l'univers artistique de Halima Lamine est tout à la fois onirique et ludique. On croit, de prime abord, que sa matière est puisée dans le rêve et que l'artiste joue à poser ses personnages et ses couleurs comme des jalons qui conduisent à l'intelligence de son œuvre, mais aussi à toute sa complexité. Une œuvre qui renvoit au mystère de la création et pose la question de l'imaginaire artistique, de ses sources et de ses référents. Si elle se réclame bien volontiers d'un ancrage expressionniste - et d'influences à chercher du côté de peintres allemands - Halima Lamine marque à l'évidence ses œuvres de son empreinte personnelle. A son actif, figurent depuis près de quinze ans de nombreuses expositions personnelles. Elle expose, depuis le 31 mars dernier, au cercle Frantz Fanon(1), une vingtaine de toiles où se montre, dans toute l'ampleur de sa palette, l'originalité d'une démarche exigeante. Dans un parti pris esthétique de verticalité - toutes ses toiles sont en hauteur, l'artiste parvient à amalgamer forme et fond par la représentation de personnages qui symbolisent les sentiments les plus forts sur fond de tons bleu, ocre, rouge ou noir récurrents. Il y a une part de sensualité dans ces formes qui disent le corps dans ce qu'il a de plus méditerranéen, d'indolent et de placide. Ce ne sont pas des corps ou des visages à la Giacometti qui emplissent les toiles de Halima Lamine. Aux angles acérés, aigus comme des pointes de couteau, l'artiste a préféré des rondeurs qui laissent deviner des volumes de chair vivante. Halima Lamine trace de subtils et admirables portraits de femmes, décrites dans la langueur de l'attente, mais sans doute aussi de l'espoir ? Dans les postures tranquillement assurées de ces portraits de femmes, sourd un sentiment fort de liberté. Femmes plurielles qui évoquent tout ensemble l'Afrique et la Méditerranée à travers ce mixage des traits. On rencontre ainsi une variante de la femme-girafe avec ce cou distendu, et ce n'est pas un effet d'artifice. Il y a dans le maintien des personnages l'idée dominante de la volupté d'être ferme dans son corps, d'être installé dans l'espace de la toile avec l'assurance d'y exister. Hommes ou femmes, les créatures de Halima Lamine participant de cette masse sertie dans la toile et presque toujours articulée autour d'yeux surdimensionnés, de bouches éclatantes du rouge de la grenade. Ces yeux paraissent regarder autant qu'ils sont regardés. De telles formes, de tels yeux ne sont bien évidemment pas concevables en dehors d'une tentation symboliste, et c'est le talent de l'artiste que de décliner ainsi des éléments de son imaginaire, d'inscrire sur la toile le produit de sa quête de canons esthétiques qu'elle déduit de sa vision du monde. C'est ainsi qu'elle se distingue des autres. Parce qu'elle a pu, antérieurement, nommer l'alchimie des couleurs, et certainement aussi celle des formes. De là, découle la distance prise avec une représentation platement figurative et académique chez Halima Lamine qui, dans son œuvre, structure ce jeu patient des couleurs et des lignes, au cœur de cet univers qui est celui du fantastique sur son versant du merveilleux. L'artiste est loin ainsi de cette propension protestataire, se défendant de tout déterminisme féministe mais recherchant plutôt ce qui sourd de toute personne humaine. Les personnages de Halima Lamine s'affirment dans cette présence, dans cette solitude dont il faudra se demander si elle est recherchée ou consentie. L'artiste, au fil des toiles, consacre cette condition solitaire attachée qu'elle est à concentrer l'attention sur un sujet central parce que, d'abord, il est unique. L'ensemble est passionnant et révèle en Halima Lamine une artiste qui sort réellement de l'ordinaire par toute la culturalité qu'exprime son travail personnel dont elle établit les pendants littéraires chez des auteurs aussi divers que Nietzsche, Eluard, Adonis, Mahmoud Darwish, Lautréamont, Rachid Boudjedra ou Léonard Cohen. C'est aussi ce brassage qui fait toute l'identité de l'œuvre si attachante, aujourd'hui, de Halima Lamine. (1) Halima Lamine : « Mémoires et métaphores » - Cercle Frantz Fanon Oref 31 mars-11 avril 2005.