A trois mois de l'ouverture de la prochaine saison, le tourisme dans la région du Sahel traverse des moments d'incertitude. La région vient de se voir propulsée, encore une fois, au devant de la scène à travers l'opération ratée du commando français montée pour libérer des mains de l'AQMI l'otage Michel Germaneau. Mourad Kezzar (*) L'exécution de ce dernier, qui n'est malheureusement pas la première action du genre dans la région, et le battage médiatique fait autour de ce sinistre crime sont à même d'achever une destination déjà agonisante depuis la délocalisation du Paris - Dakar. Pour sa part, l'appel à peine déguisé du président français, invitant ses ressortissants à boycotter la région n'est pas pour rassurer. Un véritable « warning travel » alarmant qui ne laissera pas indifférents les professionnels du tourisme occidentaux et les chancelleries habituées à voir la région sous le prisme de Paris. Du coup, on annonce déjà une saison 2010-2011 apocalyptique dans la région du Sahel qui comprend le Niger, le Mali, la Libye et l'Algérie. Reste à relativiser la situation, car la saison touristique ne commencera qu'au mois d'octobre, soit d'ici 3 mois et aucun Tour Opérator ne s'est encore, officiellement, retiré. Ainsi, une mauvaise nouvelle pour le tourisme algérien, en général, et saharien en particulier. sachant que la saison écoulée s'est terminée en queue de poisson avec la fermeture de fait, selon les opérateurs locaux, du Hoggar aux touristes étrangers par les autorités algériennes dès le mois de mars dernier. Les conséquences, sans une rapide prise de conscience politique, seront dramatiques pour l'ensemble de la stratégie nationale quand on sait que cette dernière, arrêtée par l'ex-ministre du secteur, Cherif Rahmani, fait du tourisme saharien le produit d'appel pour la promotion du reste de la destination. Une approche maintenue, par entêtement, malgré les avertissements de quelques experts nationaux. En fait, les événements qui secouent le Sahel sont là pour battre en brèche nos politiques touristiques de la dernière décennie. L'exemple tunisien : Transparence et responsabilité Bien que son Sahara soit situé à la jonction avec le Sud algérien et libyen, la destination tunisienne s'en sort à merveille, pour ne pas dire qu'elle rafle la mise. La clé du succès est simple. Elle est basée sur le binôme transparence - responsabilité. Pour nos voisins tunisiens, le tourisme saharien est une nouvelle niche à développer dans le cadre du plan 2009-2016. L'objectif recherché est de diversifier l'offre pour faire face au tassement, sinon à la régression prévisionnelle, sur le marché traditionnelle du balnéaire. Les atouts avancés par les professionnels tunisiens sont la proximité de leur sud de la lisière nord, les coûts bas des prestations hôtelières et de transport, ainsi que la qualité de ces dernières qui permettent de découvrir des sensations fortes sans en pâtir en matière d'hygiène. A cela s'ajoute la force de vente et de promotion dont bénéficie l'ensemble de la destination Tunisie. Les experts tunisiens ont vite compris que la destination doit prendre en charge les nouveaux besoins exprimés par les clients traditionnels qui deviennent, de plus en plus, curieux et demandeurs de produits de découvertes. Sauf qu'il y a 3 ans, la Tunisie fut confrontée à une véritable menace sur son tourisme saharien, considéré comme une nouvelle niche. Ce fut durant l'épisode de l'enlèvement sur son sol, par l'AQMI, de deux touristes autrichiens. Passé les flottements des premières semaines, le dossier de la sécurité des touristes dans le Sud tunisien a été géré avec la plus grande transparence. Une procédure d'accueil et de déplacement des touristes a été mise en place et diffusée, par écrit, à l'ensemble des intervenants et opérateurs. Cette transparence a permis de prendre des décisions dans la concertation et de définir les responsabilités de tout un chacun. Touristes, opérateurs et autorités tunisiennes y trouvent, aujourd'hui, tous leurs comptes. En effet, trois années après, le résultat positif est là. Le tourisme saharien tunisien se porte bien et n'est nullement associé aux turbulences que vit la région. La zone de Tozeur est toujours présentée comme un produit de substitution aux produits algérien et libyen avec la qualité des infrastructures, des équipements et des prestations de service en plus. L'exemple algérien : le grand cafouillage l'image du pays En Algérie, de tout temps, la clientèle du tourisme saharien a été considérée comme la plus sûre dans le discours des responsables du secteur et des experts sollicités. Selon ces experts, il s'agit de la clientèle d'une niche traditionnelle qui cherche un produit que seul le désert algérien peut lui assurer avec un avantage comparatif par rapport à celui des pays voisins. Cette clientèle est à la recherche soit des sensations fortes soit du recul pour une communion dans le désert avec soi-même sans être trop regardante sur la qualité des prestations, tant que la beauté du désert et de ses gravures est là pour l'ensorceler. Les professionnels du Sud algérien ont toujours gardé de solides relations avec cette clientèle qui se recrute dans plusieurs pays européens et même américains. Des relations qui sont passées du cadre professionnel à celui de l'amitié. Un genre de cordon qui, pense-t-on, résistera à la concurrence. Si cette clientèle a été pour longtemps, peu regardante sur la qualité de l'hébergement et de la restauration, ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui. Elle est, mondialisation oblige, très sensibles aux “travel warming " et aux conseils des tours opérateurs. Avec les mutations sociales enregistrées dans les pays émetteurs, ce genre de touristes voit son nombre diminuer, et, par conséquent, les parts de marché de l'Algérie. Pis, le feuilleton du rallye Paris - Dakar vient de nous apprendre que la concurrence peut aussi venir de loin, de l'Amérique latine. Avant 1985, personne ne pouvait croire qu'un Paris-Dakar pouvait se faire sans le désert algérien. Pourtant ce fut le cas dès l'année suivante. Il y a 5 ans, personne ne pouvait admettre que ce même Paris - Dakar pouvait se dérouler en Amérique latine. Pourtant, c'est le cas, et la formule trouve ses adeptes. “La concurrence régionale, la difficile ré- génération démographique des clients potentiels, la nouvelle donne liée à la situation sécuritaire dans les pays du Sahel, et, enfin, l'effet à moyen et long terme de la délocalisation du rallye Paris - Dakar”, sont, ainsi, les quatre éléments qui menacent le tourisme saharien algérien, comme je l'ai expliqué dans mon dernier ouvrage(1). Le produit saharien est important dans une démarche de diversification des produits proposés par une destination comme l'Algérie. Sa clientèle se recrute parmi les populations peu regardantes, relativement, sur la qualité des infrastructures, certes, mais surtout sur la facture. Ni un produit d'appel ni une base pour une industrie… juste une niche Une clientèle dont les préoccupations se retrouvent en haut de la pyramide des besoins, soit l'accomplissement. Toutefois, malheureusement pour les économies touristiques expansives et heureusement pour les défenseurs du développement durable, cette clientèle n'est pas et ne peut être, dans les conditions actuelles, une clientèle de masse. Malgré cela, en Algérie, on entend dire que le saharien est un tourisme d'appel dans la politique de développement du secteur. Une décision stratégique prise sans être, un jour, argumentée. Pourtant, même le dernier épicier du coin vous dira qu'un produit d'appel est un produit qui se vend comme des petits pains sans marge commerciale importante, voire à des coûts bas. L'essentiel est de ramener dans le commerce le maximum de clients qui, une fois sur place, seront tentés par l'achat d'au moins un autre produit plus rentable. Or, si la clientèle du tourisme saharien est une clientèle solvable et nécessaire pour la pérennité de l'ensemble de la destination, elle n'est pas cette demande de masse sur laquelle peut s'asseoir toute une industrie. Le Sud algérien est un musée à ciel ouvert, oui, mais il est loin, cher, sous-équipé et sécuritairement fragile à cause de la situation dans les pays du Sahel. Le tourisme saharien existe. Il a sa clientèle. Développons ce produit, restons à l'écoute des mutations de cette clientèle et des offres de nos concurrents afin de défendre nos parts de marché et les faire croître. Cela se fera à travers une politique touristique claire, raisonnable et sereine qui prend en charge le dossier tourisme selon une approche systémique. Autrement dit, une concertation avec les opérateurs nationaux, surtout les agences de voyage du Sud qui ont droit au grand respect des décideurs, doit être engagée, pour redéfinir la politique liée à ce produit, mettre en place des procédures transparentes et écrites définissant les prérogatives de chaque partie et ses responsabilités. Le tourisme saharien algérien est un produit qui doit être développé en prenant en compte les atouts de la région du Sahel, les menaces qui y pèsent et les attentes des habitants de ce beau désert. Toute mesure prise dans l'anonymat et sans traçabilité ne créera que davantage de cafouillage et participera aux tentatives de nuire à l'économie algérienne par certains lobbies. Interdire un site verbalement ne sert ni la destination ni la gestion sécuritaire. Il créera des situations caricaturales qui serviront, plutôt, l'intérêt des autres destinations, par commentaires venimeux interposés. Il nous reste 3 mois avant le lancement de la campagne 2010-2011 et la saison peut être sauvée. Il suffit de mettre de côté les idées reçues, les expertises biaisées et essayer de travailler de concert avec les opérateurs locaux avec un seul objectif : réussir. En effet, jusqu'à hier, à l'image des responsables de « Voyageurs du monde », un des TO spécialistes du Sud algérien, s'il est sûr que la demande va baisser, rien n'indique que la saison sera ratée. « Il est trop tôt de se prononcer », selon la presse française spécialisée. (*) Economiste- Spécialiste en tourisme Journaliste- Consultant- formateur Auteur du livre (1) Algérie : A la recherche de son tourisme. Editions SAEC. Alger. 2009