cinq meilleures nations au monde dans le cross-country et dans les épreuves du demi-fond, alors que maintenant, nos athlètes n'ont même pas le niveau arabe. Il faudrait faire une véritable évaluation et tirer les enseignements pour relancer l'athlétisme algérien. -Avant le report des JO de Tokyo à 2021 par le CIO, trois athlètes algériens seulement avaient réussi les minima : Taoufik Makhloufi (1500 m), Abdelmalik Lahoulou (400 m haies) et Bilal Tabti (3000 m steeple). Un commentaire ? Le problème n'est pas dans le nombre de qualifiés, mais plutôt dans la qualité. Je sais qu'après la reprise de la compétition, d'autres athlètes pourraient décrocher la qualification pour Tokyo. Toutefois, l'essentiel est de faire bonne figure et non pas de se contenter d'une simple participation. Le champion olympique du 1500 m Taoufik Makhloufi demeure l'arbre qui cache la forêt. On ne doit pas se voiler la face. Il faut revoir toute la préparation de nos athlètes durant le cycle olympique, avec une meilleure prise en charge et une compensation financière encourageante pour les motiver à faire preuve de sacrifices afin d'honorer les couleurs nationales. -Pensez-vous qu'actuellement, nos athlètes ne se donnent pas à fond dans la préparation ? Certes, certains se sacrifient pour atteindre le haut niveau et d'autres ne se soucient guère de leur carrière sportive. Leur seul objectif se limite aux challenges des cross nationaux et aux championnats, au détriment même de l'éthique sportive. Malheureusement, ces athlètes ne peuvent pas s'affirmer ailleurs, autrement dit lors des compétitions internationales car leurs résultats sont loin d'être le fruit du sacrifice. -Soyez explicite… Je m'explique : il y a des athlètes algériens qui se dopent juste pour remporter des courses à l'occasion des compétitions nationales afin d'empocher des récompenses financières. Ces athlètes ne peuvent pas participer à des compétitions internationales, au risque d'être contrôlés positifs. J'irai même jusqu'à dire qu'il y a un réseau incitant les athlètes à utiliser des produits dopants afin de remporter un titre national. Cette filière ne mesure guère les conséquences très dangereuses sur la santé des athlètes. -Quelle est la solution pour lutter contre ce fléau ? C'est une excellente question. Il faut multiplier les contrôles antidopage lors des compétitions et en dehors, c'est- à-dire des contrôles sanguins inopinés. Ce n'est pas tout. Il faut mener des actions de sensibilisation. Les autorités concernées doivent diligenter des enquêtes pour démanteler ce réseau et punir les auteurs conformément à la loi. -On vous laisse le soin de conclure… Durant ma longue carrière d'athlète, j'ai remporté plusieurs titres et médailles au niveau national et international, sans en tirer de gros avantages sur le plan financier. Mais le plus important reste pour moi d'avoir mis un terme à ma carrière en bonne santé. Je remercie mon ancien entraîneur, Mokhtar Boufaroua, et mon entourage qui m'avaient encouragé à travailler proprement et durement pour atteindre le haut niveau. Entretien réalisé par Slimane M.