«La vie est un champ de bataille où naissent les héros qui meurent pour que l'on vive.» Boris Cyrulnik 16 août 2006 – 16 août 2020, quatorze années viennent de s'écouler depuis le jour où nous avons accompagné à sa dernière demeure – le cimetière de Dellys (wilaya de Boumerdès) Mohamed Abdou. Cet enfant de la région où la famille est plus connue sous le nom de Abdoun ; commandant de bord de l'avion cargo d'Air Algérie, assurant la ligne Alger-Frankfurt et son équipage composé de Mohamed Tahar Benderina, pilote, et Mostepha Kadid, mécanicien, s'est crashé le 13 août dans la région d'Emilie-Romagne au sud de Milan (Italie). Les deux pilotes étaient connus pour être de chevronnés navigants. Né le 13 juin 1963, fils d'enseignants (père et mère), Mohamed a fait ses études primaires et secondaires à Dellys, avant d'opter pour une carrière dans l'aviation. En ce triste dimanche 13 août 2006, l'avion décolle de l'aéroport Houari Boumediène d'Alger ; alors qu'il se trouve à une altitude de croisière de 25 000 pieds environ, l'équipage constate une anomalie dans le fonctionnement du pilotage automatique, ce qui entraîne la dégradation d'un moteur. L'appareil commence à perdre le contrôle de sa direction et son altitude pour se précipiter dans une chute vertigineuse difficilement contrôlable. Dans ce genre de situations, la seule issue pour l'équipage est de s'éjecter, laissant l'appareil s'écraser n'importe où. Les Italiens de la région se souviennent encore du crash d'un avion où le pilote s'étant éjecté le 6 décembre 1990, a laissé son appareil s'écraser sur une école dans la région de Bologne, faisant plusieurs victimes et blessés, notamment parmi les écoliers. Notre équipage algérien a fait preuve d'humanisme et d'un courage exemplaires. Lorsque dans sa chute, à une vitesse approximative de 850 km/h, l'avion s'est dangereusement rapproché d'une zone très peuplée, en moins d'une minute l'équipage a eu le sang-froid d'orienter et de dévier l'appareil de 45 à 50 degrés, pour le diriger vers le seul espace non habité, entre l'autoroute et l'un des quartiers les plus peuplés de la périphérie de la ville de Piacenza, évitant de peu un terrible massacre. L'Agence de presse algérienne (APS) a rapporté au lendemain du crash le commentaire suivant : «Ils ont refusé de sauter de leur appareil en perdition, préférant donner leur vie en sacrifice, plutôt que de vivre avec des morts sur la conscience, car l'avion en lui-même aurait certainement causé des victimes en s'écrasant sur cette région au sud de Milan». Par ce geste héroïque, cet équipage algérien est devenu une légende auprès des Italiens en général et des Placentins (habitants de Piacenza) en particulier. Un an après, la communauté de Piacenza et le maire de l'époque (Roberto Reggi), ont commémoré l'anniversaire de ce crash en rendant un vibrant hommage italien à cet équipage algérien. A cette occasion, une place portant leurs noms a été inaugurée rue Marzioli (quartier Bésurica) où une stèle a été érigée en leur mémoire. A cette cérémonie de recueillement, les familles des membres d'équipage étaient invitées, accompagnées par le PDG d'Air Algérie, du représentant de cette compagnie à Rome, ainsi que de notre ambassadeur accrédité en Italie et au Vatican, qui a honoré les mémoires en déposant une couronne de fleurs aux couleurs du drapeau national sur la stèle commémorative. La dimension religieuse était de circonstances, Après avoir récité la Fatiha, l'imam de la région a prié pour le repos de l'âme de ces Algériens, et a invité les familles des défunts à surmonter cet événement, en s'en remettant à la patience et à la foi. La communauté et les autorités de Piacenza commémorent cet anniversaire régulièrement. Lors du dixième anniversaire de cette tragédie, les familles du commandant de bord, du pilote et du mécanicien étaient invitées, en reconnaissance à leur courage et à leur sacrifice. Personnellement, j'aurais apprécié que l'une des villes de naissance d'un des membres de l'équipage initie et matérialise cet acte héroïque par une baptisation ou l'érection d'une stèle commémorative, pour offrir à nos concitoyens un repère, qui fait désormais partie intégrante de l'histoire de la ville, de l'aviation algérienne en général et de la compagnie Air Algérie en particulier. J'aurais été honoré et heureux qu'une fondation (ou une association des amis de l'équipage ou d'aviateurs en retraite ou en fonction) prenne le relais pour la collecte, l'archivage de tout objet, écrit ou photo se rapportant à cet événement. Acte qui doit rester gravé comme un modèle de conduite pour les générations futures, afin d'éviter, autant que faire se peut, la banalisation et surtout surtout… l'oubli. Bien sûr, ma compassion s'adresse avec la même force aux familles du commandant de bord (originaire de Dellys) qu'à celles de l'équipage. Par Brahim Smaïn Hasbellaoui [email protected]