La thèse des «zones d'ombre» est en train de structurer étrangement la démarche gouvernementale. Elle présente le désavantage de saturer le débat en cette phase cruciale de la vie nationale, et le risque latent de désincarner les populations concernées et de rendre abstraits des territoires pourtant bien réels. «Où se situent ces zones d'ombre ?» finissent par se demander les Algériens. Le Premier ministre ne leur est pas d'un grand secours quand il instruit les walis de «changer le visage des zones d'ombre avant la fin de l'année en cours». Où commencent-elles et où finissent-elles ? Y a-t-il une cartographie de la misère, des circonscriptions de la détresse distinctes de celles administratives connues ? Les récentes sanctions prises à l'encontre de chefs de daïra et de P/APC, entre limogeage et suspension, ont suscité beaucoup d'interrogations chez les citoyens à travers le pays, mais aussi les responsables locaux surpris d'avoir été épargnés par ces mesures coercitives alors que les problèmes vécus par leurs administrés sont exponentiels. Tout irait donc pour le mieux dans le reste du pays et hors de ces «zones» aux limites improbables ? La réponse est dans le bilan catastrophique des décennies de gabegie et de corruption. La collectivité nationale continue de subir les contrecoups d'une gestion délétère qui a pris le temps de s'enraciner dans l'administration publique. Contrairement à l'idée qui s'insinue parfois dans les discours, il y a très peu d'antipatriotisme et «d'anti-révolution» dans le pays, mais beaucoup d'incompétence, parfois d'irresponsabilité induite par la désactivation soutenue des dispositifs de contrôle et d'évaluation. Là où on craint un complot, il y a en fait démission, ou défaillance criarde, autrefois anodine et subitement mise sur la table du Conseil des ministres. Les présidents d'APC sont coupables, au pire de candeur, de vouloir être les porte-parole des citoyens et les partenaires de l'administration. Ils sont aujourd'hui renvoyés et promis aux poursuites alors que les pannes sur les réseaux d'alimentation en eau potable et d'électricité, dans lesquelles ils sont mis en cause, étaient programmées depuis au moins une décennie, quand des importateurs institutionnels raflaient les marchés publics pour imposer des équipements défectueux dans des installations vitales, tout en mettant à l'arrêt des entreprises locales noyées dans leur stock de production et les conflits sociaux. Là où l'on a voulu délimiter les zones d'ombre, il y a en vérité des abîmes de corruption doublée d'incurie. Ce qui n'est pas dit est que cela touche indifféremment le territoire national. Loin d'être ponctuel, le remède devra être global. Placée dans la rubrique des débats ajournés, la transition est incontournable et sera de longue haleine pour libérer le pays d'un mal qui s'affiche sous toutes ses facettes dans les tribunaux où sont jugés d'anciens responsables dont la gestion des affaires du pays n'était qu'une course à l'enrichissement et à l'accaparement des biens. Après plus d'un demi-siècle d'abandon, il faudra de nombreuses années pour un ressaisissement et la réappropriation du destin national. Le processus ne sera pas enclenché par un contrat contre la misère chronique ou les difficultés sociales, mais par un contrat politique et démocratique.