M. Mohamed Bahloul est économiste analyste et aussi directeur de l'Institut des ressources humaines d'Oran (IDRH). Dans cet entretien express, M. Bahloul décortique la mesure relative au retour du paiement des allocations familiales (AF) par l'employeur public ou privé. L'impact que engendrera la mise en œuvre de ce transfert des AF est ainsi analysé sous l'angle du coût de l'emploi des entreprises à l'ère de la compétitivité. Quelle lecture faites-vous de la décision prise durant la tripartite relative au paiement des allocations familiales (AF) par les patrons ? Relevons d'abord que la prise en charge des allocations familiales (AF) par le budget de l'Etat (soit 30 milliards de dinars par an) est une décision prise par le gouvernement comme moyen d'alléger les charges des entreprises algériennes, déjà très élevées, et qui, dans leur majorité, connaissent des difficultés majeures et font face à une rude concurrence dans un environnement de plus en plus ouvert, complexe et difficile de jour en jour. C'est une mesure consentie et transitoire du point de vue du gouvernement. Elle se voulait un moyen d'apaisement et d'amélioration du climat social dans une conjoncture, rappelons-nous - il y a quelques années -, très mouvementée et marquée par la précarité sur plusieurs registres. L'objectif était aussi de donner des gages de bonne volonté pour le dialogue social institué dans le cadre soit des bipartites, soit des tripartites. Dans cette perspective, le gouvernement, en fonction de son évaluation de l'état actuel de la conjoncture, s'apprête aujourd'hui naturellement à retirer la mesure (prévue à partir de septembre 2005). Ce qui est son droit. Car, du point de vue du principe et de la pratique universels (sauf exception qui confirme la règle, comme c'est le cas de l'Algérie), le paiement des AF est pris en charge par les employeurs selon des proportions codifiées par le droit normatif (la législation nationale) et/ou le droit conventionnel (les conventions collectives des entreprises, des branches ou des secteurs). La structure et les variables de dynamique des AF sont définies en fonction du modèle social dominant et diffèrent d'un groupe de pays à un autre (modèles allemand, français, scandinave ou anglo-saxon). Mais au-delà du principe, la question de la faisabilité économique et sociale de la décision de faire supporter les AF par les entreprises algériennes reste entière. Elle mérite débat et échanges. Que représente une telle mesure sur le marché du travail et qu'en est-il au Maroc et en Tunisie ? L'impact de cette mesure sur le marché de l'emploi et du travail est certain. Sur le plan du comportement des employeurs, on peut s'attendre à une réorientation des stratégies de recrutement sur les populations de salariés célibataires comme sur les femmes mariées avec conjoint salarié. Il faut même s'attendre au développement d'une certaine tendance au remplacement des employés ayant une charge de famille importante. D'autres pratiques vont se développer ou s'accentuer comme le détournement de la règle légale. Mais du point de vue du management de l'entreprise, ces stratégies ne sont ni durables ni porteuses à terme dans la mesure où, généralement, ce sont les personnels mariés et à charge de famille qui détiennent les courbes de compétence et d'expérience les plus rentables dans un marché de l'emploi qui souffre d'une grave crise d'offre de qualifications et de compétences de qualité. Le recrutement des retraités et leur retour phénoménal sur le marché du travail sont des indicateurs de cette rareté de la main-d'œuvre de qualité qui, c'est la tendance, lorsque celle-ci est disponible, est payée à prix fort par les entreprises. Sur le plan économique, il y aura inévitablement un renchérissement dans l'absolu des coûts du travail avec des conséquences attendues sur la compétitivité de nos entreprises dans une économie trop ouverte et d'importation. La faible productivité du travail de nos entreprises et une hausse du salaire global (nouvelle structure des charges sociales et revalorisation du SMIG projetée) vont engendrer une augmentation du coût salarial unitaire (salaire total divisé par la quantité produite). On peut ajouter à ces éléments les incidences liées à la valeur de la monnaie nationale et aux variations du change sur la compétitivité-prix de nos produits. Mais les problématiques majeures de la compétitivité des entreprises nationales, hier comme aujourd'hui, ne peuvent être réduites - malgré l'importance de cette compétitivité - au seul impact de la structure des coûts du travail et, donc, à une seule des dimensions du champ de la compétitivité-prix. La qualité de nos produits, l'image de marque, les services clients, les coûts de transaction... sont autant de déterminants relevant du champ de la compétitivité hors prix et qui demeurent entiers et sont à prendre en charge dans la réflexion sur l'état et le devenir de nos entreprises. La comparaison avec les entreprises d'autres pays - les voisins notamment - est à ce prix. Elle doit être globale et intégrer l'ensemble des facteurs de capacité de nos entreprises à préserver leurs parts de marché ou à acquérir de nouvelles parts. Y compris lorsqu'il s'agit de la compétitivité de nos territoires et de leur capacité à attirer les investissements directs étrangers (IDE). Le coût du travail pris en soi et pour soi est largement insuffisant. A quoi sert d'avoir des coûts de travail bas dans un marché de l'emploi et du travail caractérisé par de très faibles niveaux de qualification de la main-d'œuvre et des disciplines industrielles « molles », par exemple ?