Notre Uber national nous dépose à Bab J'did juste à côté de la prison de Barberousse, qui est en passe de devenir un musée, un lieu qui se veut témoin de la résistance des braves Algériens face aux affres de l'internement et de la guillotine, un moment solennel et une pieuse pensée aux martyrs comme les éternels Hahad, Zabana et Melzi, un coup d'œil dans le rétroviseur de chroniques du Vieil Alger nous rappelle notre ADN certifié Beni Mezghena, un rappel historique exhortant le petit collégien Mehdi en excursion familliale à immortaliser l'instant en posant devant la statue de Bologhine Ibnou Ziri Ibnou Menad. Le ciel est bleu, un instant idéal pour se promener dans Alger Elmahroussa (La protégée), nous avons remonté la pente pour nous rendre au Palais du Dey. Premier obstacle : les travaux non encore achevés ne permettent pas la visite des palais qui, selon les responsables, ont atteint un taux de réalisation de 80%, notamment les ouvrages incluant le palais du Dey, la poudrière, la mosquée, le palais des beys et le hammam des janissaires. Frustrés de ne pas pouvoir fouler les intérieurs de Dar Soltane, lieu mythique de l'historique scène du coup de l'éventail. On s'est contenté de méditer sur tout l'arsenal technique et l'enveloppe financière dégagée pour réaliser la restauration de la Citadelle, à titre de rappel, les premiers travaux de restauration de 1980 ont été confiés à un prestigieux cabinet d'études polonais Pkz, une expertise précédée par le travail des agences publiques comme le Comedor, l'Ofirac, interrompu par les premières émeutes de La Casbah en 1985, une secousse réglée à la hâte par des programmes de relogement dans les toutes nouvelles cités-dortoirs de la Mitidja livrant les populations casbadjies à d'autres codes urbains. Le premier signal de la dédensification de La Casbah a été donné, ainsi le vieil Alger depuis plus de 30 ans est transformé en un centre de transit par une politique d'improvisation inculte, sauvage et clientéliste. Le jeune Khioudji, seul face à l'oubli Passons, la réflexion aux tons amers et contestataires pour vivre le temps d'une immersion toute citadine au milieu des jeunes qui ont juré par tous les saints de la médina de Dzair à redorer le blason d'Alger, le jeune Kamel Khioudjia a transformé l'ancien café du regretté El Hadj Mrizek en un musée à ciel ouvert, des photographies des valeureux martyrs de la Révolution, comme les Rachid Kouache, Taleb Abderrahmane, Bouadou Abdelaziz et Mokhtar (paix à leurs âmes), ce site bien entretenu par ce sympathique enfant de la rue des Thèbes regorge des objets de brocante et autres articles à forte charge émotionnelle, narrant l'ascension culturelle et militante des Kehioudjis. Nous avons quitté ce lieu autrefois symbole des rencontres intimistes et conviviales avec des souvenirs, le petit Mehdi qui visite pour la première fois La Casbah en compagnie d'autres écoliers a trouvé où se désaltérer. Les couleurs rouge, vert et blanc des colonnes de la fontaine de Bir Djebbah ont capté son regard, un site drainant de l'eau des anciens aqueducs de Birtraria et de Aïn Zebboudja. Cette partie prospère de la terre Algérie a été défendue par ces dignes fils. L'intérieur de la fontaine a été rehaussé par un beau texte en hommage aux quatre martyrs de la Révolution exécutés sous le couperet de la guillotine le 22 juin 1957. Les éternels dont la mémoire est ancrée dans l'âme de La Casbah ont pour noms : Radi Hmida, Saïd Touati, Bellamine Mohand dit Moh Kbaïli et Boualem Rahal, ce dernier n'est autre que la paisible âme immortalisée par le regretté Mohamed Elbadji dans sa chanson Ya lmeknine Ezzine. Nous avons longé la rue de Sidi M'hamed Cherif réputée par sa mosquée et sa fontaine mauresque pour atteindre un autre lieu symbolique, la maison de la rue des Abderrahms, où fut dynamité le refuge de Ali La Pointe, Hassiba Benbouali, Mahmoud Bouhamidi et le petit Omar Yacef le 8 octobre 1957, cette maison qui a été érigée en musée fut également le lieu qui a abrité celles et ceux qui ont rédigé les premières moutures de la Plateforme de la Soummam du 20 Août 1956. La Casbah ou l'humanité dans toute sa splendeur Le tissu social du Vieil Alger, un creuset de solidarité, une chaîne de tant d'altérité enfouie dans les centaines de douirate et les dizaines de boutiques d'artisans comme celles occupées autrefois par le Boussaâdis spécialisés dans la fabrication des instruments de percussion comme la derbouka et le tarr, un travail parfait et une doigté irréprochable, très convoitée par les musiciens des orchestres chaâbi et autres, les prix sont très compétitifs variant entre 4000 à 5000 da. Pas loin de l'artisan, un autre espace dédié à la menuiserie où l'on gagne sa vie à la sueur de son front, un métier qui continue à approvisionner les douirate de portes et autres fenêtres. La municipalité de La Casbah et la daïra de Bab El Oued gagneraient à soutenir et à promouvoir le gigantesque travail mené par ces anonymes de La Casbah qui ont tenu à maintenir leurs activités malgré les risques d'effondrement de leur bâtisses. Chemin faisant, la vue a été éblouie par les chefs-d'œuvre des artisans décorateurs dessinateurs, des miroirs majestueusement agencés, des coffres berbères élaborés avec beaucoup de délicatesse, la famille Smallah, héritière de cet art populaire séculaire, invite les passionnés de l'art kasbadji à visiter leur page Facebook «smallah décoration casbah» et à passer commande. Et pour retrouver notre chemin vers la rue Zerrari, un homme la soixantaine passée au phrasé ankaoui, a entamé un brin de causette sur fond d'une moralité digne des Amghardes Ath Djennad, reprochant aux municipalités successives leur manque de sérieux et de rigueur dans la remise sur pied des pavés et leur politique de replâtrage qui a trop duré. Des touristes très nombreux en ce week-end profitant d'un bain de soleil et de tout un enchaînement de plans, évitant les effets contrejour par le recours au selfie. Notre application «RunKeeper» totalise plus de 500 000 pas et nous comptons reprendre le compteur à zéro pour dégourdir nos jambes, nous entrevoyons de loin les badauds en train de jouer dans l'impasse de Sidi Driss Hamidouche, tout en saluant l'un des maîtres incontestés de l'art de la dinanderie, appelé affectueusement Ammi Elhachemi. Sa boutique est prise d'assaut par un groupe de touristes en quête d'un abat-jour original, d'un service à thé ou d'un parfumeur ciselé dans la pure tradition algéroise, les touristes continuent leur promenade en s'adonnant à des vrais shootings, avec des arrière-plans authentiques comme la fontaine Bir Chbana, un site dont la réhabilitation est exécutée par l'Epic Emcu de la wilaya d'Alger. Cette médina se révèle une source intarissable de lieu où l'humain trouve tout son sens, nous entamons notre opération baptisée «Casbah sightseeing» reconvertie en une ardente ziara vers le mausolée du saint patron d'Alger, le pôle divin Sidi Abderrahmane Thaâlibi, né dans la localité des Issers en Kabylie en 1384 , décédé à Alger en 1474, auteur de plusieurs ouvrages dont le plus célèbre Vérités sur le soufisme, fermé pour des raisons sanitaires liées à la Covid-19, nous nous sommes contentés d'une lecture d'une Fatiha à l'entrée du Maqam en hommage à Sidi Abderrahmane, un rituel accompli dans un esprit de méditation et de dépouillement, comme l'exige la tradition akbarite, une doctrine qui a beaucoup influencé le pôle des pôles. Les Kasbadjis reprennent l'initiative Deux exemples édifiants illustrant la réussite de cette «Casbah way of life» sont les programmes entamés par Hadj Zoubir, qui a accueilli en 2019 les touristes pour des soirées au milieu du patio, surtout durant les iftars du mois sacré du Ramadhan et les veillées au cœur du palais Dar Essed jour aux rythmes des nesrafate chaâbies ; ajoutons à cela des concerts de musique à la résidence El Minzah rebaptisée espace Amar Ezzahi, le grand jazzman franco-libanais Ibrahim Maalouf est passé par là. Les touristes japonais, vraisemblablement des coopérants travaillant en Algérie, caméra en bandoulière, sont sur les traces du mythe de La Casbah souvent entretenue par les clichés pittoresques et autres images fantasmagoriques véhiculées par l'image de Pépé le Moko et autre ethnographie coloniale, et voilà que le stéréotype est vite effacé avec la vue des jeunes hyper branchés discutant de l'avenir de leur pays et installant leur côté frondeur au cœur d'une des plus belles révolutions pacifiques, les graffitis contestataires et peace ont détourné le groupe nippon des scènes touristiques pour faire le plein des dazibao bien de chez nous et revenir avec des clichés, des vrais, de l'atelier du Sursaut du sourire. Par Yazid Aït Mahieddine